Publié par Jean-Patrick Grumberg le 12 avril 2018

La dernière attaque chimique en Syrie divise les opinions en deux camps : ceux qui croient, ceux qui nient. En réalité, trois sujets distincts se mélangent, qui empêchent d’avoir une bonne visibilité, dans une région où peu de gens savent exactement ce qui se passe.

Préambule

J’ai souhaité apporté un peu de clarté à ce débat, car lorsque je lis les commentaires publiés sur Dreuz, et ils sont, grâce à vous, d’un niveau très largement supérieur à ce qu’on peut lire sur Le Monde ou Le Figaro, je constate que débat il n’y a pas, ou peu.

J’ai consulté des dizaines de sources, croisés des dizaines d’informations, lu des dizaines d’opinions, examiné les arguments des deux camps, et tenté d’évaluer leur crédibilité respective.

Ce que je vous présente est le résultat de mes recherches. Elles aideront les plus ouverts d’entre vous à évaluer la situation plus en profondeur.

Voici les questions auxquelles je pense qu’il convient de répondre :

  1. Quelle était la situation dans la région de Ghouta avant l’attaque chimique ?
  2. Y a-t-il vraiment eu une attaque chimique en Syrie ? Si oui, comment le sait-on, quelles sont les preuves. Si l’on pense que non, comment le sait-on, quelles sont les preuves ?
  3. S’il y a eu attaque chimique, qui en a donné l’ordre ? Assad, les “rebelles” anti-Assad, l’Iran, la Russie ?
  4. Que gagne Assad à utiliser l’arme chimique ?

Je vais tenter d’examiner tous ces points en mettant totalement de côté mon opinion personnelle.

C’est en théorie assez facile à accomplir, car je connais bien mon opinion personnelle, et cela me facilite les choses pour l’exclure du raisonnement avec la plus grande honnêteté possible. Je le fais car je constate, ici sur Dreuz, mais aussi dans les médias américains que je consulte plusieurs heures par jour, qu’il n’existe aucun consensus sur cette attaque, et très peu de débats.

Les réactions américaines

  • Le Président Trump a rapidement condamné, le 9 avril, l’attaque chimique qui s’est encore produite en Syrie :

  • Puis il a été accusé de faire ce qu’il a régulièrement annoncé comme étant ce qu’il ne fallait pas faire, à savoir annoncer à l’ennemi ses intentions :

“La Russie s’engage à abattre tous les missiles tirés sur la Syrie. Préparez-vous Russie, parce qu’ils vont arriver, beaux et neufs et intelligents ! Vous ne devriez pas être le partenaire d’un animal qui tue son peuple et qui en profite !”

En réalité, et il convient de se souvenir de ses déclarations passées, Trump n’a jamais dit qu’il ne fallait pas annoncer à l’ennemi les intentions des Etats-Unis, il a même dit le contraire en annonçant que la politique étrangère des Etats-Unis serait “la paix par la puissance”. Ce qu’a dénoncé Trump, c’est qu’il est stupide et contre-productif d’annoncer à l’ennemi le jour et l’heure où une intervention militaire se produirait, comme Obama l’a idiotement fait plusieurs fois avec ISIS.

Et Trump n’a pas annoncé le jour et l’heure où une opération militaire serait déclenchée.

  • Les anti-Trump, soit 100% des médias occidentaux, se sont de plus empressés d’oublier le tweet qu’il a publié une heure plus tard, et vient fortement compléter la pensée du Président :

“Nos relations avec la Russie sont pires aujourd’hui qu’elles ne l’ont jamais été, et cela inclut la guerre froide. Il n’y a aucune raison à cela. La Russie a besoin de nous pour aider son économie, ce qui serait très facile à faire, et nous avons besoin que toutes les nations travaillent ensemble. [Faut-il] Arrêter la course aux armements ?”

  • Enfin, mercredi soir, l’Etat major des Armées américaines faisait une pause. Le secrétaire américain à la Défense, James Matisse annonçait lors d’une conférence de presse (1) que les États-Unis examinent toujours les renseignements provenant de l’attaque chimique dans la ville de Douma avant toute décision.

Question d’un journaliste : “Monsieur le secrétaire, avez-vous assez de preuves pour accuser le régime Assad de cette récente attaque chimique ? Avez-vous des preuves qui vous permettent en toute confiance de faire cette hypothèse ?”

“Nous sommes toujours en train d’évaluer les informations, nous-mêmes et nos alliés. Nous somment toujours en train de travailler là-dessus”, a déclaré Mattis aux journalistes du Pentagone avant de rencontrer les responsables de la défense des Pays-Bas.

L’armée américaine est-elle prête à conduire une frappe en riposte ?

“Nous nous tenons prêts à offrir les options militaires si elles sont adaptées, selon ce que le Président déterminera.”

Par ailleurs, le président français Macron a déclaré mardi que “la France riposterait contre le régime syrien s’il avait la preuve que des civils étaient attaqués avec des armes chimiques”, rapporte Reuters (12), et Theresa May a expliqué au président Trump, hier mercredi (14), qu’elle a besoin de plus de preuves que la Syrie a conduit une attaque chimique avant que le Royaume-Uni s’engage dans les frappes aériennes.

Quelle était la situation dans la région de Ghouta et à Douma avant l’attaque chimique ?

Dernière minute ⇒ Au moment d’écrire ces lignes, France 24 annonce que “Les forces gouvernementales syriennes ont repris le bastion rebelle de Douma dans la région Est du Ghouta (sources militaires russes). L’attaque chimique, si elle a eu lien, n’aura pas été si inutile.

L’expert en géopolitique Albert Soued rappelle que :

  • 17 groupes rebelles, combinant 25 000 militants salafistes, jihadistes et ultra-extrémistes, formés et armés par la Turquie, ont contribué à asseoir le désir constant de califat du président Erdogan, durant les 7 ans de guerre civile, et notamment la prise d’Afrin au détriment des Kurdes.
  • Les membres de la Brigade Baqir sont impliqués dans l’offensive russo-iranienne contre les bases de défense des Kurdes et de la coalition occidentale, sur l’Euphrate. Soutenues par l’Iran, ces forces ont été formées dans le gouvernorat d’Alep, en 2012, par deux frères nommés Khalid al-Hassan et Abou al-Abass, de la tribu réputée des al-Baqara. Ces deux frères ont combattu aux côtés du Hezbollah libanais contre Israël, au cours de la Seconde guerre du Liban, en juillet-août 2006.
  • La ville de Douma, au nord de Damas, a été attaquée par des armes chimiques (chlore, Sarin…) provoquant plusieurs dizaines de morts et des centaines de malades et blessés. Cette attaque est considérée par l’Occident comme un crime contre l’humanité, dont les conséquences peuvent être désastreuses sur le plan régional, le régime des Assad, appuyé par l’Iran, ayant largement dépassé les lignes rouges.
  • La réunion Russie-Iran-Turquie sur la Syrie qui devait calmer le jeu morbide en Syrie a montré ses limites :
    • Le président Erdogan rêve du Califat d’antan qu’il cherche à rétablir dans la région.
    • Les ayatollahs d’Iran et leur chef Khamenei cherchent à consolider leur début hégémonie chiite régionale, ayant déjà inféodé l’Irak, le Liban et une partie du Yémen et de la Syrie.
    • Les Russes cherchent à consolider les bases maritimes et aériennes installées sur la côte ouest de Syrie, en zone alaouite.
    • Mais les Assad, qui ont profité des Iraniens pour reconquérir une partie de la Syrie, et des Turcs pour donner une leçon aux Kurdes, ne veulent ni des uns ni des autres sur leur territoire, les Turcs étant des sunnites trop ambitieux et les Iraniens des chiites d’une obédience différente et éloignée, et également trop ambitieux.
  • Les Assad comptent sur les Russes pour s’en débarrasser.
  • Les Turcs n’aiment pas les Iraniens pour les mêmes raisons que les Iraniens n’aiment pas les Turcs et ils comptent tous les deux sur les Russes pour se débarrasser de l’adversaire.
  • Et au milieu de tout cela, des dizaines de groupes, de milices, de brigades, ont chacun un objectif rebelle à celui de l’autre….

Soued conclut que “ce n’est vraiment pas le moment pour les Américains de quitter la Syrie et de laisser tomber les seuls combattants sérieux, les peshmergas kurdes”.

  • Sur Reuters (2), les reporters Tom Perry et Laila Bassam écrivaient depuis Beyrouth le 6 avril dernier :

“Le gouvernement syrien a lancé un violent assaut aérien et terrestre sur la dernière ville tenue par les rebelles dans l’est de Ghouta vendredi, tuant au moins 32 personnes dans le but de sceller la plus grande victoire du président Bachar al-Assad depuis 2016, a déclaré un observateur de la guerre.”

Les journalistes de Reuters ajoutent :

La télévision d’Etat a montré d’épais nuages de fumée s’élevant de la zone ciblée, la ville de Douma, où le groupe rebelle Jaish al-Islam tient bon après que les insurgés dans d’autres parties de Ghouta Est aient accepté d’être déplacés vers d’autres zones rebelles.

La télévision d’État a dit que les forces de la Garde républicaine avançaient.

Jaish al-Islam a déclaré que sa brigade de roquettes et d’artillerie répondait à ce qu’elle a décrit comme un massacre par ‘les milices d’Assad et leurs alliés, et les avions de guerre russes’.

Le responsable politique de Jaish al-Islam a appelé à des pourparlers pour épargner le sang des civils.”

  • Et le 10 avril, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) mettait en garde contre l’aggravation de la situation dans le Ghouta oriental assiégé de la Syrie, où des dizaines de milliers de civils étaient piégés.

Lors d’une conférence de presse au siège de l’ONU à Genève, le porte-parole du HCR Andrej Mahecic déclarait (3) :

” Nous estimons que plus de 133 000 personnes ont fui Ghouta Est au cours des quatre dernières semaines.

La situation à Douma, à l’est de Ghouta, où des dizaines de milliers de civils restent piégés.”

Mahecic a également déclaré que l’ONU n’avait toujours pas d’accès humanitaire au Ghouta oriental pour acheminer l’aide.

Y a-t-il vraiment eu une attaque chimique en Syrie ? Si oui, comment le sait-on, quelles sont les preuves. Si l’on pense que non, comment le sait-on, quelles sont les preuves ?

  • Associated Press (13) cite Bilal Abou Salah, un activiste syrien, qui a affirmé qu’un gros cylindre jaune a traversé le toit d’un immeuble d’appartements et s’est immobilisé au troisième étage et a commencé à décharger du gaz.
  • Le 8 avril, Julian Rôopcke publiait un tweet et des photos montrant un cylindre jaune ayant atterri dans la chambre d’une résidence :

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