Publié par Jean-Patrick Grumberg le 16 avril 2018
Siège de l’OPCW (OIAC en français ou Organisation pour l’interdiction des armes chimiques) à La Hague

Un lecteur me pose pour la millième fois, cette question : “quelle preuve avez-vous de l’attaque chimique de Bachar ?”

Il ajoute : “Les soi-disant preuves que pour ma part j’ai pu voir sont aussi nulles que celles que les Américains et Tony Blair avaient affirmées à propos de Saddam Hussein, rapport détaillé et photos par satellite à l’appui, tout ceci étant en fait pipeau.”

Et termine ainsi : “Pour ma part l’objectivité doit primer sur la conviction : la conviction sans objectivité n’est que parti pris.”

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Ses questions sont importantes et je vais tenter d’y répondre avec la plus grande neutralité possible, et surtout, factuellement, strictement factuellement.

Commençons par une mise au point : 

Dans nos sociétés, il n’existe plus aucune autorité en qui l’on puisse avoir totalement confiance. Aucune. Il n’y a pas un seul individu ou institution qui puisse être considéré comme un parangon de valeur et de vertu.

Tout ce en quoi on peut avoir totalement confiance, c’est que tout le monde a menti à tout le monde à un moment où à un autre, du plus haut sommet de l’Etat – de tous les Etats – jusqu’à votre voisin de comptoir en passant par évidemment les médias, probablement les rois du mensonge.

Cette mise au point établie sur laquelle je suppose que peu me contrediront, que faire ? Qui croire, de qui douter et pourquoi ?

Que faire ?

Il nous reste trois atouts :

  1. La raison, qui est d’accorder une confiance relative à tout et totale à personne.
  2. Le bon sens qui nous dicte d’accorder plus de confiance à ceux qui ont moins menti, et aucune à ceux qui mentent souvent.
  3. Les faits.

Je vais commencer par les faits non contestés, concernant le dernier bombardement en Syrie :

  • Combien de cibles ont été frappées par les Etats-Unis ? Trois.
  • Quelles ont été ces cibles : un centre de recherche en arme chimique, un centre de production d’armes chimiques, et un centre de stockage d’armes chimiques, soit une “chaîne alimentaire” complète d’armement chimique, de la conception à la production.

Questions à ce stade : 

  • Si Trump voulait abattre Assad, aurait-il frappé trois pauvres petits points militaires ? La réponse est évidemment non.
  • S’il avait voulu remplacer Assad, n’aurait-il pas mené une opération sérieuse et de grande ampleur ? On peut s’imaginer qu’il aurait déployé l’armée, bombardé tous les points de communications, coupé les routes et les aéroports pour empêcher les déplacements de troupes syriennes, bombardé les centres névralgiques, les stocks militaires, l’aviation, et il aurait envahi le pays comme jadis l’Irak – une invasion qui n’a duré que quelques jours.
  • Quelqu’un a-t-il un problème avec le fait que Trump ait bombardé trois sites liés à la production de l’arme chimique ? Si oui pourquoi ?

Comment les Russes ont-ils réagi ?

  • Dans sa déclaration, le secrétaire à la Défense James Mattis a dit qu’il n’a pas frappé toutes les cibles liées à l’arme chimique pour limiter au maximum les pertes civiles, et pour ne pas tuer de Russes.
  • La Russie a-t-elle déclaré que des agents ou des soldats russes ont été tués ? Non.
  • Donc les Etats-Unis ont voulu éviter une confrontation directe avec la Russie en évitant de viser des Russes, et les Russes n’ont pas démenti.

Comment Assad a-t-il réagi ?

  • Mattis a déclaré avoir voulu éviter au maximum le nombre de pertes civiles innocentes. Les agences d’information syriennes n’ont pas, à ma connaissance, fait état d’un carnage humain.
  • Je n’ai pas trouvé l’information, je m’en excuse, aussi je me risque une hypothèse : j’imagine que des stocks d’armes chimiques brûlent avec l’explosion des missiles qui les ont détruits, et qu’ils ne s’échappent plus dans l’atmosphère, ou alors marginalement. D’après les images satellites, deux des trois sites se trouvent largement dans le désert :

Voilà pour les faits. A partir de là, chacun peut avoir son point de vue, mais pas inventer des faits à lui.

Le bon sens

Pour ma part, j’ai du mal à comprendre l’argument de ceux qui accusent Trump d’avoir inventé une attaque chimique pour justifier ses bombardements.

Admettons pour le raisonnement qu’Assad n’ait pas conduit d’attaque chimique. Admettons qu’il n’existe aucune preuve. Que Trump ait menti.

Dans quel but ?

Pour ne bombarder que trois petits sites militaires non stratégiques ? Où est la logique ? Car c’est un fait, personne ne me contredira là dessus, les 3 bombardements ont visé des sites mineurs, ni les Russes ni Assad ne l’ont démenti.

Donc Trump aurait menti pour ne frapper que 3 petits sites militaires ?

A l’inverse de ce raisonnement auquel je suis intéressé à comprendre la mécanique, James Mattis a déclaré que les frappes avaient pour objectif de renvoyer la capacité de production d’armes chimiques d’Assad plusieurs années en arrière.

Là encore, mon bon sens me dit qu’en bombardant un site de recherche en armes chimiques, plus un site de production d’armes chimiques, plus un site de stockage d’armes chimiques, les Etats-unis n’ont peut être pas atteint cet objectif à 100%, puisqu’ils disent eux-mêmes ne pas avoir bombardé tous les sites dont ils ont connaissance afin de ne pas faire de dommages collatéraux, mais ils s’en sont rapproché.

Des preuves

Les preuves de l’attaque chimique d’Assad sont un point assez délicat pour trois raisons.

  1. Seul un organisme indépendant peut enquêter et tirer des conclusions crédibles.
  2. Le seul organisme indépendant international capable de le faire est l’OIAC, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.
  3. Sauf que l’OIAC a enquêté sur l’usage d’une arme chimique pour tenter d’assassiner l’ex-agent russe Sergei Skripal et sa fille Yulia à Salisbury en Grande-Bretagne le mois dernier. Et l’OIAC a conclut que la Russie est responsable de l’attaque. En réponse, la Russie a accusé l’OIAC d’avoir manipulé les résultats.

Voilà pourquoi il est délicat, voire impossible, de rapporter les preuves formelles et indiscutables qu’une attaque chimique a été déclenchée par Bashar al-Assad, car l’affaire Skripal nous laisse penser que ni Assad, ni Poutine, n’accepteront les résultats de leur enquête, si la conclusion leur est défavorable.

Conclusion

J’en reviens à mon point de départ : dans nos sociétés, il n’existe plus aucune autorité en qui l’on puisse avoir totalement confiance, car tout le monde a menti à tout le monde à un moment où à un autre. Mais il nous reste notre bon sens.

Et mon bon sens me dit que s’il n’existe pas de preuve ; si comme l’affirment les Russes, l’attaque chimique a été fabriquée avec la complicité des Anglais ; si Assad n’a pas utilisé cette fois l’arme chimique, je ne comprends pas pourquoi Trump aurait monté tout cela pour si peu.

Comme le dit le bon sens, pour trouver le criminel, il faut chercher à qui profite le crime. Notre crime, ici, serait d’avoir inventé une attaque chimique qui n’existe pas, hors le criminel n’a pas profité de son crime.

Si tout a été inventé par les Etats-Unis comme prétexte pour frapper Assad, alors que les Etats-Unis ont évidemment la capacité de facilement frapper et neutraliser Assad, et qu’ils n’ont fait que lui donner une tape sur les doigts, c’est que, peut-être, tout ceci n’a pas été inventé, qu’il y a peut-être vraiment eu attaque chimique par Assad, et que Trump voulait vraiment faire ce qu’il a fait : laisser Assad en place mais l’entraver dans sa capacité d’utiliser l’arme chimique.

Conclusion de ma conclusion

Qui a quelque chose à redire au fait qu’un centre de recherche en armes chimiques, un site de production, et un site de stockage, ont été bombardés, avec pour conséquence qu’Assad ne pourra plus utiliser d’armes chimiques pendant un certain temps ?

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Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

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