Publié par Gaia - Dreuz le 25 avril 2018

«Libération» a enquêté sur la rumeur d’un blessé grave lors de l’évacuation du campus parisien. Aucun élément ne vient l’accréditer. Mercredi, «Reporterre», qui citait trois témoins directs du «drame», va publier une enquête pour revenir sur ses premiers articles.

La rumeur finit de se dégonfler. Elle courait depuis l’évacuation de Tolbiac: un étudiant aurait chuté et serait tombé dans le coma. Malgré les démentis (de la préfecture, des hôpitaux) ce week-end, l’affirmation a continué à circuler, se nourrissant même des démentis officiels pour instiller le soupçon d’un mensonge d’Etat… Libération a enquêté. Plusieurs riverains, dont les fenêtres donnent directement sur l’endroit de la chute supposée, confirment formellement n’avoir vu ni ambulance, ni pompiers, ni chute. Nous n’avons retrouvé aucun témoin direct ayant vu la scène. Au contraire, Leïla, l’une des trois témoins principaux cités par les médias ayant accrédité cette rumeur, nous a avoué avoir menti. Le magazine en ligne Reporterre, qui a le premier relayé des témoignages faisant état d’une chute grave, nous a confirmé «après enquête» que ces témoignages ne sont pas fiables. Ils révèlent à Libération qu’ils publieront un article (publié depuis) revenant sur leur premier article. Récit d’une rumeur.

Comme nous l’expliquions dans une réponse CheckNews, des rumeurs faisant état d’un étudiant mort, puis dans le coma et gravement blessé ont commencé à circuler vendredi après-midi. Plusieurs heures déjà après l’évacuation. Tout s’emballe en milieu d’après-midi, quand le journal en ligne Reporterre publie plusieurs témoignages affirmant qu’un étudiant aurait chuté en tentant de s’enfuir: «Un baqueux lui a chopé la cheville. Ça l’a déséquilibré, et le camarade est tombé du haut du toit, en plein sur le nez. On a voulu le réanimer. Il ne bougeait pas. Du sang sortait de ses oreilles…» Un deuxième témoin aurait assisté à la scène. Et un troisième aurait vu le corps et les flaques de sang. Car, selon les étudiants, des policiers ou équipes de nettoyage de la Ville de Paris (selon les versions) auraient nettoyé des traces de sang. Problème: on ignore l’identité de la victime présumée, son état, et l’hôpital où elle aurait été transférée.

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Rumeur qui persiste

Plusieurs médias reprennent ces informations: Politis relaie les témoignages de deux témoins; le Média diffuse le témoignage d’une jeune fille, Leïla, qui raconte avoir vu du sang lui sortir par les oreilles; et Marianne reprend le récit d’une reponsable de l’Unef affirmant qu’un étudiant est dans le coma, avant de se corriger pour écrire «gravement blessé», puis de finalement reprendre le démenti de la préfecture.

Car au fur et à mesure de la journée, la préfecture dément à deux reprises qu’un étudiant ait été gravement blessé. L’université dit se fier au communiqué de la préfecture et affirme que ses équipes de sécurité n’ont vu aucune scène de ce genre. Le ministère de l’Intérieur confirme le démenti, mais la rumeur continue de persister. Vendredi soir, en assemblée générale sur le site de Censier à Paris-III, des étudiants affirment que la victime serait un migrant, ce qui expliquerait notamment qu’aucun proche ne se soit manifesté…

Samedi matin, Reporterre maintient son information et publie trois témoignages. Il y aurait deux témoins directs et une troisième personne ayant vu le corps à terre. Dans la foulée, SUD Santé, qui a cherché sans succès où la personne blessée aurait pu être hospitalisée, s’interroge dans un communiqué sur une «rumeur ou [un] mensonge d’Etat». «Nous savons qu’un patient a été proposé à la grande garde de neurochirurgie mais refusé parce que ne relevant pas de la chirurgie et transféré dans un autre établissement, note le syndicat sans qu’aucun lien direct ne soit établi avec Tolbiac. Les faits sont pour pour le moins troublants», conclut-il en demandant à l’APHP de «lever le voile sur cette affaire».

Samedi après-midi, c’est au tour des hopitaux de Paris de communiquer… en démentant la rumeur.

Que ce soit vendredi ou samedi, Reporterre a mis à jour ses articles au fur et à mesure. Notamment en publiant des démentis contredisant leurs témoignages, dont celui de Mao Peninou, maire adjoint chargé de la propreté de la Ville de Paris: « Nous avons mené une enquête dans nos services. Qui conclut que n’avons ni nettoyé ni repéré de taches de sang ou quoi que ce soit de ressemblant à Tolbiac ou dans ses environs.» Une témoin citée par Reporterre confirme pourtant que des traces ont été nettoyées.

Reporterre de moins en moins affirmatif

Résumons la situation en fin de week-end: d’un côté, plusieurs témoins continuent d’être cités pour affirmer qu’une personne est grièvement blessée. De l’autre, les autorités dans leur ensemble démentent formellement. Lundi matin, quand on commence à revenir à froid sur l’enquête, les étudiants et SUD AP-HP renvoient vers l’article de Reporterre. Sauf que le site, de son côté, commence à être moins sûr…

Le fondateur du site et rédacteur en chef, Hervé Kempf, explique à Libération qu’un des témoignages évoqués brièvement dans l’article publié vendredi soir, s’est révélé faux. On y lisait: «Selon un.e membre de la “Commune libre de Tolbiac” et ami.e de l’étudiant blessé, contacté.e par Reporterre, son camarade a été transporté à l’hôpital Cochin, à Paris. Le personnel hospitalier lui a confirmé l’arrivée d’un étudiant de Tolbiac, inconscient. L’étudiant, inscrit à Tolbiac, est âgé d’une vingtaine d’années. Il est membre de la Commune libre.» Sauf que «l’ami», n’a plus jamais répondu aux sollicitations de Reporterre. «Peu après, on a eu le démenti de SUD Santé [disant n’avoir aucune confirmation d’une hospitalisation, ndlr] et on l’a publié à la suite.» Hervé Kempf explique avoir conservé l’article en l’état, sans le retirer et en publiant les démentis au fur et à mesure, dans un souci de transparence. «S’il s’avère que les témoignages ne sont pas fiables, on le dira», prévient-il alors.

Libération a cherché à entrer en contact avec les autres témoins cités. En vain. Il s’avère que le témoin clé, Désiré dans l’article de Reporterre, est injoignable: il protégerait son identité. Le deuxième témoin, selon la Commune libre de Tolbiac, serait beaucoup plus difficile à joindre, dit-on sur un ton un peu embarrassé. A mi-mots, on nous concède que sa fiabilité commence à être mise en doute. Quant au troisième témoin de Reporterre, celui qui a vu la flaque, les étudiants ignorent qui il est. On apprendra par la suite qu’il s’agit de Leïla, l’étudiante qui racontait au Média que «la première chose qu’on a vue […], c’est un gars devant les grilles, la tête complètement explosée, une flaque de sang énorme». Contactée par Libération, elle reconnaît pourtant avoir menti… tout en continuant d’affirmer qu’il y a bien eu un blessé grave. Mais elle ne l’a pas vu : «Je ne suis pas un témoin visuel. Les témoins ne veulent pas parler aux médias, c’est pourquoi nous relatons les faits.» 

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Flaque de sang nettoyée ?

La rumeur s’appuie donc finalement sur deux témoins… introuvables. Un avocat aurait été contacté, mais n’aurait finalement pas pris le dossier. Impossible de le contacter aussi. Des riverains auraient-ils pu assister à la scène? On nous parle d’une passante qui, dans un bus, aurait aperçu un camion de pompiers… Les étudiants ont mis sur pied une équipe d’enquête, qui n’a en fait rien de plus que les témoignages. Ni vidéo, ni photos…

Une enquête de voisinage a été menée par Libération dans l’immeuble qui donne sur la rue Baudricourt (où auraient eu lieu les faits) et les fameux parapets de l’université. Six riverains, réveillés au moment de l’évacuation et qui l’ont regardée par leurs fenêtres, assurent formellement n’avoir ni vu, ni entendu aucune ambulance, camion de pompiers ou gyrophare. Personne non plus nettoyant d’éventuelles flaques de sang.

Contacté par Libération, mardi soir, Reporterre a affirmé avoir fini son enquête. Et en conclut donc que les témoignages cités dans leurs précédents articles n’étaient pas fiables. Les journalistes «n’arrivent pas à remettre la main» sur les témoins, et Désiré, «qui avait pourtant tout consigné dans un récit écrit très cohérent» (qui sera publié sur le site mercredi matin), a fait deux fois faux bond à l’avocat contacté par les étudiants. Le journal en ligne explique donc qu’il reviendra sur cette enquête, «en expliquant le contexte de l’intervention, avec des étudiants choqués, dans un état d’excitation, de peur et de colère», dans un article finalement publié mardi soir.

Source : Liberation.fr

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