Publié par Pierre Lurçat le 4 juin 2018

À l’heure de la contestation toujours plus répandue du travail, d’inspiration néo-marxiste ou sociologisante, il peut paraître osé ou provocateur de faire l’éloge du travail. C’est le pari que relève Evelyne Tschirhart, professeur honoraire d’arts plastiques et auteur de plusieurs ouvrages sur l’éducation (parmi lesquels L’école à la dérive et Des élèves malades de l’école, éditions de Paris/ Max Chaleil) mais aussi d’un roman et de livres de photos. Dans son dernier livre intitulé Vive le travail ! Des hommes et des femmes parlent de leur métier, elle donne la parole à des hommes et des femmes venus d’horizons très divers, dont le point commun est l’amour de leur(s) métier(s). Ce livre n’est pas un essai, mais un recueil de témoignages qui permet de découvrir un autre visage de la France d’aujourd’hui.

Pierre Lurçat : Evelyne Tschirhart, pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

E.Tschirhart : L’idée m’est venue un peu par hasard, lors d’un déjeuner avec un voisin qui avait été entrepreneur dans le bâtiment. Ce qu’il racontait était passionnant et je lui ai demandé s’il accepterait une interview plus détaillée. Il n’a pas hésité. J’ai ainsi appris beaucoup de choses que j’ignorais sur le monde du travail. Par la suite, j’ai cherché d’autres personnes ayant travaillé ou travaillant dans différents secteurs et qui avaient envie de s’exprimer sur leur métier. J’avais élaboré un questionnaire qui servait de trame pour les guider. Tous se sont prêtés à mes questions avec enthousiasme.

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Par-delà les différences entre les personnes que vous avez rencontrées, quels traits communs ressortent de leurs itinéraires ?

Bien que différentes quant à leur personnalité, ces personnes ont manifesté une vraie passion pour leur métier, même quand elles ont dû changer de voie. Créer, se dépasser est un leitmotiv qui revient dans chacun de ces récits. Pourtant, leurs parcours n’ont pas été sans difficultés mais ils n’ont pas renoncé. Ce qui m’a frappé aussi c’est leur attachement à la liberté : liberté d’entreprendre, de se dépasser. Ils mettaient un point d’honneur à réussir dans le domaine de leur choix. Ensuite, ils n’ont pas abdiqué face aux difficultés et j’ai pu constater concrètement à quel point l’Etat est un frein puissant dans le monde de l’entreprenariat. Charges trop lourdes qui dissuadent l’embauche, RSI abusif, lourdeurs administratives, code du travail indigeste, loi sur les 35 heures aberrantes particulièrement dans les structures hospitalières. Difficulté enfin à trouver des jeunes motivés pour le travail. Pourtant, tous ont dit ne rien regretter.

Vous critiquez une politique de découragement de l’entreprise et du travail qui « ridiculise le goût de l’effort » en « privilégiant une politique de loisirs et une société festive ». À qui s’adresse cette critique ?

Le goût de l’effort s’apprend d’abord au sein de la famille puis à l’école. On sait que beaucoup de familles sont très permissives à l’égard de leurs enfants. La société festive valorise le plaisir et l’hédonisme en général. Or, l’école elle aussi a démissionné. Plus de devoirs à la maison, plus de punitions, passage automatique d’une classe à l’autre, ne pas ennuyer les élèves, apprendre de façon ludique et si possible dans l’interdisciplinarité ! Je rapporte dans mon prochain livre sur l’école (1) une anecdote assez saisissante lue dans « Une France soumise » de Georges Bensoussan : une inspectrice visitant une classe de Français dit à l’enseignante : « S’ils n’ont pas envie de lire, n’insistez pas » ! Cela dit tout du mépris de l’institution à l’égard des élèves…

C’est la gauche qui a détruit l’école de la transmission des savoirs, poussée par les pédagogistes à l’idéologie fumeuse. La droite, par lâcheté, n’a rien fait pour redresser la barre. Par ailleurs, l’enseignement professionnel a été laissé pour compte et on a encouragé les élèves, quel que soit leur niveau, à poursuivre des études longues, si possible jusqu’à l’université. On a vu le résultat : des cohortes de jeunes sans diplôme et sans travail ! Les enseignants – beaucoup se revendiquent de la gauche, sont en majorité hostiles à l’entreprise et aux patrons. L’économie ne les intéresse pas et c’est ainsi qu’un grand nombre de jeunes sont orientés par défaut. Il faut avoir de la pugnacité, quand on est jeune et qu’on a une idée du métier qu’on veut faire, pour s’orienter dans une formation artisanale ou professionnelle.

En abaissant les exigences, en obligeant les professeurs à ne plus faire cours mais à laisser l’élève construire son savoir, l’Education nationale, c’est-à-dire l’Etat, porte une lourde responsabilité dans la détérioration criminelle de notre enseignement. Sous le quinquennat Hollande, il importait surtout à l’Etat socialiste de formater un homme nouveau afin que les élèves, dès leur plus jeune âge, soient éduqués aux idées progressistes du LBTG et de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des sexes !

Vous citez aussi la romancière américaine d’origine russe Ayn Rand, dont les romans, notamment « Atlas Shrugged » (La grève), ainsi que « La source vive » sont des best-sellers aux Etats-Unis, et que certains présentent comme les livres de chevet du Président Donald Trump. Pensez-vous que l’élection de Donald Trump marque un retour aux valeurs des pères fondateurs des Etats-Unis, et une telle évolution est-elle possible en France ? Comment réhabiliter le travail en France ?

J’ai lu Ayn Rand lorsque ses livres ont été traduits en France en 2011, aux éditions « Les Belles Lettres ». Ce fut une révélation ! La grève, comme La source vive sont un hymne à la beauté du travail, à l’intelligence créatrice, à l’égoïsme bien compris et à la liberté. C’est la foi en l’individu qui préfère la liberté et le risque à l’asservissement. Et ce qui est parfaitement montré, de façon romanesque, c’est la nocivité de ceux qui veulent le bien de l’humanité en annihilant la responsabilité des hommes pour en faire des assistés. Evidemment, cet assistanat a un prix ! Il faut faire allégeance au gouvernement qui est là pour s’occuper de vous, tout au long de la vie en échange de votre docilité électorale. Comme vous le rappelez, Ayn Rand a vécu sous l’ère soviétique et elle savait que ceux qui veulent faire votre bonheur vous enfoncent dans le malheur.

 

Concernant Donald Trump, tellement agoni d’insultes et de mépris par nos « élites », j’ai le sentiment que son expérience d’entrepreneur qui a réussi le disqualifiait dès le départ, car il n’appartient pas à cette bureaucratie politique et médiatique qui se retranche derrière les belles idées de « solidarité » pour anesthésier le peuple qu’elle méprise, tandis qu’elle tient les manettes du pouvoir pour son profit. Le peuple américain a répondu en élisant Donald Trump. On dirait bien qu’il a plébiscité l’audace, le courage, le bon sens et la liberté. En ce sens, Donald Trump fait revivre les idéaux des Pères fondateurs qui préconisaient le moins d’Etat possible, la liberté d’entreprendre et la protection des biens et des personnes. « America first », c’est un égoïsme bien compris ! Nous devrions en prendre de la graine ! Pour réhabiliter le travail en France, il faudrait que l’Etat se désinvestisse de l’économie. Il est le principal frein à la situation désastreuse que nous connaissons ; il asphyxie ceux qui veulent créer des richesses en les taxant de charges et d’impôts iniques, en leur imposant des règles tatillonnes au prétexte qu’il faut protéger les salariés et les sans emploi. Les timides réformes vers plus de libéralisme de Macron sont contrecarrées par des mesures inverses et un matraquage d’impôts sans précédent sur les classes moyennes. Toujours au nom de la solidarité !

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De manière concomitante à la dévalorisation du travail, on assiste aujourd’hui au développement d’une forme de travail sous-payé et d’une nouvelle classe sociale de « working poors » (travailleurs pauvres) dont le salaire ne leur permet pas de vivre décemment. Est-ce que les excès du capitalisme ne sont pas tout autant responsables de la crise du travail que les politiques d’inspiration socialiste ?

Sans entrer dans le détail, il semble que la persistance d’une nouvelle pauvreté laborieuse est le plus souvent le résultat d’un ensemble de politiques publiques. En France, on a développé le travail à temps partiel ainsi que des emplois à très faible rémunération horaire, c’est-à-dire proche du Smic, et créé les emplois instables que sont les CDD. Ce sont ces facteurs qui ont contribué à l’apparition et la persistance de la pauvreté laborieuse. Encore une fois ce n’est pas le capitalisme qui est en cause mais essentiellement les politiques de l’emploi des pouvoirs publics, dont le but est de faire artificiellement baisser le chômage. Derrière de bonnes intentions le mal qu’on croit combattre ne fait que s’amplifier.

Plusieurs des personnes que vous avez interviewées parlent de la difficulté d’être entrepreneur en France et des multiples obstacles à la création et à la pérennité des petites et moyennes entreprises. Au-delà des obstacles bureaucratiques et fiscaux, y a-t-il des raisons plus profondes à ce phénomène ?

On peut dire que les charges sociales, les impôts mais aussi les risques encourus par les entrepreneurs sont le plus grand obstacle à l’entreprenariat. Si les salariés sont aidés par des allocations chômage, par exemple, le petit patron ne peut compter que sur lui-même. Beaucoup doivent couvrir des impayés lorsque le client s’évapore dans la nature. Cela arrive ! Beaucoup de micro-entreprises sont créées chaque année mais peu résistent au matraquage fiscal, dès lors qu’elles passent en société. Il faut donner beaucoup d’heures de travail pour vivre à peu près correctement et il en résulte un impact sur la vie de famille. Et puis l’idéologie ambiante pousse les jeunes à rêver de la sécurité de l’emploi. Devenir fonctionnaire est devenu pour certains la panacée. C’est un cercle vicieux. Notre système a fini par tuer l’audace, le désir de prendre des risques, de se dépasser, de chercher avant tout la qualité. La grandeur de l’homme peut se mesurer aussi dans l’amour du métier. J’aurais tendance à dire que l’Etat décourage le travail bien fait et le pervertit. Milton Friedman, citant de grands découvreurs écrit dans son introduction à « Capitalisme et liberté » :

À la source de leurs exploits, il y a le génie individuel, de vigoureuses convictions minoritaires et un climat favorable à la variété et à la diversité.

On peut constater que plus l’Etat est intrusif, moins il permet l’éclosion des capacités individuelles.

Un des constats qui ressort de votre livre est le rôle pervers des syndicats qui, loin de défendre les salariés, sont surtout mus par leurs intérêts particularistes et politiques et qui « roulent pour eux-mêmes ». S’agit-il d’un phénomène spécifique à la France ? Peut-on envisager une autre forme de syndicalisme, plus conforme à la vocation de défense des salariés ?

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les syndicats de « lutte de classe » ont perverti le rôle légitime de la défense des salariés. Cela est propre à la France plus qu’ailleurs en Europe, du moins dans la durée. C’est lié aux relations incestueuses entre les syndicats comme la CGT et les partis dont ils sont la courroie de transmission, comme le Parti Communiste. Aujourd’hui les syndicats ne représentent plus grand-chose en nombre d’adhérents mais ils ont du mal à se défaire de leur idéologie qui consiste à voir dans le patronat l’ennemi à abattre. Cela évolue mais trop lentement. On le voit avec les conflits actuels de la SNCF et celui d’Air France. Le résultat est simple à comprendre : nous devrons payer les pots cassés ! Le syndicalisme devrait être le partenaire de l’entreprise pour le bien de celle-ci et celui des travailleurs qui ont un intérêt commun dans la bonne marche de celle-ci.

Vous écrivez que c’est dans les pays totalitaires qu’on travaille le moins. Vous avez publié un livre intitulé « Deuxième retour de Chine ». Quel est votre expérience du totalitarisme chinois ?

Il serait trop long ici de développer cette expérience de deux ans et demi passés en Chine pendant la révolution culturelle. Dans mon domaine, celui de l’enseignement, je peux dire que l’envoi des jeunes étudiants à la campagne (professeurs inclus) pendant cinq ans fut un gâchis épouvantable et eut des répercussions dramatiques sur la production et les compétences des « jeunes instruits » qui ne l’étaient plus du tout. La peur de mal penser était omniprésente et donc interdisait la moindre initiative de la part des individus. J’ai assisté à des réunions politiques dans l’Institut où je travaillais où les personnels, toutes catégories confondues, étaient assommés de réunions politiques organisées par le parti. Des heures prises sur le temps des cours, des heures perdues où les femmes apportaient leur tricot afin de ne pas perdre complètement leur temps. Cela s’appelait « la politique au poste de commandement » ! La production dans les usines passait au second plan, laissant le pas au catéchisme en vigueur, à savoir l’étude du petit livre rouge et les récoltes pourrissaient dans les campagnes pendant que les paysans étaient astreints aux évocations du passé ! Un passé convoqué inlassablement pour mettre en valeur les bienfaits du socialisme. Les innovations dans le secteur de la production ne pouvaient se réaliser que dans le cadre de la politique impulsée par le Parti. On a vu comment Mao, avec sa lubie des hauts fourneaux dans les campagnes (pour produire de l’acier et rivaliser avec les puissances occidentales et l’Union soviétique), a déclenché une terrible famine tuant ainsi plusieurs millions de personnes. Toujours pour « servir le peuple » !

Cette expérience m’a fait comprendre que seule la liberté individuelle est créatrice de richesses et de dignité pour l’individu.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Lurça pour Dreuz.info.

1 – « L’école du désastre » à paraître aux éditions de Paris/Max Chaleil

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