Publié par Magali Marc le 27 juin 2018

Lors d’une élection marquée par de nombreuses allégations de fraude, l’expulsion et le harcèlement d’observateurs indépendants et une quasi-interdiction de la présence de candidats de l’opposition à la télévision, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a été réélu.

Ses détracteurs l’accusent de dérive autocratique, en particulier depuis la tentative de putsch de juillet 2016, suivie de purges massives qui ont touché des opposants et des journalistes. Avec l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle, M. Erdogan peut rester au pouvoir jusqu’à 2028 s’il est réélu.

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Il a été félicité par les grands démocrates que sont Emmanuel Macron, Vladimir Poutine, Angela Merkel et Mahmoud Abbas.

Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit l’article de Herb Keinon, paru dans le Jerusalem Post, le 26 juin.

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Analyse : après la victoire d’Erdogan, que doit faire Israël ?

Israël devrait-il essayer de sauver ce qui peut être sauvé de sa relation avec la Turquie ou devrait-il considérer la Turquie comme une perte ?

Les Gazaouis ont peut-être tiré des feux d’artifice pour célébrer et le président de l’Autorité falestinienne, Mahmoud Abbas, a téléphoné pour féliciter le dictateur turc, mais il n’y a pas eu de manifestation d’allégresse mardi à Jérusalem lors de la victoire du président turc Recep Tayyip Erdogan et de son parti lors des élections de dimanche.

Erdogan, qui soutient le Hamas et dont la rhétorique anti-israélienne est vitriolique, a fait descendre les relations israélo-turques à son plus bas niveau juste un mois avant les élections en expulsant «temporairement» l’ambassadeur d’Israël en Turquie, et en rappelant son propre ambassadeur en réaction à la façon dont Israël a réagi lors des émeutes le long de la barrière de sécurité à Gaza.

Israël a répliqué en expulsant «temporairement» le consul général de Turquie à Jérusalem, le responsable des relations de la Turquie avec Jérusalem-Est, la Cisjordanie et Gaza.

La Turquie a versé d’énormes sommes d’argent aux institutions et aux organisations islamiques qu’elle soutient à Jérusalem-Est, et a également utilisé le consulat général comme point de chute de l’envoi d’aide vers Gaza.

Tandis que certains ont vu dans l’expulsion de l’ambassadeur israélien une façon pour Erdogan de faire mousser ses perspectives électorales – une méthode qu’il a souvent utilisée – peu à Jérusalem croient, maintenant que la campagne est terminée, que les relations entre les deux pays vont s’améliorer de manière significative.

Il y a toutefois un débat sur ce qu’Israël devrait faire maintenant.

Est-ce qu’Israël devrait essayer de sauver ce qui peut l’être dans sa relation avec la Turquie, dans l’idée que les liens économiques, commerciaux et culturels entre les deux pays sont toujours importants, méritent d’être entretenus, et en se disant qu’Erdogan ne durera pas éternellement ?

Ou devrait-il considérer que la Turquie est perdue, n’en vaut pas la peine, et n’est pas si importante d’un point de vue stratégique ?

Un premier signe de la direction qu’Israël va prendre à ce sujet pourrait arriver dès mardi, alors que la Knesset devrait débattre d’une résolution reconnaissant le génocide arménien. Cette motion figurait déjà à l’ordre du jour, mais, lundi soir, on ne savait pas très bien si elle serait présentée comme prévu (NDT On sait maintenant que le vote a été annulé).

Le Premier ministre Benjamin Nétanyahou a accepté une recommandation du Ministère des Affaires étrangères au début du mois à l’effet de reporter la discussion du projet de loi après la tenue des élections en Turquie de manière à ne pas aider Erdogan.

Une décision de retarder davantage la discussion sur ce projet de loi pourrait signifier qu’Israël attend de voir si – maintenant que les élections sont terminées – Erdogan va ramener les relations au point où elles en étaient avant l’expulsion de l’ambassadeur d’Israël.

Le Jerusalem Post s’est entretenu avec deux universitaires israéliens qui suivent de près la question turque et qui ont des points de vue opposés en ce qui concerne ce qu’Israël devrait faire, face à la Turquie: Nimrod Goren, chef de Mitvim (Israeli Institute for Regional Foreign Policies) et conférencier en études du Moyen-Orient à l’Université hébraïque de Jérusalem; et Emmanuel Navon, chercheur à l’Institut d’études stratégiques de Jérusalem et chargé de cours en relations internationales à l’Université de Tel-Aviv et au Centre interdisciplinaire d’Herzliya.

Selon Goren, Israël devrait accepter, vu le résultat des élections, le fait que Jérusalem va devoir encore traiter avec Erdogan pour un certain nombre d’années. L’espoir, entretenu par beaucoup à l’effet que les élections apporteraient un changement de leadership en Turquie ne s’est pas concrétisé.

En tant que tel, a déclaré Goren: «L’objectif (d’Israël) devrait être de maintenir une relation productive» avec Erdogan et son gouvernement.

Goren pense qu’il est facile de « se retrancher derrière une position agressive envers Erdogan – et il certainement a créé les conditions pour cela – mais, somme toute, les deux pays ont trouvé un moyen de travailler ensemble et de faire progresser leurs intérêts économiques dans le passé. Cela vaut la peine d’être poursuivi.»

Goren dit, qu’en fin de compte, la relation avec la Turquie est une relation stratégique importante pour Israël car c’est un grand pays musulman avec lequel Israël entretient des relations depuis 1949. «Il n’y a pas beaucoup de pays dans la région avec lesquels Israël est capable de travailler ouvertement», a-t-il dit, ajoutant que c’est une chose qui mérite d’être préservée.

Il a cependant déclaré qu’Israël doit demeurer réaliste et se rendre compte que les obstacles pour faire progresser les relations avec la Turquie – Gaza, Jérusalem et les Falestiniens – ne disparaîtront pas, et que chaque fois qu’il y aura une crise avec les Falestiniens ou une escalade de la violence, on doit s’attendre à ce qu’Erdogan «n’agisse pas différemment.»

En même temps, Goren dit qu’Erdogan a pris soin de ne pas trop envenimer la crise relationnelle avec Israël, et n’a pas soutenu un mouvement récent au parlement turc destiné à geler leurs liens économiques. Il a également noté que même avec l’expulsion de l’ambassadeur, il n’y a eu aucune déclaration officielle turque créant une réelle rétrogradation de la relation.

Alors que la rhétorique turque est agressive depuis 2008 et l’Opération Plomb Durci à Gaza, il existe des liens économiques significatifs entre les deux pays qui, selon Goren, devraient être promus.

La première chose que nous devrions faire, a déclaré Goren, «c’est de reconnaître que les liens avec la Turquie méritent d’être préservés, et que malgré notre colère envers Erdogan, la Turquie demeure un pays important dirigé par un leader qui sera au pouvoir pendant des années.»

«Israël, selon lui, devrait essayer de créer d’autres canaux de communication avec la Turquie pour rétablir la situation d’avant les émeutes de Gaza et l’expulsion de l’ambassadeur et du consul général.»

Emmanuel Navon, cependant, est tout à fait en désaccord avec Goren.

Emmanuel Navon : «Erdogan est islamiste, sa politique étrangère est islamiste, il soutient l’Iran, il soutient le Hamas, il a une haine profondément enracinée envers Israël et les Juifs »

Selon le Dr Navon, maintenant que les élections sont terminées, M. Erdogan va continuer à soutenir ouvertement le Hamas et à faire des «déclarations scandaleuses concernant Israël».

«D’après moi, les relations entre Israël et la Turquie vont continuer de se détériorer et Israël devrait plutôt se concentrer sur ses relations avec la Grèce et Chypre».

Interrogé sur l’intérêt qu’aurait Erdogan à détériorer davantage les liens avec Israël, Emmanuel Navon a déclaré:

«Il est islamiste, sa politique étrangère est islamiste, il soutient l’Iran, il soutient le Hamas, il a une haine profondément enracinée envers Israël et les Juifs. Ça marche pour lui sur le plan international parce que, du coup, il est devenu le leader du monde musulman.»

Le Dr Navon a rappelé que peu après son élection en 2002, Erdogan avait empêché les troupes américaines d’utiliser des bases en Turquie pour envahir l’Irak, ce qui a fait de lui un héros dans le monde arabe et musulman et l’avait catapulté dans une position de leader. Il a poursuivi des politiques similaires depuis.

«Plus il est agressif envers Israël, plus il est considéré comme le seul leader dans le monde musulman qui s’exprime et qui est prêt à affronter les États-Unis et Israël», a déclaré M. Navon, ce qui ajoute à sa stature dans les pays arabes et musulmans.

Plutôt que de poursuivre Erdogan, Israël devrait affirmer que son gaz naturel passera par Chypre et par la Grèce, et non par un gazoduc traversant la Turquie, a déclaré le Dr Navon.

Il pense aussi qu’Israël devrait user de son influence à Washington afin de convaincre le Congrès de reconnaître le génocide arménien.

«L’une des raisons pour lesquelles les Turcs se sont rapprochés d’Israël dans les années 1990 était parce qu’ils voulaient utiliser le lobby israélien aux États-Unis afin d’empêcher le Congrès de reconnaître le génocide arménien.

Maintenant, nous devrions utiliser cet atout, et leur dire que s’ils brûlent les ponts avec nous, nous leur en ferons payer le prix.»

Emmanuel Navon n’est pas d’accord avec ceux qui disent qu’Israël devrait sauver ce qui peut l’être de sa relation avec la Turquie.

«Israël est un pays puissant, doté d’une économie forte. C’est un acteur géopolitique important ayant des liens étroits avec les États-Unis et d’autres pays. Nous ne sommes plus dans les années 1960, et il est temps que nous nous en rendions compte.»

Interrogé à savoir si Israël a besoin de la Turquie, le Dr Navon a simplement répondu: «Pour quoi faire ?»

Reproduction autorisée avec la mention suivante : traduction © Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.

Source:
https://www.jpost.com/International/Analysis-After-Erdogans-victory-what-should-Israel-do-560870

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