Publié par Magali Marc le 13 juin 2018

avec les événements de 1979. Premièrement, les troubles ont commencé non seulement chez les Farsis mais aussi chez les Azéris, la plus grande minorité du pays. Deuxièmement, la révolution a réuni des réformateurs libéraux avec la classe marchande du bazar et le clergé chiite. Troisièmement, la Constitution de 1906 avait une structure à deux niveaux : ses articles d’ouverture exigeaient que toutes les lois votées par le parlement soient soumises à un comité d’ecclésiastiques chiites afin d’être jugées conformes à l’Islam.

Le Qajar Shah d’alors a signé la constitution à la fin de 1906, mais est mort cinq jours plus tard, sur quoi son fils et successeur a entrepris de l’annuler, un but qu’il a atteint en 1908 avec l’aide des Russes et des Britanniques. L’année suivante, les constitutionnalistes ont rassemblé leurs forces, l’ont expulsé et ont installé sur le trône son fils en bas âge. Dans la pratique, toutefois, ni le parlement ni le jeune Shah, lorsqu’il a essayé de coopérer avec lui après sa majorité, n’ont été des dirigeants très efficaces, bien qu’un programme de modernisation considérable ait été tenté. La Première Guerre mondiale a apporté de nouveaux malheurs : d’abord le régime britannique puis le régime communiste russe ont envahi le pays alors que les Britanniques tentaient d’inverser la révolution russe d’octobre depuis l’Iran.

La misère et la confusion qui en résultèrent permirent à un jeune officier de l’armée, Reza Pahlavi, de prendre le pouvoir dans les années 1920, d’expulser les Qajars et de devenir Shah lui-même. Il a adopté une politique de modernisation et de sécularisation similaire à celle initiée par Ataturk en Turquie. Au début de la Seconde Guerre mondiale, cependant, il a été soupçonné d’accumuler de vastes richesses. Il s’est également opposé au souhait des Britanniques de ravitailler l’Union Soviétique par rail via l’Iran. Les forces britanniques et soviétiques envahirent le pays le 25 août 1941 et le contrôlèrent en un mois. Les Britanniques lui firent une offre qu’il ne pouvait refuser : abdiquer en faveur de son fils, Mohammad Reza Pahlavi, et s’exiler.

La carrière du fils (1941-1979) est assez connue pour ne pas avoir besoin de la rappeler en détails. Il est important de noter, cependant, qu’il n’a pas dû seulement sa chute à son extravagance personnelle ou à son service de sécurité oppressif. Ce n’était pas seulement les excentricités mégalomaniaques de ses dernières années, comme le concours incroyablement coûteux de 1971 pour célébrer les 2500 ans de la monarchie perse, bien que sa propre monarchie n’ait rien à voir avec l’ancienne Perse et ne provenait que de son père. Ou bien sa décision en 1976 de changer l’année un du calendrier (un calendrier mixte islamique / persan introduit par son père en 1925) de la période de l’Héjire du prophète Mohammed à la conquête de Babylone par Cyrus, ce qui a inutilement incommodé toute la population.

Au-delà de tout cela, Mohammad Reza Shah Pahlavi a aliéné les trois classes impliquées dans la révolution de 1905/06, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Les constitutionnalistes étaient furieux de l’abolition par Pahlavi du Parti communiste et de tous les autres partis en faveur de son propre parti en 1975. Les réformes économiques et agricoles de sa soi-disant révolution blanche de 1963-1978 (« blanc » signifiant « sans effusion de sang ») offensaient les marchands de bazar et les grands propriétaires fonciers, y compris les fondations religieuses chiites. Son abolition de la discrimination contre les femmes et les minorités religieuses, y compris les Bahaïs perpétuellement persécutés, a exaspéré les dignitaires religieux conservateurs. Quand son successeur éventuel, Ruhollah Khomeini, s’est exilé volontairement en 1964, c’était pour protester contre la révolution blanche et plus particulièrement contre la perspective intolérable qu’un homme musulman puisse être jugé par une juge chrétienne. Au cours des décennies précédentes, les deux Shahs Pahlavi avaient réussi à ne pas tenir compte de l’exigence constitutionnelle de soumettre des lois aux clercs pour obtenir l’approbation islamique, mais cela allait trop loin.

Ainsi, lorsque tous ceux qui s’opposaient au Shah pour des raisons non religieuses s’unirent autour de Khomeiny pour l’amener au pouvoir en 1979, ils s’imaginaient surtout qu’il ne ferait que rétablir les dispositions religieuses de la Constitution de 1906. Ils découvrirent bientôt que leurs aspirations politiques , fortement réduites par Mohammad Reza, disparaîtraient et qu’ils subiraient une persécution bien pire sous le nouveau régime orienté religieusement. Inconnu d’eux, ou non pris au sérieux par les rares personnes qui en ont trouvé des copies au marché noir dans les bazars, était un livre sur les conférences données par Khomeini en exil (1970) dans lequel il expliquait sa propre conception de gouvernement à deux niveaux.

Le projet de Khomeiny de mettre sur pied un gouvernement religieux chiite fût rapidement et complètement mis en œuvre avec la Constitution de 1979 de la République islamique d’Iran. Au lieu d’un simple comité de clercs pour examiner la législation, il devait y avoir tout un niveau de contrôle religieux parallèle au niveau inférieur des représentants élus. Ainsi, le président élu et le parlement seraient simplement responsables des tâches quotidiennes de la gestion des affaires courantes, tandis que le cours fondamental du pays serait entre les mains d’un guide suprême (Khomeiny lui-même) et d’un conseil des gardiens composé exclusivement des plus hauts dignitaires et juristes chiites. Seules les personnes approuvées par le Conseil des gardiens pourraient devenir candidates à un poste élu au niveau inférieur. De plus, tout le système judiciaire serait subordonné au Guide suprême.

Amir Taheri, rédacteur en chef du journal iranien le plus prestigieux avant 1979, a récemment donné un exemple éloquent de la manière dont fonctionne le système à deux niveaux. C’est pourquoi le président actuel, Hassan Rouhani, qui est arrivé au pouvoir en souhaitant libérer certains réformistes de leur assignation à résidence, a été incapable de le faire. C’est aussi pourquoi la peine de mort a été appliquée plus fréquemment après son élection que sous son prédécesseur dément et fondamentaliste, Mahmoud Ahmadinejad. (La folie de ce dernier a été jugée trop dangereuse même par le Conseil des Gardiens, qui a opposé son veto à sa récente tentative de se représenter à la présidence.)

C’est aussi pourquoi les choses n’ont pas beaucoup changé même si lors des récentes élections, les réformistes (eslahtalaban, littéralement «appelants à la réforme») ont repris la municipalité de Téhéran aux fondamentalistes (osulgarayan) et se sont imposés comme la plus grande faction du parlement détenue par des indépendants.

Les désirs des réformistes sont fréquemment frustrés par le niveau supérieur du régime, qui est rempli de fondamentalistes. De plus, ce sont des réformistes « apprivoisés » que le Conseil des gardiens a jugés non dangereux pour l’élection et qui peuvent facilement être écartés si ce jugement s’avère faux. En effet, une excuse a rapidement été trouvée pour encourager la démission de Mohammad-Ali Najafi, le nouveau maire réformateur de Téhéran. Son remplaçant est aussi un réformiste, qui devra aussi être dompté.

Entre-temps, la double structure a été étendue à d’autres régions de l’État. Le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGR) est une armée parallèle qui réalise les vœux du Guide Suprême ; c’était devenu d’autant plus nécessaire après que des éléments de l’armée eurent tenté un coup d’État en 1980. Il agit à la fois pour réprimer les troubles internes et mener les interventions militaires de plus en plus nombreuses de l’Iran dans les pays arabes.

Tous les grands facteurs de l’économie ont été déclarés propriété de l’État à l’article 44 de la Constitution de 1979, mais entre-temps une économie parallèle est apparue sous le contrôle du Corps des Gardiens et des trusts islamiques. (De même, la Stasi est-allemande possédait également des usines, tout comme une grande partie de l’économie égyptienne appartient à l’armée égyptienne.) Ces dernières années, on estime que le Corps des Gardiens possède un tiers ou plus de l’économie iranienne. Lorsque l’article 44 a été modifié – il y a plus de dix ans – pour permettre la privatisation, certaines entreprises d’État ont simplement été achetées par des entreprises appartenant au Corps des Gardiens.

Plus récemment, le successeur de Khomeiny en tant que chef suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a été persuadé par le président Rouhani d’ordonner au Corps des Gardiens de se défaire des industries non militaires. Pourtant, la privatisation elle-même a souvent signifié que l’État a transmis des entreprises au secteur privé afin de leur rembourser des dettes. De nombreux ex-gardes ont poursuivi une carrière dans le secteur privé. Même les médias officiels ont admis que le programme de privatisation est bourré de problèmes.

L’enthousiasme débordant pour Khomeiny s’est poursuivi jusqu’à sa mort en 1989, lorsque des millions de personnes se sont rendues

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