Publié par Magali Marc le 13 juin 2018

à son enterrement, provoquant un chaos massif. Peu importe qu’il ait tué des dizaines de milliers d’opposants politiques et qu’il ait envoyé des centaines de milliers de personnes, en particulier des enfants, mourir par vagues humaines lors de la guerre Iran-Irak de 1980-1988. Il a fallu quatre décennies aux Iraniens pour comprendre pleinement les dommages causés à leur pays par leur régime hybride et percevoir comment cela facilite la corruption, le copinage et l’incompétence, ainsi que les incursions militaires coûteuses à l’étranger.

Les catastrophes environnementales sont un exemple. Mohammad Reza avait lancé une série de projets de barrage avec des conseillers israéliens. Les Israéliens ont été expulsés en 1979 et plus tard des projets de barrages ont été entrepris par des individus du régime dans des endroits choisis maladroitement afin de favoriser leurs circonscriptions personnelles. Ajoutez à cela les années de sécheresse et le lac d’Ourmia, en Azerbaïdjan iranien, autrefois le plus grand lac d’eau salée de la terre, qui s’est en grande partie asséché. La Zayande Rud – la «rivière vivante» – qui coulait majestueusement à travers Ispahan sous une série de ponts pouvant atteindre 33 arches, se meurt maintenant avant d’atteindre Ispahan. Les agriculteurs de la province d’Ispahan sont confrontés à la ruine parce que leur eau a été détournée.

En septembre 2017, l’Iran semblait enfin faire face au problème de l’eau en nommant Kaveh Madani – un éminent expert iranien enseignant à l’étranger – pour s’occuper de cela. Le président Rouhani a exprimé l’espoir qu’il serait le premier de nombreux professionnels iraniens de retour au pays. Sept mois plus tard, Madani a démissionné et s’est empressé de quitter le pays après que les services de sécurité aient commencé à enquêter sur lui et qu’il ait été accusé dans la presse, de débauche et d’agir en tant qu’agent étranger. Cet exemple montre bien que le régime est incorrigible.

Les adieux de Madani : « Oui, l’accusé a fui un pays où les tyrans virtuels combattent la science, la connaissance et l’expertise et recourent aux théories du complot pour trouver un bouc émissaire pour tous les problèmes parce qu’ils savent bien que trouver un ennemi, un espion ou quelqu’un à blâmer est beaucoup plus facile que d’accepter la responsabilité et la complicité dans un problème ».

Les villes iraniennes excellent aussi dans la pollution de l’air. Dans la liste des 500 villes les plus polluées du monde, l’Iran avec 19 villes vient au cinquième rang après l’Inde, la Chine, la Pologne et la Turquie.

Mashhad sous un nuage de pollution

Alors que de tels malheurs ont provoqué des protestations locales dans le passé, les dernières perturbations ont une qualité fondamentalement différente. Elles peuvent être comparées aux protestations plus violentes d’un plus grand nombre en 2009 contre les irrégularités du vote lors de la réélection du président Ahmadinejad. À ce moment-là, les protestations étaient contre l’abus de la Constitution de 1979, acceptant implicitement la validité du régime à deux niveaux. Aujourd’hui, les protestations sont contre le régime lui-même.

Nous avons vu que la disparition de l’Allemagne de l’Est a été provoquée par des revirements individuels, voire accidentels, après une longue période d’évidement. Il est peut-être possible d’identifier un tournant décisif dans les cas des ayatollahs. Un des principaux projets de la présidence de Rouhani était de soulager le mécontentement populaire en mettant fin aux sanctions économiques contre l’Iran. Après l’accord sur le plan d’action global commun (JCPOA), le président américain Obama a libéré plus de 150 milliards de dollars d’actifs iraniens gelés. Rouhani et le public iranien ont supposé que l’argent serait disponible pour soulager la pauvreté et les dettes de nombreuses familles iraniennes. Au lieu de cela, le Guide suprême a décidé d’utiliser cette aubaine pour relancer les aventures militaires du Corps des Gardiens et des milices chiites étrangères dans les pays arabes.

L’Ayatollah Khamenei a ainsi démoli la longue et patiente politique de Rouhani et les espoirs de millions d’Iraniens. L’Iran dépense également de vastes sommes en essayant de se donner de l’influence en Afrique. Pire encore, en 2017, Rouhani avait tenté de réduire les subventions accordées aux institutions religieuses, qui sont souvent les fiefs privés de dignitaires religieux éminents et qui n’ont pas besoin de rendre compte de leurs finances. Lorsque le budget a été annoncé en décembre, toutefois, il comprenait des coupes dans les subventions au grand public et des augmentations pour les institutions religieuses. Le résultat est que, malgré la suppression des troubles initiaux, une série de grèves et de protestations s’est poursuivie. Il est évident que de nombreux travailleurs estiment que le niveau religieux du régime les considère comme des pions et que les élus ne peuvent pas les aider.

Le fait qu’une telle arrogance puisse s’avérer être l’erreur fatale des ayatollahs est corroboré par un curieux incident survenu à l’aéroport de Mashhad le 24 mai dernier. Tout d’un coup, les informations de vols sur les écrans électroniques ont été remplacées par un message d’un soi-disant « Throbbers Group » (vraisemblablement, des gens qui ont le cœur blessé). Comme le message peut être lu sous une photo téléchargée sur Internet, qui a reçu de nombreux « likes » avec pseudonymes iraniens, il vaut la peine de le traduire intégralement.

Nous, le groupe «Throbbers» avons pris le contrôle des moniteurs de l’aéroport afin de protester. Au cours des cinq derniers mois, le Corps des Gardiens a détruit la vie et le trésor du peuple iranien à Gaza, au Liban et en Syrie. Jusqu’à quand [le Corps] pourra t-il étouffer notre voix dans la gorge ? Nous nous unissons avec les nobles gens de Kazerun. Ce n’est que le début de nos actions. Si vous êtes des compagnons d’infortune avec nous, téléchargez et partagez la photo.

« Kazerun » fait ici référence à la violence qui avait éclaté une semaine plus tôt quand les forces du régime avaient affronté les manifestants qui étaient contre le projet de diviser cette ville en deux, un plan avancé par un membre du parlement pour son propre avantage personnel. La violence a provoqué des messages sur Internet tels que « [Le gouvernement] soutient Gaza et commet des crimes à Kazerun » et « Tout le temps, ils ont dit que l’Amérique était l’ennemi, l’ennemi est juste ici ». Quant à Mashhad, la deuxième plus grande ville d’Iran, c’est un très important site sacré chiite considéré comme étant un bastion des fondamentalistes, pourtant c’est là que la série de grandes manifestations a éclaté en décembre 2017.

L’évidement du régime est évident aussi chez les femmes. En janvier 1936, Reza Shah avait introduit une interdiction des couvre-chefs islamiques pour les femmes. Malgré des années de planification pour en arriver à cette étape, l’interdiction avait rencontré une opposition violente et son application était devenue une tâche majeure pour la police. Son fils a assoupli son application, de sorte que beaucoup de femmes ne se couvraient pas la tête mais d’autres pouvaient continuer à le faire. Après la révolution de 1979, cette politique a été complètement inversée et les femmes reçurent l’ordre de se couvrir toute la tête sauf le visage et aussi de porter des vêtements amples. Le tchador – littéralement « tente » – était spécifiquement recommandé, mais pas obligatoire. Ceux qui avaient été des partisans de Khomeiny pour des raisons non-religieuses étaient de nouveau terriblement déçus et ont protesté, mais la nouvelle loi a été appliquée aussi brutalement que l’ancienne.

Le 27 décembre 2017, la veille des troubles, Vida Movahed a eu l’inspiration de se rendre dans la rue de la Révolution islamique à Téhéran, de se tenir debout sur une boîte électrique et de tenir son foulard sur un bâton. Vida purge actuellement une peine de prison de deux ans et la boîte recouverte de graffitis a été retirée, mais elle a encouragé un mouvement d’imitation des « filles de la rue de la Révolution » (dokhtaran-e Khiyaban-e Enqelab) dans les villes iraniennes.

Même les piliers du régime ne savent pas comment faire face à ce phénomène. Des images ont émergé de femmes couvertes de tchador et agitant des couvre-chefs dans le but de souligner qu’elles aiment les vêtements traditionnels, mais ne veulent pas qu’ils soient imposés à d’autres femmes. Quand quelqu’un a filmé une femme qui avait été frappée par une policière de moralité vêtue d’un tchador pour avoir mal mis son couvre-chef, la vidéo postée sur Internet a attiré des millions de vues et des dizaines de milliers de commentaires. Même la vice-présidente des affaires féminines – qui porte elle-même un lourd tchador – a dénoncé la violence, déclarant lors d’une conférence de presse que le gouvernement devait dialoguer avec une jeune génération qui ne partage plus les valeurs de la génération de 1979. Le chef de la police de Téhéran a pour sa part, insisté pour dire qu’il allait continuer à appliquer vigoureusement la loi. Oui, Téhéran a maintenant un conseil municipal réformiste et un maire réformiste, mais la police reste la police.

Le mode de vie des femmes a en effet changé de manière décisive depuis 1979. À cette époque, les femmes avaient en moyenne

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