Publié par Magali Marc le 13 juin 2018

sept enfants. En 2012, ce taux était tombé à 1,9 avant de monter à environ 2,1 aujourd’hui, ce qui est généralement considéré comme le taux de remplacement dans une société moderne. Les femmes constituent également la majorité des étudiants universitaires. Curieusement, les dernières fatwas de Khomeini autorisant le contrôle des naissances furent en partie responsables de ce développement.

D’autres femmes ont récemment pénétré dans le stade Azadi de Téhéran, déguisées avec de fausses barbes, dans le but de regarder un match de football. Elles ont posté une photo joyeuse sur Internet. Un autre message récent montre des fans de football dans le même stade criant « Reza Shah, que votre âme soit heureuse » (Reza Shah, shah ruh-ash). Il est difficile de vérifier l’authenticité de la vidéo car les fans ne peuvent pas être distingués individuellement dans la foule. Dans une autre vidéo du début des troubles, cependant, on peut voir des individus criant le même chant, comme aussi lors des funérailles récentes d’un acteur. (Dans cette dernière vidéo, les hommes chantent « Reza Shah » et les femmes répondent « ruh-ash shad », c’est une liturgie de la nostalgie.)

Avant la révolution de 1979, le stade était appelé « Aryamehr » (« Lumière des Aryens »), un titre conféré à Mohammad Reza par le parlement en 1965. Les ayatollahs l’ont changé en « Azadi », signifiant « liberté », dans le cadre de leur imposition de la servitude. Donc, actuellement, il est en effet exploité pour des libertés subreptices.

La nostalgie de la période Pahlavi (de 1921, quand Reza Pahlavi a pris le pouvoir pour la première fois, jusqu’en 1979) s’est développée dans les années 1990 ; elle émerge maintenant à l’air libre. Mis à part les quarante ans écoulés qui permettent d’oublier les problèmes de cette période, plusieurs facteurs favorisent de tels sentiments.

Le premier est la langue persane elle-même (le farsi plus ses légères variantes le dari et le tadjik). Il n’y a pas de grande différence entre le persan parlé et écrit, en fait moins qu’entre le français parlé et écrit. Une grammaire persane peut résumer les principales différences en deux pages. Comparez cela avec les différences entre l’arabe standard moderne (ASM) et les six principaux groupes de dialectes arabes modernes parlés (les extrêmes sont mutuellement incompréhensibles). L’ASM a des structures grammaticales entières qui ont été remplacées dans les dialectes parlés. Même pour exprimer « venir », « aller » et « voir », il y a des verbes qui sont toujours utilisés dans l’ASM mais jamais utilisés familièrement et des mots qui sont familièrement parlés mais jamais utilisés dans l’ASM. Avec le résultat que les locuteurs compétents de l’ASM sont principalement des ecclésiastiques, des politiciens, des radiodiffuseurs et des universitaires – et ils retournent à leur dialecte parlé quand ils sont « hors service ». Il n’y a pas de façon standard d’écrire les dialectes, bien que les gens improvisent maintenant des orthographes pour les courriels et les messages Internet.

En revanche, en Iran, la plupart des gens peuvent prononcer un discours respectable en farsi ou l’écrire de façon grammaticalement correcte. La même chose est vraie, d’ailleurs, de l’hébreu israélien, de sorte que la plupart des Arabes israéliens peuvent parler l’hébreu.

Deuxièmement, l’imprimerie a bien mieux démarré en Iran. Contrairement à l’imprimerie en Europe, toute l’imprimerie arabe est la reproduction d’une écriture cursive. Ainsi, une police nécessite jusqu’à quatre caractères pour chaque lettre plus de nombreuses ligatures (combinaisons de lettres) et peut compter plus de 200 caractères. Au milieu du dix-neuvième siècle, il y avait très peu de presses dans le monde arabe. En Iran, bien que le persan utilise le même script et des lettres supplémentaires, ils ont contourné les problèmes par l’impression lithographique de pages entières. Compte tenu de la proximité entre les langues écrites et parlées, trouver un marché était également plus facile. Les livres européens distribués en traduction ont été rapidement disponibles, accélérant ainsi la modernisation.

Troisièmement, les normes de la prose et de la poésie persanes modernes ont été établies à l’époque des Pahlavi par des écrivains qui pouvaient être anticléricaux ou antimonarchistes ou les deux. Après 1979, les ayatollahs ont essayé de censurer ou de réprimer des livres d’auteurs tels que l’essayiste Sadegh Hedayat (1903-1951) ou la poétesse féministe Forough Farrokhzad (1935-1967, une cible fréquente du guide suprême Ali Khamenei), mais de telles tentatives ont eu succès limité parce que ces écrivains sont des normes indispensables pour l’écriture persane contemporaine. Ainsi, alors qu’avant 1979, les bazars tenaient un marché noir des écrits de Khomeiny, aujourd’hui les gens y vont pour trouver de vieux exemplaires de Forough.

Un poète iranien contemporain a connu une horrible expérience avec l’appareil de censure. Il a finalement quitté l’Iran à cause de l’échec des présidents réformistes à arrêter la terreur, comprenant des assassinats d’auteurs par l’appareil de renseignement de l’État.

En général, la modernisation a progressé plus largement et plus profondément en Iran qu’en Turquie, ou encore dans le monde arabophone. Ajoutez cela aux échecs de la République Islamique dans les sphères économiques et environnementales et vous avez la base sous-jacente de la nostalgie de l’ère Pahlavi et les perspectives de changement de régime.

 

Que faut-il faire ?

Les analogies avec l’ancienne Allemagne de l’Est suggèrent que l’Iran est lui aussi mûr pour un changement de régime. Elles suggèrent également qu’un changement peut survenir dans des semaines, des mois ou des années, en fonction des événements aléatoires et en particulier de la question de savoir si les autorités locales et leurs forces de sécurité, au moins dans certaines régions, en ont assez de tuer les gens. Avant d’en discuter plus avant, une illusion commune doit être dissipée.

Ceux qui ne connaissent pas l’histoire moderne iranienne sont parfois impressionnés par la carte linguistique de l’Iran. Ils remarquent que les locuteurs natifs de la langue farsi ne représentent que la moitié de la population et s’imaginent que le pays pourrait facilement se scinder en zones linguistiques. C’est une illusion, d’abord parce que la plus grande minorité, les Azéris (estimés entre 13% et 22% de la population totale) sont fortement représentés dans le régime. Le père du guide suprême Ali Khamenei, Sayyed Javad Khamenei Tabrizi (1896-1986), était lui-même un Azéri ethnique. (Tabriz est la plus grande ville azerbaïdjanaise en Iran.)

Les dynasties azéries dirigeaient le pays dans le passé, tout en utilisant le farsi comme langue officielle. Un cas notable a été les Safavides (1501-1736), la dynastie qui a imposé le chiisme duodécimain comme religion d’État. (Il est significatif de constater qu’il n’y avait pas assez d’enseignants en Iran pour cette tâche, donc les Safavides ont recruté des enseignants auprès des chiites du Liban.) La relation Iran-Hezbollah, d’un point de vue historique, n’est pas une simple relation clientéliste, c’est une dépendance inversée. Les deux partenaires en sont conscients, mais les politiciens étrangers et les commentateurs l’ignorent totalement. La Constitution de 1979 autorise l’usage auxiliaire des langues locales où elles prédominent, donc il pourrait en principe y avoir une éducation scolaire en azéri, mais cela n’arrive pas et il semble y avoir peu d’intérêt pour cela. Les Azéris sont gouvernants autant que dirigés en Iran.

L’autre minorité notable non iranienne, les Arabes du Khuzestan (où se concentrent les champs pétroliers iraniens), s’est parfois montré rétive. Mais ils ne forment que 2-3% de la population. Ils ont donné peu de souci au régime pendant la guerre Iran-Irak à cause de la façon dont Saddam Hussein traitait ses propres Arabes chiites. Parmi les minorités parlant une langue iranienne, seuls les Kurdes (7% -10%) ont causé des problèmes significatifs. Ils ont souffert, cependant, plus sous les Pahlavis que sous le régime actuel et ils ont obtenu leur propre province du Kurdistan il y a plus de trente ans, alors que les Kurdes irakiens n’ont reçu l’autonomie qu’après la chute de Saddam Hussein. Les Kurdes syriens et turcs n’ont pas d’autonomie du tout. En outre, les Safavides ont déjà simplifié le problème kurde de l’Iran en transportant de nombreux Kurdes du Kurdistan à Khorasan dans le coin opposé du pays, où un million d’entre eux sont encore présents.

Les grandes perturbations de décembre 2017 à janvier 2018, comme leurs résurgences sporadiques, se sont produites dans tout le pays – indépendamment de l’appartenance ethnique – et même dans les bastions supposément fondamentalistes. Entre autres choses, les manifestants ont demandé l’abolition du poste de « chef suprême ». Le projet initial de la Constitution de 1979 n’incluait pas ce poste, il a été ajouté à l’insistance de Khomeini contre l’opposition des autres ayatollahs.

Le mécontentement à propos de ce poste s’est accru parmi les hauts dignitaires religieux depuis les années 1990. Un opposant actuel est l’ayatollah Hussein Shirazi, tout comme son père vénéré

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