Valérie Toranian, rédactrice en chef de la Revue des Deux Mondes, aborde les sujets du féminisme et du politiquement correct. Elle s’inquiète d’une mise en danger de l’humour et de la liberté d’expression.
En couverture du dernier numéro de La Revues des deux mondes, la photo de Pierre Desproges et ce titre: «Femmes, juges, Noirs, étrangers, Dieu, homosexuel … Le rire est-il mort ?». Pourquoi cette une ? Le politiquement correct est-il de retour ?
Valérie Toranian.- L’insolence de Pierre Desproges, sa passion jubilatoire pour les mots, son esprit rabelaisien et voltairien, tellement français, ses calembours, son goût de l’absurde nous manquent. Pourrait-il se permettre aujourd’hui ses réquisitoires politiquement incorrects du Tribunal des flagrants délires sur une radio de service public? Il serait attaqué par des associations, surveillé par le CSA et lynché sur les réseaux sociaux. L’esprit de sérieux envahit tout. On peut être féministe (c’est mon cas) et rire des blagues sur les femmes quand elles sont drôles. Desproges osait tout mais il n’était jamais lourd ou vulgaire. Nous n’avons pas résisté au plaisir de publier soixante-cinq parmi les plaisanteries les plus incorrectes de Desproges, une lecture jouissive! On peut encore rire beaucoup en France et sur de nombreux sujets. Une nouvelle scène existe, pleine de talents.
Mais la scène se communautarise. Dans les stand-up, les Noirs peuvent faire sans problème des blagues de Noirs, les Arabes des blagues sur les Arabes, les Juifs sur les Juifs etc. Mais rire de tout et de tous est plus compliqué. L’humour est une arme contre la bêtise. L’humour juif est une parade des Juifs contre l’antisémitisme qui ridiculise les pires clichés antisémites pour désarmer la haine. Le witz anglais est une école de vie: Churchill devait convaincre la chambre des Lords de l’entrée en guerre en faisant vibrer la fibre patriotique mais aussi en amusant la galerie !
Dreuz a besoin de votre soutien financier. Cliquez sur : Paypal.Dreuz, et indiquez le montant de votre contribution.
Vous ouvrez ce numéro avec un grand entretien du dessinateur Riss qui a repris la direction de Charlie Hebdo après l’attentat. La liberté d’expression a-t-elle régressé depuis la marche du 11 janvier en soutien aux journalistes de l’hebdomadaire satirique ?
Riss a repris avec courage le flambeau de Charlie Hebdo après la tuerie islamiste de janvier 2015. Il incarne aujourd’hui quelque chose de très fort, un esprit de résistance, la presse debout. Il nous explique dans cet entretien la complexité de son métier de dessinateur. Aujourd’hui les tribunaux protègent encore la liberté d’expression mais sont de plus en plus confrontés au «droit à la sensibilité», une notion qui oblige à reconnaître l’offense faite à un tiers en fonction de critères totalement subjectifs. Ce sont des pièges habiles et dangereux mis en travers de la liberté d’expression. Au nom des victimes ou de ceux qui se sentent offensés, doit-on se contraindre, s’autocensurer? Après les attentats de Charlie on a découvert qu’une partie importante de la population «n’était pas Charlie». Mais «être Charlie» ne signifie pas adhérer à tout ce qu’écrit ou dessine Charlie, mais se battre pour que Charlie Hebdo ait le droit de s’exprimer. Ce droit régresse, y compris hélas chez les jeunes, qui jugent qu’on n’a pas le droit de rire de tout, que certains sujets sont sacrés, tabous, que «Charlie Hebdo l’a bien cherché». C’est la tentation radicale d’une partie de la jeunesse récemment mise en avant dans une étude du CNRS. C’est inquiétant. Les islamo-gauchistes qui remettent en question la liberté d’expression de Charlie sous prétexte de se mettre du côté des «musulmans» sont des pousse-au-crime dangereux. Ils sont en première ligne dans le débat d’idées. Qui se bat aujourd’hui face à eux? Sommes-nous prêts à défendre ce principe fondamental de la liberté d’expression ? C’est la question importante que pose Riss.
Comment expliquez-vous cette régression ?
La montée en puissance des droits individuels a sanctuarisé la différence et a détourné de leur sens originel des valeurs qui nous semblaient évidentes. «Liberté, égalité, laïcité»: chacun propose sa définition et détruit ce que la République a patiemment tissé pendant des décennies. Le repli identitaire et communautaire est une réalité. L’islam politique est très influent dans le débat sociétal même si je pense que la majorité des musulmans ne se sentent pas en rupture avec la République et espèrent au contraire qu’elle va les protéger des extrêmes. Mais ceux qui prônent la communautarisation à l’anglo-saxonne ont le vent en poupe actuellement. Le postmodernisme et le libéralisme politique s’en accommodent fort bien. C’est la matrice dont est issu Emmanuel Macron.
En tant que féministe, ne trouvez-vous pas que nombre de ces dernières ont perdu le sens de l’humour ?
Tous les idéologues de tous bords ont par définition un sens de l’humour limité. À droite comme à gauche. Chez les féministes comme chez les culs-bénits. Je ne me reconnais pas dans ces extrêmes mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. On a besoin du féminisme.
Priver Tex d’émission va-t-il vraiment faire évoluer la cause des femmes ?
Bien sûr que non ! Ce qui la fera évoluer c’est d’avoir de plus en plus de femmes chez les humoristes, les créateurs, les réalisatrices, les écrivains, les auteurs de BD etc. Pour que chacune s’exprime et rende compte de l’évolution des mentalités, des univers, de l’humour, des angoisses qui traversent notre époque.
Votre dernier roman, publié chez Flammarion, s’intitule Une fille bien. Qu’est-ce qu’une fille bien au XXIe siècle ?
Une fille qui essaye de garder le cap ! Ce livre raconte l’histoire d’une femme qui retrouve son journal d’enfance. Il est plein d’allusions mystérieuses à ce qui pourrait ressembler à une relation avec un homme plus âge lorsqu’elle avait douze ans. Sauf qu’elle ne s’en souvient plus du tout. Elle soupçonne même ce journal d’être truffé d’histoires imaginaires. Mais peu importe. Tout son entourage s’en mêle. Entre ceux qui veulent faire d’elle une victime et ceux qui projettent sur elle leurs propres fantasmes, la voilà prise dans un tourbillon qu’elle ne maîtrise plus. C’est surtout une comédie pleine de rebondissements cocasses sur les femmes, leurs incohérences, leurs contradictions, leur sens de la fraternité, l’amitié, la solidarité. J’en ai côtoyé beaucoup quand je dirigeais ELLE et j’ai une grande tendresse pour ces personnages féminins perpétuellement tiraillés par l’époque.
Ne ratez aucun des articles de Dreuz, inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter.
Avec le recul, quel bilan tirez-vous du «phénomène» #BalanceTonPorc. Libération de la parole des femmes ou lynchage numérique?
La libération de la parole des femmes est une avancée incontestable. Témoigner contre les comportements inadmissibles qui ont toujours cours est une nécessité. Transformer Twitter en tribunal n’est pas un progrès à mon sens. Mais les réseaux sociaux sont le mode d’expression des nouvelles générations. Et il n’y a pas que du lynchage, loin de là. Ce sont des moments de vie, des situations, des interrogations qu’on partage. C’est de la matière brute contemporaine. C’est aussi un miroir déformant, grossissant. Et un foyer de haines. Attention, les réseaux sociaux ne sont pas le reflet de tous.
Avec Élisabeth Badinter, vous défendez un féminisme universaliste et laïque. Que vous inspire le néoféminisme différentialiste?
Je ne partage pas la vision intersectionnelle, racisée, ethnicisée du féminisme. Je ne pense pas que le féminisme islamique soit fidèle au féminisme, quand celles qui le revendiquent intègrent des codes de «modestie», d’effacement par rapport à l’homme, de non visibilité et d’infériorité. Je ne pense pas qu’une femme musulmane doive se contenter de moins de droits qu’une femme occidentale «parce que c’est sa culture». Je ne pense pas que la liberté des femmes et le féminisme soient des valeurs occidentales et néocoloniales qu’on voudrait imposer aux femmes non-occidentales contre leur gré. Partout dans le monde, des femmes ont des rêves d’égalité et de liberté. Ce sont des valeurs universelles. Le chemin est long et difficile et chacune dans son pays doit se saisir du combat avec ses propres armes, son agenda, ses intuitions. En France, certaines jeunes femmes musulmanes sont prises dans un conflit de loyauté par rapport à leur communauté. Elles ne veulent pas critiquer ouvertement des formes de régression, de pression, parce qu’elles ont l’impression de «trahir». De faire le jeu des racistes. Ce n’est pas facile. La confusion entre racisme et critique de la religion ou de l’islam politique est hélas permanente. Y compris dans les médias. Mais plus nous cloisonnerons les combats, plus nous insisterons sur les différences, plus le féminisme régressera au profit du repli identitaire. Et les femmes seront perdantes au final…
Votre attachement au modèle républicain s’explique-t-il en partie par votre parcours de petite fille d’immigrée?
Bien sûr. Mon nom de famille était imprononçable. Chez ma grand-mère paternelle on mangeait arménien et on ne parlait pas français mais à l’école tout s’effaçait sans qu’il y ait besoin non plus de renoncer à ce qu’on était. Les racines, les cultures, la religion étaient des affaires privées. Chez moi, l’école était vénérée, les professeurs respectés. Mes grands-parents paternels étaient des rescapés du génocide arménien qui ont fui la Turquie. Ils ne voulaient qu’une chose, que leur enfant s’intègre dans son nouveau pays. Je suis française grâce à Victor Hugo, à la langue et la littérature. Je suis européenne grâce à Homère à l’Iliade et l’Odyssée. Cosette et Ulysse étaient mes héros d’enfance. Et mes racines arméniennes sont présentes sans que cela n’interfère avec aucune de mes convictions républicaines. Nous sommes chacun constitué de mille identités.
À vos débuts à la Revue des deux Mondes, certains vous ont accusé de durcir la ligne de cette institution. Certains ont parlé de «tournant réactionnaire». Trois ans après, les chiffres vous donnent raison…
Ça veut dire quoi «réactionnaire»? Les républicains de gauche sont désormais taxés de «réactionnaires». Si être réactionnaire c’est pointer l’effondrement de l’école, la montée du communautarisme et parler du nouvel antisémitisme alors nous sommes beaucoup à être réactionnaires… Ceux qui parlent de tournant réactionnaire sont des grincheux qui s’agacent que la revue ne soit pas politiquement correcte et aborde frontalement des sujets qui font débat. Nous accueillons dans nos colonnes des personnalités très différentes, pour que les points de vue du lecteur s’enrichissent. Le lecteur n’a pas besoin de catéchisme, il est suffisamment intelligent pour se faire sa propre opinion. Depuis trois ans que nous avons adopté cette nouvelle ligne éditoriale la revue a triplé ses ventes. Et avec ce numéro sur Desproges, d’après nos estimations, nous allons probablement les multiplier par cinq! Cela prouve que nous répondons à une attente: les lecteurs sont prêts à payer l’exigence, la qualité, l’ouverture, la réflexion et l’approfondissement sur des problématiques qui les intéressent.
Comment expliquez-vous ce renouveau de l’intérêt du grand public pour le débat d’idées?
L’époque est pleine d’incertitudes, de changements, de révolutions profondes comme celle du numérique qui modifient considérablement l’économie et nos comportements. Le modèle de société que nous connaissions est mis à mal. Mais c’est aussi une époque foisonnante d’idées, de défis à relever, avec des grands penseurs, des philosophes exceptionnels, des voix fortes que l’on peut mettre à contribution. Une aubaine quand on dirige une Revue!
Source : Lefigarovox
Il n’y a pas que Desproges qui serait surveillé par le CSA et lynché sur les réseaux sociaux : par exemple, ces sketches des Inconnus seraient-ils autorisés :
https://www.youtube.com/watch?v=jtKT2ETxwcc&feature=youtu.be&t=80
https://www.youtube.com/watch?v=23ftwhuAqPk
Rien n’est moins sûr…
Coluche aussi : https://www.youtube.com/watch?v=R_mMJxSYlAk
J’en suis convaincu : se débarrasser des islamo-gauchistes ainsi que des médias zélés est la priorité. L’islam ensuite.
Cinq semaines en ballon de Jules Verne devrait être interdit , mais qu’est-ce qu’ils foutent an cran ?
Je ne vois pas du tout en quoi la montée des libertés individuelles est un problème. Cela n’a absolument rien à voir. Bien au contraire.
Je ne connais pas la revue des deux mondes. J’ai été à la rescousse avec Wikipédia.
Valérie Toranian, se définit d’une gauche conservatrice. Dommage ! Tout comme pour Mme Badinter.
Je n’arrive pas à comprendre ces gens, qui à mon sens, n’ont pas les gros défauts de la gauche, et qui pourtant, préfèreraient se couper la langue que d’assumer qu’elles ne légitiment plus les idées de gauche.
C’est pourtant dans les gènes de la revue. J’ai vu que depuis sa création, à travers les évènements, celle-ci semblait se positionner avec logique, et pas de façon dogmatique. Ce qui pouvait la faire penser de droite quelquefois. En tout cas c’est une preuve d’intelligence.
Pourquoi ce blocage ? Pourquoi se dire toujours de gauche, quand manifestement celle-ci, depuis belle lurette…Il suffit d’en connaître l’histoire, n’a jamais vraiment mis en pratique les discours qu’elle prône.
Et là cela me donne envie, tout comme Valéry Giscard d’Estaing, de m’écrier :
– Mais enfin, la gauche n’a pas le monopole du cœur ! Pas plus que celui de l’intelligence dont elle s’approprie d’ailleurs ! Mais comment ne le ferait-elle pas, quand d’office toute personne grimpant dans l’échelle intellectuelle, pour former l’élite, se proclame, à de rares exception près, être de gauche ?
Ces personne au fond, cherchent à maintenir des cases, là où elles ne devraient pas exister. Mais c’est devenu un fait immuable : L’intellect et le cœur sont de gauche, et ce sera ainsi pour l’éternité.
Enfin, l’interview qui est rapporté ici montre une femme qui semble bien réagir aux absurdités qui ne cessent de s’accumuler ces derniers temps.
Alors bien sûr Pierre Desproges, serait mis à l’index aujourd’hui. Mais je me demande si ce Monsieur, intelligent comme il était, n’aurait pas adapté son humour à l’air du temps.
Car ce qu’il pouvait dire hier, où personne n’avait encore provoqué tous ces clivages, entre ethnies, couleur de peau, culture, genre, etc. Mr Desproges ce qu’il disait, raciste ou pas, ne viendrait pas alimenter une de ces névroses née de tous ces clivages. Il comprendrait que ce serait malvenu. Il choisirait le moment.
Ce qu’il faisait était vu, strictement, comme de l’humour, et d’ailleurs, ce n’était rien d’autre ! Il allait loin, mais à l’époque, nous n’avions pas tous, nos petites particularités à fleur de peau, et nous étions capables de voir l’humour où il était.
Aujourd’hui, il est évident, qu’il faut faire attention. Jusqu’à un certain point ! Il faut que la société se soigne de ces accès de mortification de pucelle effarouchée, pour le moindre trait d’humour.
Mais cela ne peut se faire, sans réconciliation, car des cicatrices sont saignantes aujourd’hui. Et ce qu’hier pouvait être dit, sans éveiller des soupçons à tort et à travers, doit être mesuré à l’aune de la période que nous vivons.
Il faut impérativement des nouvelles règles. Ce qui pour la spontanéité du rire, n’est pas l’idéal, pourtant c’est nécessaire.
C’est-à-dire d’abord, mettre au clair, ce qui doit être sacralisé d’une manière laïque, valable pour tous. Il ne doit pas avoir un Dieu ou un prophète qui serait intouchable, cela c’est impossible. Idem pour tout.
Tous dans le même sac…
Partant de là, peut-être alors que l’humour ne serait pas dans le grand danger où il se trouve aujourd’hui !
Sinon c’est le sens de la responsabilité de l’humoriste quand il dépasse les limites. Car moi, je n’ai jamais rigolé et ne rigolerai jamais de la plaisanterie de Stéphane Guillon sur Le jeune Grégory Lemarchal après sa mort.
Cet épisode a disparu totalement du net.
Mais la même et très douteuse plaisanterie, je la retrouve dite par Frédéric Martin :
“Y en a eu des gagnants (à la Star Academy, ndlr): Jenifer, Nolwenn, Elodie Fréger, mucoviscidose et l’amicale Magali !”, avait déclaré Frédéric Martin lors de l’émission ».
J’ai vu et entendu Guillon faire cette vilaine plaisanterie. Il y a eu débat. J’ai fait un long commentaire, je ne sais plus où. Ce commentaire a été repris sur plusieurs sites. Je ne rêve pas… Quelqu’un pourrait me dire, quel genre de pouvoir a Stéphane Guillon, pour avoir pu faire disparaître tout ceci qui a duré plusieurs semaines ?
Et voilà, ça c’est du deux poids deux mesures…
Desproges serait surveillé par la CIA ? Bon, surement …. et pas QUE par la CIA;
Mais plus grave, c’est que JESUS serait mis dans un asile de fous et Mahomet ferait des oneman show dans les Zéniths.
supprimons Parissss et cela ira mieux ?
ils n’empêcheront pas les gens de penser (autrement qu’eux)
Un peu tristounet l’humour d’aujourd’hui….à un tel point que: ” même pas drôle!”