Publié par Gaia - Dreuz le 19 juillet 2018

Le projet « The House of One » vise à réunir sous un même toit une synagogue, une mosquée et un temple, ainsi qu’un quatrième espace dédié au dialogue interreligieux. Ce lieu de culte inédit, sur lequel planche l’agence d’architecture Kuehn Malvezzi, doit sortir de terre dans le centre historique de Berlin à la fin de l’année 2018.

« Friday, Saturday, Sunday ». Tel était le nom du projet un peu fou de trois architectes britanniques qui, en 2012, avait attiré l’attention d’Usbek & Rica. Il s’agissait de concevoir un lieu de culte partagé dans lequel les fidèles des trois monothéismes (judaïsme, christianisme, islam) pourraient prier. Mais l’édifice n’a finalement pas vu le jour. Six ans plus tard, un projet comparable est en cours de développement dans le centre historique de Berlin. C’est sur les vestiges de l’église Petriplatz, datant du Moyen Âge et déjà reconstruite à cinq reprises, que doit bientôt faire surface « The House of One ». L’aboutissement d’un travail mûri depuis de longues années déjà.

Chacun sa chambre

En 2012, l’agence Kuehn Malvezzi remporte une compétition internationale pour la construction d’une « maison de prière et d’enseignement des trois religions ». Les architectes, épaulés dans leur démarche par l’imam Kadir Sanci, le pasteur Gregor Hohberg et le rabbin Andreas Nachama, prévoient notamment l’aménagement d’une salle liturgique pour chaque religion, ainsi qu’un quatrième espace au centre du bâtiment dédié à la discussion, aux expositions, aux conférences, mais aussi à la simple circulation. Contrairement au projet britannique, ici, chaque culte posséderait sa « chambre à soi », sans pour autant que cela nuise au dialogue dans un espace commun. « Un dialogue respectueux et authentique existe déjà au sein de ce projet : organiser puis construire un tel lieu représente beaucoup plus qu’un simple acte symbolique – c’est un processus très concret d’interaction », explique Wilfried Kuehn, l’un des architectes de The House of One.

Le projet se veut beaucoup plus ambitieux que les salles de prière et de méditation communes aménagées dans certains aéroports, décrites par l’architecte comme des « non-lieux » : il s’agit d’articuler les différences entre chaque culte pour produire du dialogue et non de les « fondre » dans un lieu impersonnel. Les trois espaces de prière ont exactement la même superficie, bien que leur structure diffère (hexagonale pour la synagogue, rectangulaire pour l’église et carrée pour la mosquée). Ils sont rassemblés sous un dôme central, lui-même dominé par un belvédère offrant une vue sur le centre historique.

Dans une ville aussi multiculturelle que Berlin, « il nous a paru important de présenter le bâtiment comme une entité singulière, sans symbole », précise Wilfried Kuehn. « Le matériau de construction est très commun – de la brique jaune, utilisée par la plupart des cultures – et, en même temps, le bâtiment se distingue dans un environnement urbain dominé par des lieux résidentiels et des tours de bureaux. »

Lieu de culte, The House of One se veut également un lieu de passage ouvert à tous les curieux : « Il est important d’avoir en tête que la majorité des gens qui vivent à Berlin sont athées », rappelle Wilfried Kuehn. « The House of One s’adresse aussi à eux en tant que lieu d’apprentissage, tout comme le belvédère qui coiffe le bâtiment peut apparaître comme un lieu de méditation ouvert à tous, croyants ou non. »

Réinventer l’hospitalité

The House of One était l’une des attractions de l’exposition « Coexistences – Lieux saints partagés en Europe et en Méditerranée », organisée jusqu’à la fin du mois de janvier 2018 au musée de l’Immigration, à Paris. Un événement qui est revenu sur la longue histoire des projets faisant la part belle à l’hospitalité dans les lieux de culte partagés. On peut citer, notamment, ce monastère situé sur l’île de Büyükada, au large d’Istanbul, datant du VIe siècle après J.-C. et qui ouvre ses portes à toutes les fois. Autre exemple, la communauté monastique al-Khalil, fondée par le jésuite Paolo Dall’Oglio dans le désert syrien, qui accueille des visiteurs de tous horizons, croyants ou non, depuis 1991.

« Pour connaître l’autre, il ne faut pas se l’annexer mais devenir son hôte. » Cette citation, mise en exergue dans le cadre de l’exposition « Coexistences », est une phrase de Louis Massignon, islamologue catholique français du début du XXe siècle ayant consacré sa vie à la reconnaissance et à la compréhension de l’islam. Elle résonne parfaitement avec l’ambition de The House of One, qui entend être « un lieu ouvert aux croyants de toutes les religions et aux non-croyants, locaux ou non ». Mais dans un monde où proximité physique n’est pas forcément synonyme de compréhension mutuelle, comme l’avait déjà compris il y a plus d’un siècle le sociologue allemand Georg Simmel, il est légitime de se demander si The House of One ne sera pas l’antre d’une cacophonie organisée, où comprendre l’autre sera aussi complexe qu’écouter une personne au milieu d’une foule bruyante.

« Je suis convaincu que le temps joue cette fois un rôle différent, comparé à des projets architecturaux plus conventionnels »

Autre limite, beaucoup plus pragmatique celle-là : l’édification du bâtiment n’est toujours pas garantie. Le projet est censé sortir de terre fin 2018. Sauf qu’à ce jour seulement 4 millions d’euros ont été récoltés sur les 43 millions nécessaires à la construction du site, malgré le soutien financier de la ville et du Land de Berlin, de plusieurs associations, et le lancement d’une souscription de 10 euros pour tous ceux qui voudraient apporter leur pierre à l’édifice. Pas de quoi effrayer Wilfried Kuehn cependant : « Je suis convaincu que le temps joue cette fois un rôle différent, comparé à des projets architecturaux plus conventionnels. »

Éloge de la complexité

Particulièrement abouti de par son ambition architecturale, The House of One n’est pas le seul projet contemporain visant à faire coexister plusieurs religions sous un même toit. On peut citer notamment l’initiative américaine Tri-Faith, démarrée en 2006 dans la ville d’Omaha (Nebraska) : un campus hébergeant les fidèles des trois religions abrahamiques dans une forme de cohabitation harmonieuse. Autres exemples tangibles : la basilique de la Sainte-Baume, en Provence, jamais achevée mais qui entendait devenir un lieu universel dédié à la spiritualité ; ou encore l’Academy for Peace and Development en Géorgie, où des enfants chrétiens et musulmans se côtoient pour apprendre ensemble et partager leurs connaissances.

Wilfried Kuehn voit aussi dans ce projet une forme de résistance à l’idée de simplification et d’uniformisation

« Les lieux de culte ne doivent pas se limiter à des constructions traditionnelles. Ils peuvent être extrêmement innovants, c’est ce que nous essayons de montrer avec The House Of One », assure Wilfried Kuehn, qui voit aussi dans ce projet une forme de résistance à l’idée de simplification et d’uniformisation : « L’expérience d’une même langue pour tous, l’espéranto, a échoué car les actes de traduction, qu’il s’agisse du langage ou des religions, ouvrent toujours la porte à une compréhension plus profonde de notre propre culture. » Un éloge de la complexité qui traduit la volonté des architectes de s’inscrire dans un continuum historique, là où tant de projets « neufs » ont échoué à cause de leur artificialité.

Source : Usbeketrica

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