Publié par Abbé Alain René Arbez le 19 août 2018

Dans le monde catholique, Calvin est connu comme un réformateur déterminant, autant dans l’histoire genevoise, européenne, que dans celle de contrées plus lointaines, comme les Etats-Unis, et l’Afrique.

Mais le réformateur genevois est encore largement perçu en négatif. Les controverses concernent, on s’en doute, la question des sacrements, du ministère pastoral, et la régulation de l’autorité ecclésiale.

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Certes, nous sommes aujourd’hui dans l’après-concile Vatican II, et nombre des abus que dénonçait Calvin ayant été reconnus, des changements considérables sont intervenus dans la pratique de l’Eglise de Rome.

 

Il est clair que – d’un point de vue strictement catholique – Luther et Calvin ont fait émerger une contre-Eglise, une communauté de foi parallèle et donc coupée de cette colonne vertébrale successorale remontant à la période apostolique. Ce qui ne veut pas dire hermétique au Saint Esprit, qui souffle où il veut!

En réalité, si la Réforme a fonctionné si rapidement, en Allemagne puis dans la république genevoise, c’est parce que depuis des siècles – on l’oublie trop souvent –  une forte aspiration à une conversion ecclésiale s’était exprimée au sein même de l’Eglise catholique. D’une manière ou de l’autre, avec ou sans scission institutionnelle, cette purification devait nécessairement se produire. 

Le témoignage de Pierre Valdo à Lyon et celui de François d’Assise en Ombrie en sont les signaux avant-coureurs. 

En effet, le besoin d’une clarification théologique dans la vie de foi est manifeste déjà dans l’Eglise médiévale et s’affirme avec la Renaissance. « Ecclesia semper reformanda » : le célèbre adage n’est pas protestant, il est forgé déjà au 15ème s.  par le prêtre et théologien mystique Jean Gerson, et il vise à la fois la personne du croyant et l’institution ecclésiale. Dans l’esprit même de l’évangile, des prédicateurs itinérants proclament la nécessité d’une « reformatio » de l’Eglise annoncée depuis le 13ème siècle.

Au moment du 5ème concile du Latran, Gilles de Viterbe, cardinal humaniste, fin connaisseur de la Bible, propose de réformer « homines per sacra, non sacra per homines », réformer les hommes par les choses sacrées, et non pas les choses sacrées par les hommes…Cependant, Erasme s’avoue déçu du peu de résultats obtenus concrètement après les décisions du concile du Latran.

C’est donc dans un climat déjà acquis à l’urgence d’un profond changement des idées et des mœurs en chrétienté que prend tournure le mouvement de réforme initié à Erfurt par Luther puis revisité et réorienté depuis Genève par Calvin.

Il n’est pas si simple de se plonger sans anachronisme dans les mentalités de ces temps mouvementés. Période opaque où les esprits sont perturbés par d’innombrables tragédies ; à cette époque où la vie humaine apparaît dans toute sa fragilité, la quête du sens et du salut éternel est contrariée par les déviances de certaines pratiques ecclésiales où il est bien difficile de discerner entre la foi et la superstition. 

Qui ne reconnaîtrait pas comme prophétique la passion qui saisit Calvin d’évangéliser la piété des masses et de démystifier sans retenue les dévotions qui cachent au peuple ce qui est au coeur de la foi ? La source de cette intransigeance purement spirituelle provient non pas de ses humeurs, mais de sa relation fervente à la Bible, (ancien et nouveau testament), ce qui fait de lui le « professeur ès saintes écritures » aux exigences radicales. De formation juridique, il se comporte comme un humaniste critique qui ne veut plus s’en laisser conter de la part des prétentions humaines à régenter les choses divines à leur convenance. 

Paradoxalement, Calvin apparaît comme un acteur de la modernité naissante, mais il l’est dans le climat philosophique antérieur plutôt anthropocentrique. Ainsi, il réinstaure de fait une logique théocentrique, à contre- courant, pour délivrer l’homme de ses illusions de toute-puissance. 

L’aspect positif est ici la référence biblique (« A Dieu seul la gloire ! »). Le versant négatif en est le pessimisme excessif que cette posture va engendrer et qui fera de lui la caricature d’un rabat-joie. En administrant un remède de cheval à l’Eglise pour la nettoyer de ses multiples déviances incontestablement paganisantes, Calvin devient un thérapeute de l’être humain dont l’intervention se veut bénéfique, certes, mais un thérapeute spirituel qui utilise le scalpel de la Parole de Dieu pour curer les âmes sans concession. 

Pourtant, on ne peut qu’apprécier cette sage proposition : « En connaissant Dieu, chacun peut mieux se connaître ». Il considère à juste titre les Ecritures bibliques comme le miroir éclairant des contradictions humaines et le manifeste évident du salut offert par Dieu en toute gratuité.

Cependant, influencé par un St Augustin resté imprégné de manichéisme, Calvin parvient à la conviction que l’être humain est profondément vicié par nature. Il est dommageable que son sens élevé de la transcendance de Dieu, facteur de rééquilibrage théologique bienvenu, l’amène à ce dualisme ravageur : « ou bien l’homme, ou bien Dieu »….Cette logique antagoniste inspirera jusqu’aux existentialistes du 20ème siècle!

Autre dimension essentielle de Calvin, à laquelle on peut adhérer avec reconnaissance, c’est sa relation innovante au judaïsme et à Israël. Il est de nos jours indispensable de prendre la mesure des découvertes exégétiques déterminantes réalisées depuis un siècle, avec la reconsidération de la judéité de Jésus et des apôtres, ainsi que des thématiques hébraïques du nouveau testament. Calvin était un visionnaire lorsqu’au 16ème siècle, il enseignait l’unité de la Bible et la fraternité en alliance des juifs et des chrétiens ! Etonnamment, c’est cette même affirmation que reprend le pape Jean Paul II à Mayence en 1980, lorsqu’il déclare « l’alliance de D.ieu avec Israël jamais révoquée ». Dans la même ligne que Calvin, et dans la logique conciliaire, il élimine ainsi toute théologie de la substitution. L’Eglise ne « remplace » pas Israël.

Au regard des débats actuels sur l’œcuménisme, le grand mérite de Jean Calvin est d’avoir remis dès le 16ème siècle les chrétiens face à leur enracinement dans le patrimoine biblique et judaïque ; mais son témoignage nous appelle aussi à évaluer lucidement tout le travail à poursuivre dans les opinions chrétiennes encore conditionnées par des siècles d’antijudaïsme et de marcionisme diffus. 

Ce retour aux sources communes reste la condition sine qua non pour une authentique dynamique de progrès vers l’unité entre chrétiens qui ne se contente pas de gadgets œcuméniques. 

Aujourd’hui les catholiques partagent avec les protestants une même référence vitale à la Parole de Dieu – ancien et nouveau testament – on mesure le chemin parcouru depuis la proclamation du « sola scriptura » et les polémiques qui s’en suivirent!

En revanche, des pas audacieux restent à faire, semble-t-il, en raison de la radicalité réformatrice de Calvin : en voulant simplifier au maximum par souci de purifier l’Eglise de toute déviance humaine et ainsi retrouver les débuts supposés limpides de l’équipe apostolique, Calvin a, de ce fait, privé sa communauté de supports spirituels, ce qui cérébralise souvent les liturgies réformées. La tendance s’est par la suite amplifiée et appauvrie lors du passage du protestantisme par les tourbillons des Lumières et la surévaluation de la raison, génératrice de courants divers.

Il semble qu’en fin de compte, la tradition issue de Calvin se soit quelque peu éloignée de l’inspiration première du réformateur et émiettée en chapelles concurrentes du fait des carences d’autorité doctrinale. En ce 21ème s. les médiations sacramentelles restent toujours réduites à leur plus simple expression, et le lien spirituel des pasteurs à leur Eglise s’est fragilisé au point d’être comparable à celui d’un employé à son entreprise. 

Quoi qu’il en soit, protestants et catholiques ont aujourd’hui de solides références bibliques communes pour s’enraciner ensemble dans le terreau judaïque et répondre ainsi d’une même voix aux terribles défis qui nous attendent face à l’islamisation déferlant sur l’Occident. 

La montée inexorable de la visibilité islamique dans nos contrées européennes s’accompagne du grignotage rapide des acquis civilisationnels judéo-chrétiens, avec la complaisance des politiques, des médias et des enseignants. Parfois même, des instances religieuses ! Mais le problème le plus urgent est celui de l’antisémitisme musulman, allant de pair avec la délégitimation permanente d’Israël. Le rejet coranique des juifs sert de cache-misère à la haine antisioniste.

Amplifiant ces phénomènes depuis des décennies, on a d’une part un protestantisme anti-israélien actif jusqu’au sein du Conseil œcuménique des Eglises et de l’autre, des courants catholiques orientaux engagés à ranimer constamment l’antijudaïsme primaire au sein de leurs milieux d’Eglise. Seul le dialogue judéo-chrétien pourra réconcilier toutes les dénominations se référant à Jésus et seul ce lien interactif pourra les reconnecter avec leur matrice originelle, car ne pas reconnaître d’où l’on vient empêche inexorablement de savoir où l’on va.

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Le clivage ne sera donc pas entre catholiques et protestants, mais entre chrétiens amis d’Israël et adversaires.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, commission judeo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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