Publié par Gaia - Dreuz le 29 août 2018

En associant psychiatrie et homosexualité, le pape a provoqué une polémique qu’il avait jusqu’à présent réussi à éviter par des signes d’ouverture.

Une phrase qui fait scandale d’un côté, et de l’autre, le silence… On n’a jamais autant glosé sur la perte de crédit de l’Église catholique, et pourtant, chaque expression pontificale est scrutée à la loupe et décortiquée par moult exégètes amateurs et souvent… malveillants. Que François associe le mot « psychiatrie » à l’homosexualité est une erreur indéniable, comme l’écrit noir sur blanc le directeur de La Croix, Guillaume Goubert, à la une du quotidien catholique. Mais François mériterait un peu plus d’indulgence, si l’on peut dire, de la part du pouvoir temporel, ne serait-ce que par honnêteté informative.

Ceux qui se paient de mots, et ils sont nombreux, en glosant ad nauseam sur ce dérapage pontifical devraient déjà s’intéresser au contexte. Rares sont les médias, sauf Brut FR, à avoir transmis l’intégralité de l’interview formelle de François dans l’avion qui le ramenait d’Irlande. On y voit le pape répondant à une question d’un journaliste. Que doit faire un père, une mère quand son jeune enfant – « bambino » – lui annonce qu’il est homosexuel ? À cette question – complexe –, le pape répond avec une grande bienveillance, et non par une simple phrase à l’emporte-pièce.

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Ouverture

François invite d’abord les parents à « prier, ne pas condamner, dialoguer, comprendre, donner une place au fils ou à la fille pour qu’il s’exprime ». Et il dit cette parole, qu’auraient tout aussi bien pu retenir les associations LGBT ainsi que la secrétaire d’État française chargée de l’égalité hommes-femmes, Marlène Schiappa, indignée à juste titre par l’emploi du mot « psychiatrie » : « Ignorer son fils ou sa fille qui a des tendances homosexuelles est un défaut de paternité ou de maternité. »

Le pape François a toujours fait preuve d’ouverture d’esprit sur ces questions. Tout le monde se souvient de sa fameuse phrase du début de son pontificat, lâchée le 29 juillet 2013 dans l’avion qui le ramenait des JMJ de Rio de Janeiro (Brésil) : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » Ces propos avaient été salués comme des gages de progressisme. Sur la forme, François évolue. Sur le fond, il reste conforme à la doctrine de l’Église : il insiste davantage que ses prédécesseurs sur l’accueil et l’accompagnement des personnes homosexuelles, mais pas plus… Lors des synodes sur la famille de 2014 et 2015, ses positions d’ouverture ont provoqué de vives tensions entre les cardinaux, ceux du Sud et en particulier africains se raidissant, l’un d’eux parlant même de « colonisation idéologique », et dans son exhortation apostolique Amoris laetitia qui en fut le fruit, l’homosexualité n’occupe que deux petits paragraphes.

À pas feutrés

« Il continue d’y avoir un vrai malaise sur ce sujet, note Olivier Bonnel, journaliste à Radio Vatican. Le pape François essaie de faire bouger les lignes en prônant l’ouverture pastorale, mais pour nombre de prélats, l’homosexualité reste quelque chose de déviant, qui fait peur. C’est une question de culture et de génération, y compris pour un pape octogénaire. Rappelons que le catéchisme de l’Église catholique condamne toujours les actes homosexuels comme intrinsèquement désordonnés ».

Sur ce sujet comme sur bien d’autres concernant la vie intime, les mœurs, la morale, tous explosifs, François avance à pas feutrés. En tant que souverain pontife, s’il n’en pense pas moins, il se garde bien de mettre l’homosexualité au rang des « menaces contre la famille » comme Benoît XVI. Et il n’est pas du genre à condamner, à l’instar de Jean Paul II, en juillet 2000, en pleine prière de l’Angélus place Saint-Pierre, la Gay Pride qui venait de se dérouler à Rome, en lançant : « Au nom de l’Église de Rome, je ne peux pas ne pas exprimer de l’amertume pour l’affront porté au Grand Jubilé de l’an 2000 et pour l’offense aux valeurs chrétiennes d’une ville qui est si chère au cœur des catholiques du monde entier. »

Péchés légers

Autres temps, autres mœurs… Jean Paul II citait l’homosexualité comme l’un des « quatre péchés de notre époque », aux côtés de l’euthanasie, de la contraception, mais aussi du divorce. Pour François, les péchés de la chair sont « les péchés les plus légers », comme il l’explique au sociologue Dominique Wolton dans leurs dialogues fructueux parus il y a un an (Politique et société, Éditions de l’Observatoire). Dans ce livre, François confiait aussi comment, à l’âge de 42 ans, il avait consulté pendant six mois une psychanalyste juive une fois par semaine « pour éclaircir certaines choses », soulignant le grand attachement des Argentins à la psychanalyse. « Avec de tels propos, commentait alors dans Le Monde la psychanalyste Élisabeth Roudinesco, Bergoglio confirme un fait connu : l’Argentine est le seul pays au monde où la psychanalyse, phénomène urbain, est devenue un fait de société qui ne se réduit pas à une clinique. À Buenos Aires, on ne dit pas « poursuivre une cure », mais « s’analyser ». Autrement dit, dans cette ville en miroir de l’Europe, passer par le divan est d’abord une expérience de soi concernant chaque sujet (…) À Buenos Aires, on est toujours fils, fille, cousin, neveu d’un psychanalyste et, tout au long de la vie, on fait des « tranches » successives chez différents praticiens qui eux-mêmes passent leur vie en analyse. »

Les paroles récentes du pape François sont aussi celles de l’ancien archevêque de Buenos Aires, très attaché culturellement à sa ville et son pays où sa personnalité s’est forgée. Las, elles ont été entachées par l’usage du mot « psychiatrie », aussitôt retiré d’ailleurs par le Vatican. Un terme qui, comme le relève un vaticaniste vigilant, « renvoie à une dimension thérapeutique qui ne correspond plus à la culture contemporaine ».

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Offensive des ultras

Une bourde d’autant plus dommageable que le rassemblement pour la famille à Dublin, dont le pape revenait, avait fait place à une prise de parole du jésuite américain James Martin, qui multiplie les initiatives en direction des communautés LGBT, justement pour parler de l’accueil des personnes homosexuelles.

La polémique tombe vraiment mal pour François qui, en pleine tourmente liée à la multiplication des scandales sexuels, doit aussi faire face aux accusations de l’ancien nonce apostolique aux États-Unis, Mgr Carlo Maria Vigano, qui travailla naguère au sein du gouvernorat du Vatican, expliquant dans une lettre ouverte de 11 pages que le pape avoir couvert les agissements d’un cardinal homosexuel, ancien archevêque de Washington, Mgr Théodore McCarrick, finalement désavoué le 28 juillet 2018. Une lettre dans laquelle Mgr Vigano dénonce l’existence d’un « réseau homosexuel » au sein du clergé et de la machine vaticanesque qui œuvrerait à « subvertir la doctrine catholique ».

Ces révélations, qui émanent d’un prélat écarté du Vatican par le pape et devenu l’un des porte-voix des ultras droitiers hostiles à François, sont prises avec des pincettes par les observateurs – La Croix parle d’un « réquisitoire fragile ». Et, sur ce point, le pape a choisi le silence. « Je ne dirai pas un mot là-dessus », a-t-il réagi dans l’avion le ramenant de Dublin, ne masquant guère sa colère et son mépris. Un pape François qui, en 2013, lançant son fameux « Qui suis-je pour juger ? », parlait ainsi dans la même phrase de l’homosexualité : « Le problème n’est pas d’avoir cette tendance, mais d’en faire du lobbying. C’est le problème le plus grave selon moi. »

Source : Lepoint

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