Publié par Dreuz Info le 22 septembre 2018
Pierre Rehov

Après l’incident de l’avion russe abattu en Syrie (lire notre article ici), attribué au départ à l’aviation israélienne, une crise a opposé Moscou à Jérusalem.

En vérité, on sait aujourd’hui que c’est la défense antiaérienne syrienne qui avait visé par erreur l’avion russe Illiouchine-20 au-dessus de la Méditerranée, entrainant la mort de 15 militaires à bord. Le malentendu venait du fait qu’au moment de l’incident, des missiles israéliens ciblaient des dépôts de munitions dans la province de Lattaquié (nord-ouest de la Syrie).

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Jeudi dernier, le chef d’état-major de l’armée de l’Air israélienne a emmené une délégation à Moscou afin d’éclaircir les circonstances du drame, et afin de confirmer la responsabilité de l’allié syrien de Moscou lors d’un raid israélien et non de sa propre aviation.

Après avoir dans un premier temps accusé les pilotes israéliens de s’être servi de l’appareil russe comme couverture pour échapper aux tirs syriens, Moscou semble maintenant accepter la version de Tsahal qui affirme que non seulement l’avion russe était loin des lieux où ses appareils attaquaient l’armée syrienne, mais qu’il a été atteint à un moment où ces avions avaient déjà regagné l’espace aérien de leur pays. De son côté, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a exprimé auprès de Vladimir Poutine sa profonde “tristesse” et lui a proposé son aide dans l’enquête. Attaché plus que tout à préserver les bonnes relations russo-israéliennes renforcées durant l’été 2018 sur le dossier syrien notamment, le président russe a finalement reconnu qu’il s’agissait d’un « enchaînement de circonstances accidentelles tragiques », tout en « exhortant le camp israélien à ne pas permettre que ce genre de situations se reproduise »…

De son côté, le président Bachar al-Assad, qui ne veut et ne peut rompre son alliance stratégique avec l’Iran et le Hezbollah, et dont l’antisionisme violent est au centre de l’idéologie nationaliste arabe due son parti Baas au pouvoir, a dénoncé « l’arrogance » et  la « dépravation israélienne » dans une lettre de condoléances envoyée à son homologue russe qui masquait mal une gêne réelle car c’est bien un avion du protecteur russe que l’armée syrienne a abattu, certes par erreur, soi-disant à cause de l’armée israélienne.

Quant à l’Etat juif, sa position sur la Syrie est mal connue, souvent caricaturée, de même que ses relations avec Moscou. Pour y voir plus clair, nous nous sommes longuement entretenu avec Pierre Rehov, qui a suivi de près les relations russo-israéliennes depuis des décennies et dont le témoignage permet de répondre aux rumeurs, fantasmes ou fausses informations concernant Israël, notamment quant à son action en Syrie depuis le printemps arabe.

Alexandre Del Valle : Pierre Rehov, vous avez récemment effectué des reportages à la frontière entre la Syrie et Israël, et vous avez suivi l’évolution des rapports entre la Syrie et Israël. Commençons donc par la récente « crise israélo-russe » en Syrie : L’avion russe abattu hier et la friction verbale entre russes et israéliens qui a suivi, les Russes accusant Israël d’avoir prévenu trop tard des opérations qui ont mis l’avion russe en danger : quel est votre décryptage ; cela met -il en danger les ententes russo-syriennes de l’été ou est-ce le fruit d’erreurs sans grosses conséquences ?

Pierre Rehov : Ce qui est intéressant avant tout c’est qu’Israël soit accusé d’avoir « prévenu trop tard » les Russes de son opération en cours. Cela ne fait que confirmer, une fois de plus, les accords passés entre les deux pays. Israël s’est engagé à toujours prévenir Moscou avant d’intervenir sur le sol syrien en contrepartie de l’assentiment tacite des Russes. Quand on y pense, et que l’on se souvient des relations entre Israël et l’URSS, on croirait presque rêver. Dans ce cas de figure, il s’agit évidemment d’erreurs, comme il s’en produit souvent pendant les conflits.

On peut donc s’attendre, au contraire, à une coopération renforcée entre Moscou et Jérusalem

Israël n’est pas la Turquie d’Erdogan et ne s’amuse pas à abattre ou faire abattre des avions russes pour démontrer… on ne sait quoi d’ailleurs. L’armée russe a protesté vertement, et l’ambassadeur d’Israël a été convoqué et sermonné, ce qui est de bonne guerre. Mais Netanyahou a déjà appelé Vladimir Poutine, s’est excusé et a proposé de mettre à la disposition des services de sécurité russes tous les éléments sur cette affaire à sa disposition. Il est à peu près certain que l’armée syrienne, a, comme souvent, tiré de façon indiscriminée, sans se préoccuper de la présence éventuelle d’avions russes dans le secteur. D’ailleurs, nous savons déjà que l’avion israélien était sur le chemin du retour vers sa base, quand l’Iliouchine de reconnaissance russe a été abattu. La faute en revient donc entièrement aux Syriens. On peut donc s’attendre, au contraire, à une coopération renforcée entre Moscou et Jérusalem, de sorte que ce genre d’incidents ne se reproduise plus.

Plus globalement, peut-on dire en ces termes géopolitiquement clivant que la Syrie un ennemi par nature d’Israël ?

Israël ne choisit pas ses ennemis, ce sont les pays arabes (puis l’Iran depuis Khomeiny) et la Syrie en particulier, qui n’ont jamais accepté l’existence d’Israël depuis avant même sa création. Il ne faut pas oublier qu’un nombre impressionnant de dignitaires nazis se sont réfugiés en Syrie après la deuxième guerre mondiale, parmi lesquels Aloïs Brunner, bras droit d’Adolph Eichmann,  et qu’ils y ont enflammé un antisémitisme latent d’origine religieuse, moteur du conflit permanent entre Juifs et Arabo-musulmans. Le fondateur du parti Baas, Michel Aflaq, dont l’idéologie était inspirée par le philosophe Zaki al-Arsuzi, lui-même partisan d’incorporer une forme de fascisme dans le nationalisme arabe, était un admirateur d’Hitler et, jusqu’à aujourd’hui, Mein Kampf et les Protocoles Des Sages de Sion, sont des best-seller en Syrie… Malgré ces faits peu encourageants, car ils s’inscrivent dans un contexte de racisme d’Etat, Israël serait prêt à faire la paix avec la Syrie et le Liban dans la minute, quitte à sacrifier le Golan, de la même manière qu’elle a fait la paix avec l’Egypte en rendant le Sinaï à Sadate. Mais comment mettre fin au conflit avec des gouvernements dont la seule rhétorique est la destruction de l’état hébreu ? La question donc ne se pose pas dans ce sens. Depuis sa création, Israël est un pays en guerre, non reconnu par une majorité de ses voisins et ce serait un soulagement infini pour le peuple israélien et ses gouvernements, de droite comme de gauche, que de pouvoir enfin vivre comme n’importe quel autre pays, sans avoir à consacrer plus de 7% de son PIB à sa défense (contre 2,5% par exemple pour la France). L’aide américaine ne couvre qu’une partie infime de ce budget.

Qu’un dirigeant syrien ait le courage de Sadate, et annonce qu’il est prêt à parler de paix à la Knesset, et il recevrait un accueil triomphal dans tout le pays. En revanche, quand on voit la situation actuelle, tout observateur sérieux ne peut que se féliciter du fait que le Golan soit désormais territoire israélien et vive paisiblement, quand à quelques kilomètres à peine de la frontière, les différentes factions, parmi lesquelles Al Qaïda et Daech, s’entretuent. Les premiers bénéficiaires de cette situation sont évidemment les Druzes (minorité musulmane syncrétique présente en Syrie, au Liban et en Israël ndlr) qui composent une grande proportion de la population du Golan et qui, pour rien au monde, ne voudraient se retrouver en territoire syrien.

Donc Israël ne peut pas être « neutre » vis-à-vis du régime syrien ?

La réalité est à la fois complexe et simple : Israël a annoncé haut et fort qu’il ne se mêlerait pas du conflit interne à la Syrie pour une simple raison : il n’y a aucun intérêt !

De Gaulle disait que les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Israël n’échappe donc pas à la règle et rien n’est plus inquiétant pour un pays de si petite taille, entouré de dictatures implacables et de populations qui rêvent sa destruction que l’instabilité à ses frontières.

Mais alors que répondre à ceux qui accusent constamment Israël de financer, aider ou soigner des rebelles syriens anti-Assad et même des jihadistes d’Al-Qaïda ou Daech ? Cette rumeur est-elle fondée ? Comment Israël, ennemie des Frères musulmans du HAMAS, bête-noire des islamistes du monde entier, peut-il aider des rebelles liés aux groupes salafistes et aux Frères musulmans sous prétexte qu’ils combattent Assad ?

Que répondre aux amateurs de théories du complot ? Le principe même de la théorie du complot est que l’accusé a quelque chose à cacher et les moyens de masquer ses forfaitures. Aucune réponse ne les convaincra donc jamais de l’innocence d’Israël. Pour les gens de bonne foi, neutres et sans aucun fond d’antisionisme ni d’antisémitisme, la réponse est assez simple. Ces accusions sont totalement absurdes.

Oui mais on ne peut nier que des opposants et/ou civils sunnites syriens ont été soignés dans les hôpitaux israéliens, ainsi que la presse israélienne l’a elle-même reconnu ?

Bien que Jérusalem ne souhaite pas se mêler des affaires internes de la Syrie (tant que des forces pro-Assad chiites-iraniennes ou Hezbollah ne menacent pas Israël), ce que vous rappelez ne prouve aucun « complot » sioniste contre la Syrie. Revenons à la genèse de ces faits : il y a environ 4 ans, il s’est passé quelque chose d’assez intéressant à la frontière israélo-syrienne sur le plan humanitaire : un Syrien blessé s’est présenté devant un poste israélien pour demander de l’aide. Tsahal l’a aussitôt pris en charge et l’anecdote a fait son chemin jusqu’au plus haut niveau du commandement. C’est ainsi qu’est née l’opération “Bon voisinage” qui avait, pour Israël, deux fonctions. La première, évidemment, humanitaire. On ne laisse pas les gens mourir quand ils demandent de l’aide, même si ce sont des ennemis. La seconde, c’était un moyen de faire comprendre aux Syriens qu’Israël n’est pas le pays habité de monstres sanguinaires que leurs gouvernements successifs ont décrit pendant des décennies. On peut appeler cela une forme de communication visant à établir de meilleures relations avec le peuple syrien dans le dos de son gouvernement. En l’espace de 4 ans, l’armée israélienne a donc en effet soigné et sauvé plus de 4000 personnes, hommes, femmes et enfants ! J’en ai rencontré quelques-uns dans un hôpital israélien et leurs propos étaient particulièrement émouvants. Du jour au lendemain, ils se sentaient infiniment plus proches de leurs ennemis jurés que de leurs propres voisins. Mais Israël ne s’est pas contenté de soigner des blessés. Au cours de la même opération, l’Etat Hébreu a fourni aux villes du sud syrien quelques 450,000 litres de carburant, des générateurs d’électricité, des pompes, 250 tonnes de nourriture, des milliers de couches pour bébé, de chaussures, de vêtements chauds et des tonnes de matériel d’infrastructure pour permettre aux populations civiles de proximité d’avoir un semblant de vie normale. Mais dès qu’il s’agit d’Israël, les esprits s’échauffent et la moindre action est immédiatement suspectée et interprétée de façon négative par ses détracteurs.

Comme toute intox, y a-t-il une partie minime de réalité dans cette accusation et qui aurait pu alimenter les thèses complotistes accusant Israël de fomenter une révolution islamique en Syrie ?

Il est tout à fait possible que parmi les 4000 personnes secourues, certaines aient été membres d’Al-Qaïda ou même de Daech. Mais le principe de l’aide humanitaire consiste à ne pas demander sa carte du parti à un blessé avant de le soigner… Et puis, dans certains cas, l’armée a aussi obtenu des renseignements précieux pour la sécurité d’Israël. Par contre, l’accusation selon laquelle Israël aurait fomenté une révolution islamique en Syrie est absurde ! Comme je l’explique souvent dans mes conférences, Israël n’est pas la source ni l’objet d’un conflit territorial mais d’un antagonisme religieux. La haine des Juifs est inscrite dans le Coran, car Mahomet, après avoir été instruit au monothéisme par des rabbins et des prêtres, n’a pas toléré que la tribu juive de Qureshi refuse de se convertir à l’Islam. Pendant des siècles, les Juifs (et les Chrétiens) ont vécu comme des « dhimmis » en terre d’Islam, c’est à dire des citoyens de seconde classe, quasiment sans aucun droit, contraints de payer une taxe spéciale (la jiziya) ou de se convertir. Et voici, tout à coup, que ce petit peuple, appelé à disparaître, parfois haï et souvent méprisé, reconquiert sa terre d’origine, transforme un désert abandonné en pays ultra-moderne, et repousse toutes les agressions arabes, en résistant à un contre cent. Cet enchainement de faits est intolérable pour un islamiste, d’où la volonté de nombre d’états arabo-musulmans de faire disparaître Israël de la carte du monde depuis soixante dix ans. Par la guerre ou par la propagande. La survie d’Israël remet en cause jusqu’aux fondements même de leur religion, destinée à remplacer celle qui est à son origine. Le plus grand cauchemar pour Israël serait donc l’établissement d’un gouvernement d’inspiration islamiste à sa frontière nord. A tout prendre, mieux vaut un Assad que l’on connaît bien que Daech, Al Qaïda… ou l’Iran.

Les accords entre Russes et Israéliens en Syrie, notamment dans le sud (notamment à Kuneitra), sont-ils solides ? Est-ce vrai que Poutine, malgré l’alliance avec l’Iran et le Hezbollah en Syrie face aux jihadistes et rebelles sunnites, est un vrai ami d’Israël ? Comment gérer cet apparent paradoxe ?

Les relations entre Israël et la Russie ont toujours été complexes mais jamais aussi bonnes que depuis que Vladimir Poutine est au pouvoir. Soit dit en passant, c’est l’URSS et le KGB qui, en 1964, ont inventé le « peuple palestinien » et ont créé l’OLP pour en confier la direction à Ahmed Chuqueiri, puis à Yasser Arafat, un proche de Nasser. Deux dissidents de haut niveau Ion Mihai Pacepa, ancien chef des services secrets roumains sous Ceausescu et  Vasili Mitrokhin, responsable des archives du KGB jusqu’à sa défection en 1992, ont apporté des révélations étonnantes sur, par exemple, la façon dont le certificat de naissance d’Arafat, citoyen égyptien, a été remplacé par un faux pour faire croire qu’il était né en Palestine.

Après la défaite cuisante des pays arabes en 1967, l’URSS, qui était leur principal allié, a considéré cette débâcle comme un affront à la grandeur l’Empire Soviétique et a lancé une campagne de désinformation d’envergure inouïe contre Israël, faisant du sionisme une idéologie morbide dont la seule vocation était de conquérir le monde et qui dominait la politique américaine. Retour aux Protocoles des Sages de Sion. Grâce à eux, Israël, état juif, était devenu le « Juif des états ». Aujourd’hui encore, l’extrême gauche surfe sur ces légendes et a fait du peuple palestinien l’un des symboles majeurs de la lutte des classes, alors que jusqu’en 64, un Arabe de Judée Samarie, rebaptisée Cisjordanie pendant l’occupation jordanienne, ou de Gaza aurait considéré comme une insulte d’être appelé « palestinien ». Mais ne nous éloignons pas du propos.

Les relations israélo-russes se sont donc améliorées depuis la présidence de Vladimir Poutine ?

La différence fondamentale entre Poutine et les dirigeants précédents, c’est qu’idéologiquement, il se sent proche des Juifs et d’Israël. Tout d’abord, près d’un quart de la population israélienne parle russe. Le ministre de la défense israélien, Avidgor Lieberman, est né en Russie. Dans son enfance, Poutine a été aidé par ses voisins Juifs, qui le considéraient presque comme un fils adoptif, toujours bienvenu à leur table, alors qu’il était issu d’une famille très pauvre. Il ne l’a jamais oublié et ne se prive pas de rappeler cette anecdote chaque fois qu’il est invité à parler dans la communauté juive. Comme l’a révélé le président Trump récemment, Poutine serait “un grand fan de Bibi Netanyahou” avec lequel il démontre avoir les meilleures relations possibles. Ceci est hélas peu connu du grand public et de certains poutinophiles caricaturaux antisionistes qui croient que la Russie serait

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