Publié par Sidney Touati le 25 septembre 2018

L’audition d’Alexandre BENALLA par une commission sénatoriale, suivie en direct par plus de 4 millions de téléspectateurs, montre que le problème BENALLA a une réelle dimension politique.

Les révélations publiées par le journal Le Monde fin juillet 2018, ont provoqué une véritable tornade médiatico-politico-judiciaire.
Au beau milieu d’un été torride, un gros nuage a brutalement projeté une ombre noire sur le château élyséen et son actuel occupant. Le licenciement du zélé « garde rapproché » présidentiel n’a nullement calmé les esprits.
Même si les Français sont quelques peu fatigués par cette « affaire », ils persistent à lui accorder une extrême importance. Les gens veulent tout simplement comprendre.

Comprendre quoi ?

Le cas Benalla se résume factuellement à peu de choses: un employé contractuel a commis quelques fautes dans l’exercice de ses fonctions. Pour ces motifs, il a été licencié.
Comment expliquer qu’un banal problème afférent à la gestion du personnel, ait pris la dimension d’une affaire d’Etat, passionnant l’opinion publique en pleine période estivale ? S’il s’était agi d’une banale « affaire d’été », celle-ci ne continuerait pas à faire des vagues.

En réalité, l’affaire Benalla est le produit d’un dysfonctionnement qui affecte la tête de l’Etat, l’Elysée et le Président.

Lorsque l’Etat fonctionne correctement, qu’il bénéficie de la confiance des français, les problèmes qui peuvent en affecter sa marche, ne sont que des péripéties vite réglées, et auxquelles on n’accorde ordinairement qu’une attention distraite ou amusée.

L’impuissance de l’exécutif, son incapacité à régler rapidement le problème, montrent que le cas Benalla n’est pas de l’ordre de l’anecdotique. S’il n’est pas signifiant en lui-même, replacé dans son contexte, il est l’expression d’une faille dans la relation des appareils d’Etat (les administrations) avec le pouvoir politique (la Présidence).

Benalla est une sorte de panne dans le fonctionnement de la mécanique du pouvoir. Un court-circuit dans l’articulation de la volonté présidentielle aux organes qui la transforment en acte politique.

Au sommet de l’Etat, quelque chose n’a pas fonctionné. Tout un chacun a pu le constater au fil des auditions.
Pourquoi cette rupture dans la chaine du commandement ? Pourquoi ce flottement, cette inadéquation, ce malaise des instances les plus obéissantes du système ?

Benalla est en tout premier lieu le signe d’une grave confusion au sommet de l’Etat : confusion entre les besoins privés du Premier Magistrat du pays et les énormes moyens dont il dispose pour accomplir sa mission.

De tout temps, les hauts responsables politiques ont eu à arbitrer entre leurs actions destinées à satisfaire leurs besoins « privés » et celles qui relèvent du bien public. Les deux domaines coexistent en permanence, mais doivent impérativement être séparés et perçus distinctement par l’opinion publique.

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La phase privée devrait logiquement demeurer secrète.

Depuis Valéry Giscard d’Estaing on assiste à un envahissement du domaine public par le privé qui à rebours, se traduit par une sorte de processus de privatisation de la fonction présidentielle. Giscard veut partager sa sphère intime avec les Français. Il les reçoit au « coin du feu » avec sa femme ; il leur rend visite ; il joue de l’accordéon… Après Pompidou, la hauteur à laquelle la Constitution de la Vème République a placé le chef de l’Etat ne semble plus conforme aux attentes des nouveaux locataires de l’Elysée.

La solitude hautaine et glacée attachée à la fonction, est de plus en plus mal acceptée par les élus, qui veulent faire « peuple ».

Chirac incarne le grand frère et Sarkozy avec son « casse-toi pauvre con », le copain de classe.

Hollande et sa « présidence normale » ne fera que mener à son terme cette évolution. Le Président devient un citoyen comme les autres. La fonction est totalement désacralisée par la « pepolisation ».

Macron prend le contre-pied de cette dérive et s’inscrit d’emblée dans l’héritage ou le style gaullo-mitterrandien.
Mais il veut également conserver les facilités et le confort de la banalisation de la fonction, de sa théâtralisation ; être perçu et applaudi comme une vedette du showbiz.
Il partage avec les français son territoire intime (il s’exhibe très souvent avec sa femme). Il veut être à la fois en « haut » et en « bas » ; dans le sacré et dans le profane ; exceptionnel et quelconque. Il tente de réaliser l’impossible synthèse « de Gaulle/Hollande ». En clair, comme un enfant à qui l’on demande s’il veut le blanc ou le bleu, il répond : je veux les deux.
C’est ainsi qu’il va se prendre les pieds dans le tapis des confusions. Avec lui, il deviendra de plus en plus difficile de distinguer entre la volonté particulière-privée et la volonté publique-politique. Il agit comme si les deux ne formaient qu’une seule et unique instance et que les choix politiques dérivaient de ses goûts.

L’histoire récente ne manque pas d’exemples d’utilisation des moyens publics au service des intérêts privés. Ainsi en est-il de Mitterrand et de sa fille cachée. Le Président socialiste ne s’est jamais privé de mettre la puissance publique au service de ses besoins strictement privés. Mais Mitterrand avait conscience de la séparation irréductible de ces deux instances. Il se cachait pour aller rendre visite à sa fille chérie et interdisait à quiconque d’en parler. Les Français comprenaient cette discrétion. C’est le motif pour lequel l’usage des biens publics à des fins privées n’a pas fait scandale.

Ce regard bienveillant dont a bénéficié le président Mitterrand a cependant une limite, celle de la confusion des genres. Les français ne peuvent admettre que l’exercice du pouvoir lui-même soit en quelque sorte « privatisé », devenant la propriété du couple présidentiel.

L’affaire Benalla révèle que le locataire s’est comporté en propriétaire.

Emmanuel Macron agit comme si la fonction présidentielle était au service de ses goûts, de sa volonté privée ; comme si l’Elysée était à lui et que ceux qui y travaillent étaient ses employés, son personnel.

Benalla n’est pas le seul signe de cette confusion déplorable.
Il y a eu l’omniprésence de sa femme « Brigitte » qui a pu amuser un temps, mais qui est très vite devenue objet de railleries.

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L’Elysée = boite de nuit.

Il y a eu ce groupe de chanteurs invité à l’Elysée pour la fête de la musique. L’étalage indécent de ces musiciens iconoclastes dans ce lieu sacré ; la transformation de l’Elysée « en boite de nuit électro » comme cela a été rapporté dans la presse, a profondément choqué les français.

Comme tout un chacun, le Président a certes le droit d’avoir des goûts particuliers. Les français sont extrêmement respectueux de la vie privée de chacun, y compris celle du président. Mais à l’inverse, celui-ci ne doit pas laisser ses particularismes envahir l’espace public et ses goûts l’emporter sur les règles de la bienséance, celles du respect du grand public, celles des hauts-lieux où s’exerce le pouvoir.

Cette prééminence des choix privés sur les plus hautes fonctions publiques s’est brutalement focalisée dans l’image insoutenable du « petit voyou de banlieue » donnant des ordres à des hauts fonctionnaires.

Les Français si attachés à l’Etat, aux hiérarchies, ont vu quelque chose de tout simplement impensable. Ils ont vu un Préfet faire allégeance à un petit voyou, cherchant à obtenir ses bonnes grâces ; ils ont vu le Ministre de l’Intérieur contraint de subir les errements de ce dernier.

Ils sont les témoins du copinage d’Etat qui impose ses normes arbitraires au fonctionnement des plus hautes institutions.

Les français ont ressenti un profond sentiment d’humiliation, de dégoût, de révolte face à l’arrogance d’Alexandre Benalla, qui semblait pouvoir s’affranchir de toutes les limites ; usurper les fonctions policières ; participer à des interpellations musclées ; frustrer la foule qui attendait depuis des heures le passage du bus de l’équipe de France ; fouler aux pieds les institutions pour satisfaire aux caprices du Prince.

« il peut venir un moment que le seuil de la conscience générale est atteint et qu’il devient impossible à la plupart de songer à leurs affaires particulières sans qu’ils y trouvent quelque difficulté imputable aux vices de l’Etat. » (Paul Valéry ; Regards sur le monde actuel ; idéés, p.80)

Avec l’affaire Benalla ce seuil a été franchi. Les vices de l’Etat sont partout. Les citoyens se heurtent en permanence à une bureaucratie pléthorique incapable de remplir correctement ses missions. Prélèvements obligatoires exorbitants-matraquage fiscal-Chômage chronique-insécurité-déculturation massive-immigration non maîtrisée…
La constitution de la Vème République suppose un homme providentiel, une sorte de surhomme que le fonctionnement normal des institutions est incapable de produire. Jusqu’à François Hollande, l’homme normal flottait dans un costume présidentiel trop grand pour lui. Avec l’affaire Benalla, l’homme-président vient de « tomber la veste ». Le roi est nu.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Sidney Touati pour Dreuz.info.

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