Pour Gilles-William Goldnadel, derrière la façade de l’égalité de traitement judiciaire et médiatique, l’idéologie dominante institue un double standard. Le sort réservé par la presse française à Asia Argento, accusée d’agression sexuelle, en témoigne.
Je vais désormais conseiller à mes clients d’épouser une posture progressiste.
C’est beaucoup plus sûr en cas de problème judiciaire ou médiatique.
Il n’y a qu’à regarder autour de nous pour s’en convaincre.
Prenez François, le pape. Un ancien nonce apostolique l’accuse de manière circonstanciée d’avoir fermé les yeux pendant des années plutôt que de prendre des mesures contre les turpitudes pédophiles d’un haut clergyman américain.
La presse internationale demeure pour l’heure bonne fille à l’égard du prêtre latin en chef de la libération et reste d’un calme ecclésiastique. Mon imagination est impuissante à décrire la réaction de la même presse si, par hypothèse, un tel scandale avait éclaboussé son prédécesseur conservateur et allemand. Beaucoup, dès son avènement, avaient cru devoir diligenter à son encontre un procès surréaliste pour avoir, enfant, été inscrit aux jeunesses hitlériennes.
Prenez Jeremy Corbyn, leader du parti travailliste, chaque jour que l’être suprême fait, un nouvel indice de son antisémitisme apparaît. Après qu’on ait appris qu’il se soit incliné respectueusement devant les tombes des massacreurs des athlètes israéliens à Munich, voilà qu’une vidéo datant de 2013 a été diffusée le 25 août dans laquelle il déclare sur une WebTV promue par le Hamas: «Les sionistes ont clairement deux problèmes. L’un est qu’ils ne veulent pas tirer les leçons de l’histoire, et le second c’est que bien qu’ils vivent dans ce pays depuis très longtemps, probablement toute leur vie, ils ne comprennent pas l’esprit anglais. Ils ont besoin de deux leçons, et nous pouvons peut-être les y aider».
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Un esprit chagrin pourrait être conduit à penser que derrière le vocable «sioniste» se dissimule, cette fois sans grand problème de décodage, un «juif». Et bien, en dépit de ces preuves accablantes à répétition, en dépit que l’intéressé lui-même, dos au mur, a été contraint de reconnaître «qu’il y avait un problème d’antisémitisme au Labour» en oubliant toutefois, sans doute par modestie, de s’y inclure, on ne peut dire que la gauche antiraciste française, dont on connaît ordinairement le caractère vétilleux, se soit passionnée pour la question.
Viktor Orban n’aurait peut-être pas bénéficié de la même tempérance.
Mais je reconnais bien volontiers que dans les deux cas dont je viens de me saisir, je me suis livré à une manière de spéculation intellectuelle qu’on pourrait taxer d’hasardeuse.
En revanche, s’agissant des mises en cause de porte-paroles du féminisme le plus radical et de la mansuétude dont elles ont bénéficié, j’apporte cette fois des preuves positives à ma démonstration.
Parlons d’abord d’Asia Argento: cette figure de proue du mouvement Me Too a toujours bénéficié d’une exceptionnelle bienveillance. J’avais personnellement été atterré que nul n’ait osé dans le chaud de l’affaire Weinstein, lui poser quelques questions qui semblaient s’imposer, mais toute mise en question de son témoignage par un mâle blanc de plus de 50 ans était équivalent à un acte de complicité. Il fallait par exemple lire l’article signé Mymy dans Mademoizelle.com pour s’en convaincre: «Asia Argento s’exprime pour Envoyé Spécial sur le viol qu’elle accuse Harvey Weinstein d’avoir commis. Digne, pudique, elle raconte son histoire et ses espoirs.» «Cette interview respire la dignité, la pudeur, mais aussi la douleur.
Asia Argento s’exprime de façon posée, mais parfois ses yeux s’emplissent de larmes… le producteur la touche, la caresse, il finit par accomplir un cunnilingus, malgré les protestations d’Asia Argento qui lui répète «non, je n’ai pas envie.» Voyant que ses protestations ne fonctionnent pas, Asia Argento se résout à simuler un orgasme afin qu’il arrête… Outrepassant sa pudeur naturelle, l’actrice explique que depuis ce jour, elle ne peut plus prendre de plaisir au cunnilingus. Cette pratique est associée, dans son esprit, au «monstre» qui a abusé d’elle.»
Pourtant on apprenait (New Yorker, Sept sur Sept) que durant les cinq années qui ont suivi ces faits, Asia Argento avait eu plusieurs relations sexuelles avec le monstre. Même si ces dernières étaient alors «consenties», l’actrice affirmait s’être sentie obligée, au risque que Weinstein ne mette fin à sa carrière…
Cette situation, pour le moins ambivalente, n’avait pas empêché l’actrice de recevoir une ovation lors de la soirée de clôture du festival de Cannes cette année après pourtant avoir lancé sévèrement au public masculin: «en 1996, j’ai été violée par Harvey Weinstein, ici à Cannes… encore ce soir, ici, à côté de vous, il y a des gens qui devraient être tenus responsables de leur comportement envers les femmes. C’est un comportement qui n’a pas sa place dans cette industrie. Vous savez qui vous êtes. Mais le plus important, nous, nous savons qui vous êtes. Et nous n’allons plus vous laisser vous en tirer plus longtemps»
Mais il n’était pas question que la foule mondaine et conformiste de Cannes, fasse montre de trop d’esprit critique, aucun homme qui n’avait rien à se reprocher n’osa protester.
Madame Argento, incarnant la morale contemporaine offensée autant que la souffrance féminine encolérée, fut donc acclamée.
Trois mois plus tard, on apprenait par la lecture du New York Times que l’égérie du hashtag le plus réussi de tous les temps avait payé 380 000 $ pour éteindre les poursuites judiciaires d’un homme qui affirmait qu’elle l’avait agressée sexuellement dans une chambre d’hôtel californienne en 2013 alors qu’il était mineur.
La réaction progressiste à cette dernière accusation n’est pas de la même farine que celle qui frappe les porcs ordinaires. Cet article de Libération signé Mathieu Lindon le 31 août, en est le témoignage le plus décontracté: «Si j’ai bien compris, pour cette malheureuse Asia Argento, la première pierre était un boomerang à retardement. Il y a certes quelque chose d’injuste quand on pense au nombre d’hommes adultes qui auraient adoré être à la place de la pauvre petite victime et qui doivent penser que c’est un étrange porc balancé à un amateur de marmelade et qu’il n’y aurait pas de quoi faire toute une tartine de cette confiture au cochon (note de l’auteur: je n’ose imaginer la réaction progressiste en cas de plaisanterie du même tonneau concernant une accusation de viol sur une jeune fille mineure)… «la partie masculine des hétérosexuels doit commencer à se sentir moins seule.».. «Et oui, ça peut arriver à tout le monde. On la ramène moins, non? Cette réaction n’est pas d’une grande noblesse mais la mesquinerie aussi, c’est humain»
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Et ce mois d’août 2018 fut mesquin pour cette cause féministe radicale qui avait été la grande meneuse du mouvement Moi Aussi.
Le 15, Le New York Times révélait en effet qu’Avital Ronell, philosophe, critique littéraire et féministe américaine mondialement connue, figure de proue du déconstructionnisme et professeur de littérature comparée de l’université de New York aurait été reconnue responsable de harcèlement sexuel sur un de ses anciens élèves, Nimrod Reitman. Elle démentait toutes les accusations de harcèlement mais admettait toutefois qu’elle ne savait pas que son élève n’était pas à l’aise avec les e-mails libidineux qu’elle pouvait lui envoyer. Au terme de l’enquête, seul le harcèlement sexuel a été retenu contre elle.
Mais ce qui est bien plus intéressant, au-delà de cette affaire moderne désormais banale, c’est qu’on apprenait qu’un groupe de chercheurs menés par Judith Butler, auteur de Trouble dans le genre, l’une des chercheuses féministes les plus influentes et radicales, déclaraient: «bien que nous n’ayons pas eu accès au dossier, nous avons tous travaillé pendant de nombreuses années avec la professeure Ronnel et déplorons les dommages que cette procédure lui causent, nous visons à inscrire dans des termes clairs notre objection à tout jugement produit contre elle.
Nous maintenons que les allégations prononcées à son égard ne constituent pas des preuves, mais soutiennent plutôt l’intention malveillante qui a soutenu ce cauchemar juridique. Nous témoignons de la grâce, de l’esprit affûté, de l’engagement intellectuel de la professeure Ronnel et demandons que lui soit accordée la dignité qu’elle mérite pour quelqu’un de sa stature internationale et de sa réputation».
Même le New York Times notait que cette lettre rappelait les arguments utilisés pour contrer les enquêtes de harcèlement sexuel commis par des hommes et que rejettent habituellement avec indignation les féministes radicales.
Au-delà cet usage effectivement très sélectif de la présomption d’innocence à idéologie variable,
On notera aussi sa conception très aristocratique: un esprit libéral comme celui de Madame Ronnel ne pouvant, d’évidence, être perverti. Dans le même esprit, mais sous un angle victimaire, je ne résiste pas au plaisir de reproduire les dernières lignes de l’article publié par Libération le 28 août 2018, sur le même sujet et signé Robert Maggiori: «Il est vrai que dans l’Amérique de Trump, une théoricienne de gauche, politiquement incorrecte, lesbienne, féministe, militante de la révolution MeToo fait une parfaite «harceleuse» qu’on doit couvrir d’opprobre». Je réédite: l’affaire Ronnel venait d’être révélée par le très libéral New York Times…
Ceci nous rappelle cette pétition d’artistes et d’intellectuels de gauche menée par Armand Gatti, publiée dans Le Monde le 18 août 2003, intitulée «Bertrand Cantat reste des nôtres» et réclamant l’indulgence pour l’assassin de Marie Trintignant «avec ses larges épaules comme un horizon» et saluant «son engagement, son talent artistique, son humanisme, sa rigueur intellectuelle»
Selon que vous serez progressiste ou conservateur, féministe radical ou banal hétérosexuel, les jugements médiatiques vous rendront blanc ou noir…
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Gilles-William Goldnadel. Publié avec l’aimable autorisation du Figaro Vox.
Vitriol à l’intérieur, humour et finesse à l’extérieur : merci Me Goldnadel.
Y a-t-il plus hypocrite et malhonnête qu’un « progressiste » ?
pour sur aucun juge ne lira cet article, le bon sens, la logique, l’esprit de recoupement n’est plus de mise avec la « justice » française! l’humour même y est suspect, alors donc s’il est victime d’une plainte, je ne doute pas de la suite donnée contre goldnadel
C`est pas l`histoire du Maccon et ca Bibi a l`ecole ??
Catrin,
C’est tout à fait ça, sa Bibi à l’école a abusé de son autorité envers son élève Macron mineur (15ans) à l’époque, pour le violer. Les féministes auraient pu crier, balance ta cochonne qui est devenue 1er dame aujourd’hui, où est la morale dans tout ça.
Dernierement j’ai lu un article sur un cas similaire aux Etats unis, la professeur a été condamnée par la justice à 10 ans de prison. La bas ça ne rigole pas avec les cochonnes.
Bibi aurait violé Macron à l’école ???
Attention à ce que vous dites car l’info pourrait être reprise par l’AFP et Le Monde ! 😆
« Trois mois plus tard, on apprenait par la lecture du New York Times que l’égérie du hashtag le plus réussi de tous les temps avait payé 380 000 $ pour éteindre les poursuites judiciaires d’un homme qui affirmait qu’elle l’avait agressée sexuellement dans une chambre d’hôtel californienne en 2013 alors qu’il était mineur. »
Ma foi, cette phrase trouve des résonances étrangement actuelles, ou anciennes-actuelles:
on s’efforce d’éteindre le feu facilement à mettre aux poudres et on a raffistolé l’égérie pour réduire le délit: pire on fait payer le délit aux contribuables, mêmes les moins argento- pardon les moins argentés:
ça décoiffe de vous lire, Me Goldnadel
Merci à Mr Goldnadel…
Cela fait un moment que je pense ce que vous avez exprimé… Quand on parlait de Weintein, sans le dédouaner de ses forfaits, je me disais que tout de même… Il était celui qui prenait pour quantité de personnes pas beaucoup plus innocentes que lui.
Toutes ces dénonciations qui s’accumulaient me dégoutaient totalement.
Quelquefois pour des actes qui ne me choquaient pas plus que ça… Surtout quand cela venait de ce milieu qui tout de même est plutôt « libre ».
Attention ! Jamais je n’ai songé un instant à critiquer leur mode de vie. Dans leurs activités ils sont soumis à des tentations plus que le commun des mortels, et donc il n’était pas question de critiquer.
Mais depuis que l’ensemble de ces personnes, telle une meute enragée, partie en chasse… Eh bien ma compréhension de leur façon de vivre est beaucoup moins bienveillante…
Aujourd’hui j’accuse les réalisateurs de faire des films violents et d’une sexualité débridée qui n’est pas toujours utile au message qu’ils désirent faire passer.
J’accuse les artistes qui participent à faire ces films à la chaîne, pouvant faire croire aux plus jeunes que ce qu’ils voient est la norme à suivre.
Je les accuse pour l’affaire Weinstein, qui aurait dû être dénoncé dès la première ou deuxième agression, d’avoir attendu, chacun et chacune de profiter des avantages qu’ils pouvaient tirer de lui…
Et je les accuse d’être d’une hypocrisie écœurante dans ces dénonciations tardives, quand cela les arrange.
Et les médias qui relaient avec complaisance de tels comportements… Les élites qui condamnent unanimement… Tout ce beau monde pour moi n’est qu’une immonde fange dans laquelle ils nagent avec délices en toute connaissance de cause… Tout en nous jouant les vierges effarouchées.
J’ai maintenant des difficultés à pouvoir lire, voir, écouter tous ceux qui se proclament artistes… Ce ne sont que de fausses saintes-nitouches et de vrais tartuffes nauséabonds !