Publié par Thierry Ferjeux Michaud-Nérard le 26 octobre 2018

Le docteur Stern Mikhaïl a été condamné à huit ans de régime renforcé avec confiscation de tous ses biens.

Le tribunal a examiné en audience publique, dans la ville de Vinnitza, l’affaire de Stern Mikhaïl, né en 1918, domicilié à Vinnitza, “juif”, niveau d’études universitaire, marié, exclu du PCUS du fait de la présente affaire, ayant travaillé comme chef du service polyclinique du dispensaire régional d’endocrinologie de Vinnitza, jamais condamné auparavant, accusé des crimes visés par les articles 168 § 2 et 143 § 2 du Code pénal, après avoir entendu les dépositions de l’accusé, des plaignants, des témoins, les conclusions des experts, le réquisitoire du ministère public et la plaidoirie de l’avocat de la défense, la déclaration finale de l’accusé, la Cour a reconnu Stern Mikhaïl coupable et le condamne en vertu de l’article 168 § 2 du Code pénal à huit ans de privation de liberté avec confiscation de tous ses biens, sans relégation, et en vertu de l’article 143 § 2 du Code pénal à quatre ans de privation de liberté avec confiscation de ses biens. Vu l’article 42 du Code pénal sur le non-cumul des peines, condamne Stern Mikhaïl à une privation de liberté de huit ans à purger dans une colonie de travail correctif à régime renforcé et à la confiscation de tous ses biens, sans relégation. Vu l’article 470 du Code civil, ordonne la restitution au profit de l’État de 715 roubles d’origine délictueuse et ordonne le recouvrement, des frais de justice d’un montant de 207 roubles 71 kopeks.

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Le Monde a publié l’appel de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, accompagné de la signature de cinquante prix Nobel, après que la cour d’appel ait confirmé la sentence qui condamnait le docteur Mikhaïl Stern à huit ans de travaux “correctifs” dans un camp à régime renforcé.

Le docteur Stern exerçait depuis trente ans la profession de médecin. L’année de son arrestation, il dirigeait le département de consultation du centre d’endocrinologie de Vinnitza. Il avait organisé le premier dispensaire spécialisé dans le traitement du goitre en Ukraine de l’Ouest. C’est en grande partie grâce à lui que cette maladie qui frappait en Ukraine des villages entiers a presque disparu. Par son dévouement et sa compétence, il s’était acquis la plus haute estime de tous, en Ukraine et au-delà. L’acte d’accusation fabriqué par le juge, après interrogatoire de plus de 2000 anciens patients du docteur Stern, lui reprochait d’avoir reçu, au cours de plus de vingt ans d’activité, les “pots-de-vin” suivants : deux oies, un coq, soixante-dix œufs, trois paniers de pommes et 775 roubles. Malgré tous les efforts du K.G.B., aucun des faits allégués ne put être établi. Mais le tribunal le déclara coupable.

Il était clair que le verdict était aussi inique que grotesque. En vérité, les prétextes invoqués n’avaient aucune importance. C’est pour de tout autres raisons que la justice soviétique frappait le praticien. Son fils Victor, physicien et mathématicien, âgé de 34 ans, et son fils August, docteur en psychologie, âgé de 30 ans, avaient déposé une “demande d’émigration”. Étant donné leur brillante réputation et leur statut relativement privilégié, le K.G.B. estima que leur départ apparaitrait comme une “contestation de la société soviétique”.

Le K.G.B. exigea du docteur Stern qu’il s’oppose à leur désir, comme la loi lui en donnait le droit. Mikhaïl Stern refusa : ses fils étaient majeurs, il n’entendait pas contrarier leur volonté. Aucune menace ne put le faire plier. Aujourd’hui, il est détenu dans un camp de Kharkov où les conditions sont très dures.

Son fils August a obtenu ensuite le “droit d’émigrer”. Son fils Victor a été “chassé d’Union soviétique”, contre son gré, abandonnant à sa solitude une mère malade. Le fait que le docteur Stern soit “juif” n’est pas étranger au malheur qui s’est abattu sur lui. Il y a beaucoup de circonstances où s’exerce l’arbitraire étatique, en cas de “non-conformisme idéologique”. Par-delà le cas du docteur Stern, c’est l’arbitraire judiciaire qui doit être dénoncé. “Mourir debout plutôt que vivre à genoux”, a écrit le docteur Stern dans son testament.

Et c’est de mort qu’il s’agit. Sa santé détruite, astreint à des tâches épuisantes, il ne résistera pas à une prolongation de peine. Le seul crime du docteur Stern, c’est d’avoir respecté en la personne de ses fils le “droit de l’homme à la liberté”. Par représailles, sa propre liberté lui a été ôtée et les contraintes qui pèsent sur lui vont le priver de sa vie. Il est encore temps pour la justice soviétique de racheter cet attentat qu’à travers le docteur Stern elle a commis contre la personne humaine. Sinon elle achèvera de se déshonorer.

Les chefs d’inculpation de Stern étaient d’avoir touché des pots-de-vin de Goujva S. d’une somme de 150 roubles et d’avoir reçu une somme de 250 roubles “au moyen d’escroquerie”. Le “verdict antisémite” a déclaré Stern coupable pour avoir reçu de Goujva des pots-de-vin d’un montant de 115 roubles. Le verdict est basé sur le témoignage “antisémite” de Goujva S. (un alcoolique et un voleur), de sa femme Goujva M. et des témoins Melnik et Mikhaïlsky. Pourtant la Cour n’avait pas de raisons suffisantes pour tenir les témoignages des époux Goujva dignes de foi. Avant de rencontrer le docteur Stern, la femme Maria Goujva avait subi une opération de la glande thyroïde. Ce faisant, les médecins lui avaient aussi prélevé par erreur les glandes parathyroïdes. Le résultat de cette opération a été de rendre M. Goujva gravement malade. “J’ai su tout de suite que j’étais gravement malade pour la vie“, a déclaré Maria Goujva au procès (cote 7, p. du dossier 33).

Naturellement, les résultats de l’opération manquée étaient connus de Maria Goujva et de son mari S. Goujva. Le docteur Stern n’a rien à voir avec cette opération ratée. Ils se sont adressés à lui alors que Maria Goujva était déjà dans un état grave. Toutefois, S. Goujva affirme contre toute évidence que Stern “a amené sa femme jusqu’à un état très grave” (cote 1, p. du dossier 18). Ce fait est suffisant pour démontrer le côté tendancieux des témoignages de S. Goujva contre Stern et que S. Goujva calomnie intentionnellement Stern.

Stern affirme que la détérioration de ses relations avec Goujva était la conséquence de la mauvaise conduite de S. Goujva, “un ivrogne et un voleur“. S. Goujva avait volé la montre de Stern dans son cabinet.

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Ces affirmations de Stern ont été confirmées en cours d’audience par le témoin Balmazia, infirmière-chef du dispensaire : “Oui, je me souviens d’un tel cas. Un homme est sorti en courant du cabinet de Stern, il jurait et il s’est précipité dans la rue. J’ai demandé aux visiteurs ce qui se passait et ils m’ont dit que c’était un ivrogne. À ce moment-là Stern est sorti et a dit que le malade lui avait volé sa montre et qu’il la lui avait retirée de sa poche” (cote 7, p. du dossier 140). L’analyse des dépositions de S. Goujva montre nettement qu’il s’agit de contre-vérités. S. Goujva affirme qu’il a été reçu par Stern, que le docteur a exigé de l’argent, qu’il a reçu 50 roubles de Goujva, et qu’il a hospitalisé sa femme le même jour ; que Goujva a pris cet argent à sa belle-mère Melnik, à qui il avait expliqué que la somme “était destinée au docteur” pour faire hospitaliser sa fille.

S. Goujva affirme qu’il avait expliqué au chauffeur Mikhaïlsky, qui l’avait conduit avec Melnik, qu’il avait “un besoin pressant d’argent pour le docteur” ; que sa femme a été hospitalisée après qu’il eut ramené cet argent et l’eut remis au médecin ; qu’il était “parti chercher cet argent seul“, sa femme ayant passé la nuit dans une pension à Vinnitza et n’étant pas retournée à la maison.

Les affirmations de Goujva sont réfutées par les pièces du dossier. La fiche individuelle de la malade Maria Goujva indique qu’elle s’est rendue à la consultation du docteur Stern (cote 4, p. du dossier 39-11). Mais ce n’est pas le docteur Stern qui l’a fait hospitaliser. Une feuille hospitalière lui a été délivrée par une commission médicale. La fiche montre qu’entre temps, Maria Goujva ne s’est plus adressée au dispensaire.

En conséquence, son mari ne dit pas la vérité.

En réalité, elle est revenue à la maison après que soi-disant 50 roubles eurent été remis à Stern.

Les témoins Melnik et Mikhaïlsky ont démenti à l’audience les affirmations de Goujva, prétendant qu’il avait “pris 50 roubles à Melnik” pour l’hospitalisation de sa femme. Tous les deux ont affirmé que Goujva est venu “chercher l’argent chez Melnik” alors que sa femme était déjà à l’hôpital. Melnik a témoigné avoir “donné à son gendre” “pour le docteur” un canard, des oignons et de l’ail. Il ne découle pas de la déposition de Melnik que “l’argent qu’elle avait donné à son gendre” (un alcoolique et un voleur) était destiné au docteur Stern.

L’appel de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, signé de cinquante prix Nobel, a attiré l’attention sur le sort du docteur Mikhaïl Stern, (médecin juif) condamné par la cour d’appel à 8 ans de travaux correctifs dans un camp de travail à régime sévère. Médecin-chef du centre d’endocrinologie de Vinnitza, réputé depuis trente ans pour sa compétence et son dévouement, et membre du parti communiste depuis la guerre, le docteur Stern s’est refusé à faire pression sur ses deux fils, Victor, physicien et mathématicien de 34 ans, et August, docteur en psychologie, âgé de 30 ans, qui venaient de déposer une demande d’émigration.

Le K.G.B. fabriqua un procès invraisemblable, où le docteur Stern fut accusé sans preuve, et par la manipulation de faux témoins, d’avoir en 20 ans de pratique reçu en pots-de-vin : deux oies, un coq, soixante-dix œufs, trois paniers de pommes et 775 roubles. Cette affaire ne date pas de Staline. Ce n’est pas la vie des camps, aujourd’hui bien connue depuis la publication de L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne, que le procès soviétique “ordinaire” du (médecin juif) Mikhaïl Stern raconte, mais la mécanique qui l’a condamné par la routine bureaucratique inexorable de la justice soviétique en 1974.

(“Un procès “ordinaire” en U.R.S.S. Le docteur Stern devant ses juges”, © Gallimard, Paris, 1976)

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Thierry-Ferjeux Michaud-Nérard pour Dreuz.info.

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