Publié par Thierry Ferjeux Michaud-Nérard le 3 octobre 2018

Élie Wiesel décrit, dans ses Mémoires*, l’évolution socialiste du délitement politique et communautariste de l’enseignement universitaire aux États-Unis dans un chapitre intitulé : “apprendre et enseigner”.

Il évoque le sujet controversé de “la sélection à l’université” combattu par la politique égalitariste :

“Beaucoup de candidats, très peu d’élus. Seuls les meilleurs des meilleurs y sont admis.”

Résultat : “la politique nouvelle d’open admissions (inscription ouverte) a fait baisser le niveau de City Collège”. Tout d’un coup, n’importe qui pouvait s’y faire admettre et cette institution universitaire prestigieuse est devenue une victime de la politique socialiste : “une espèce de lycée et, de surcroît, pas le meilleur”.

“Je leur raconte ce qui m’arrive. Un doyen de Yale m’offre un poste de professeur. Je suis d’humeur à ne rien refuser. La chance me sourit. Un doute surgit dans mon esprit : que vais-je faire à Yale ? Je ne suis pas encore prêt. Mais, comment dire non à Yale ? Et que devient le fameux argument : combien de garçons de Sighe ont-ils été invités à Yale ? Dans ma chambre d’hôtel, tout en répondant aux questions du journaliste, la solution me saute aux yeux : c’est vrai que peu de Sighetiens ont été invités à Yale, mais combien ont-ils refusé l’invitation de Yale ? Quinze ou vingt ans plus tard, j’y viendrai enseigner les humanités…”

“En 1994, le professeur Yitz Greenberg me transmet une proposition de l’université de la Ville de New York d’y enseigner à plein temps. C’est lui qui dirige le département d’études juives. Cette fois-ci, je décide de ne plus me dérober. Le signe me paraît trop évident. Un changement de mode de vie s’impose. Pourquoi pas ? Le campus de City College, on l’appelle “le Harvard ou le Yale des pauvres”.

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“Beaucoup de candidats, très peu d’élus. Seuls les meilleurs des meilleurs y sont admis.”

“Les plus grands noms des lettres américaines, on les rencontre là-bas, soit comme anciens élèves, soit comme enseignants. Pour faire plaisir à Yossele Rosensaft, j’invite son fils unique, Menahem, à devenir mon assistant. Intelligent, bûcheur, bien informé, diplômé de l’université John Hopkins, il est la fierté de ses parents. Sa tâche : m’aider à préparer les programmes, le calendrier des cours, lire les dissertations et les corriger. Et les noter. Car moi j’en suis incapable. Je veux dire : incapable de donner de mauvaises notes !”

“Je ne supporte pas de voir un jeune visage malheureux, malheureux à cause de moi. En fait, si l’étudiant reçoit une mauvaise note, c’est sa faute, pas la mienne. Je me sens quand même mal à l’aise. Menahem aussi. Comme il est plus jeune, il est plus rigoureux. Les élèves ne lui en veulent pas. Tous les étudiants me sont proches : ma porte leur est ouverte. J’essaie d’en faire des amis. Au commencement, ils m’intimident. Saurai-je les guider en les instruisant ? Je prends pourtant mes responsabilités au sérieux : pour chaque heure de cours, j’investis quatre heures de préparation. Jamais je n’ai tant étudié. En moi-même, je me dis : je ne suis peut-être pas le meilleur professeur de l’université, mais j’en suis l’élève le plus assidu.”

“Voilà plus de vingt-cinq ans que j’enseigne et pourtant, aujourd’hui encore, je tremble avant d’entrer en classe. Années fructueuses, exaltantes. Je ne le répéterai jamais assez :

J’ai une passion pour l’étude, donc pour l’enseignement . Et inversement.

Dans ce cadre universitaire, cette passion me permet de donner toute ma mesure. Étrange, me dis-je parfois. Adolescent, je rêvais de devenir écrivain et rosh-yeshiva, donc enseignant. Or, aujourd’hui, j’écris et j’enseigne. La trajectoire ne correspond pas à mon rêve, mais son point de départ et d’aboutissement est le même. Le destin de l’individu serait-il scellé dès le premier pas ?

C’est en silence que les étudiants étudient, et en silence que l’instructeur instruit…

Cours nécessaires, indispensables, mais je ne les ferai pas longtemps.

Des jeunes professeurs prennent la relève. Je peux m’orienter vers d’autres domaines.

Au bout de trois ans, je démissionne de City University pour un poste à l’université de Boston où, titulaire de chaire, je continue d’enseigner aujourd’hui. Honneur suprême : en tant que university professor, je suis habilité à choisir les thèmes de mes cours et mes étudiants.

C’est John Silber, redoutable kantien et administrateur hors pair, qui m’a convaincu de faire partie de sa faculté. Président de l’université de Boston (aujourd’hui chancelier, ayant cédé sa position à son collègue et ami Ion Westling), sa force de persuasion est peu ordinaire.”

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“Malgré cela, je n’aurais pas succombé à sa séduction, si ce n’était le fait que “la nouvelle politique d’open admissions (inscription ouverte) avait fait baisser le niveau de City Collège”. Tout d’un coup, n’importe qui pouvait s’y faire admettre et “cette institution universitaire prestigieuse devint une espèce de lycée et, de surcroît, pas le meilleur”. Mes collègues universitaires se plaignaient. En recalant des cancres, ils risquaient de se faire accuser de discrimination raciale par les minorités ethniques !
“Comment annoncer ma démission au doyen Ted Gross ? Il se montra compréhensif et me rassura : “Le monde universitaire est très mobile aux États-Unis.” Lui-même quitta City Collège pour présider aux destinées de l’université Roosevelt à Chicago…”

(adapté de Élie Wiesel, Mémoires 2, © Seuil, 1996)

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Thierry-Ferjeux Michaud-Nérard pour Dreuz.info.

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