Publié par Gaia - Dreuz le 3 octobre 2018

Les députés LREM Aurélien Taché et François Cormier-Bouligeon se sont violemment pris à partie sur Twitter, le second accusant le premier de défendre des positions communautaristes. Une nouvelle preuve que la laïcité reste un impensé chez les marcheurs de l’Assemblée.

Au sein d’une majorité habituée aux échanges convenus et à la novlangue consensuelle, l’échange a fait désordre. Sur Twitter, ce lundi 1er octobre, les députés macronistes Aurélien Taché et François Cormier-Bouligeon ont fait étalage de l’étendue de leurs désaccords politiques, alors qu’ils cohabitent au sein du même groupe parlementaire.

Thème de la passe d’armes : la laïcité et leur conception de la République, rien de moins.

Tout est parti d’un message public envoyé par Aurélien Taché à Agnès Thill… sur un tout autre sujet. Cette autre députée macroniste mène depuis plusieurs semaines un combat résolu contre l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Sur France 5, elle s’était étonnée que la majorité, dans un même mouvement, lance le plan contre la pauvreté et crée « des femmes seules avec des enfants ». Une sortie qui a déclenché l’ire d’Aurélien Taché, fervent partisan de la mesure sociétale. « Quand on est progressiste, ce n’est pas en maintenant une discrimination légale qu’on lutte contre la pauvreté mais avec une politique sociale émancipatrice (…) », attaque-t-il.

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Un troisième député En Marche intervient alors dans la bisbille. Il s’agit de François Cormier-Bouligeon, élu du Cher. « Tu n’es peut-être pas le mieux placé pour faire la leçon sur le progressisme et l’émancipation au vu de tes positions plus proches du communautarisme que de la laïcité, tranche celui qui fut le chef de cabinet adjoint d’Emmanuel Macron au ministère de l’Economie. Agnès Thill défend des positions personnelles et a le mérite de ne pas engager la République en Marche. » Voilà la laïcité mise sur la table. Aurélien Taché réplique, courroucé : « Défendre les libertés pour toutes et tous, quelle que soit l’orientation sexuelle, l’origine ou la religion, c’est cela le progressisme. En exclure les musulman(e)s…cela porte un autre nom et c’est un délit, pas une opinion. » Ce à quoi son collègue répond : « Ton accusation est grave et insultante. Elle démontre la mauvaise foi de ton positionnement qui indigne nombre de nos collègues ».

Si les passes d’armes entre députés de bords politiques différents sont fréquentes, la violence de l’échange qui oppose deux hommes se côtoyant au sein du groupe LREM est frappante. Elle illustre l’abîme qui oppose certains députés marcheurs en matière de laïcité. De ce point de vue-là, Aurélien Taché place ses pions de longue date, en prônant une approche la plus « inclusive » possible. Ancien président de l’Unef à Limoges, le jeune (34 ans) élu du Val-d’Oise avait ainsi vigoureusement défendu Maryam Pouchetoux, responsable élue du syndicat étudiant arborant le voile islamique. Il s’était également prononcé en faveur du retrait des associations religieuses de la liste des lobbies. En parallèle du débat sur l’organisation de l’islam en France, le député avait clamé que ce culte faisait « pleinement partie de l’identité française », regrettant qu’il n’y ait pas « toujours eu dans la République un rapport simple à la religion » – il avait en sus estimé sur France 5 qu' »aujourd’hui, des jeunes femmes qui portent le voile, c’est la France ». Le député, qui se prévaut auprès du Figaro d’être « sur la même ligne que celle du président de la République » en matière de laïcité, est même allé jusqu’à s’afficher « heureux d’avoir posé la première pierre de la mosquée de Jouy le Moutier », le 15 septembre dernier.

Autant de prises de position qui font grincer des dents, et notamment celles de François Cormier-Bouligeon, joint par Marianne. Laïque convaincu, ce député nous explique qu’il a voulu par son intervention « dénier à Aurélien Taché et à quiconque le droit de faire la police politique et de décider qui est progressiste, y compris en public sur les réseaux sociaux. » Interrogé sur les positions politiques de son collègue à LREM, le parlementaire n’hésite pas y aller franchement : « J’apprécie assez peu la tartufferie en politique. Qu’il prétende parler de progressisme et d’émancipation alors qu’il défend des positions selon moi loin d’être émancipatrices pour les femmes, j’ai trouvé cela un peu culotté. » D’après François Cormier-Bouligeon, Aurélien Taché développe « une vision de la laïcité qui est plutôt anglo-saxonne, pour être poli ». Citant les affaires de la responsable voilée de l’Unef et de l’inauguration d’une mosquée, le député du Cher argumente : « On doit pouvoir donner la liberté aux femmes de confession musulmane de porter ou pas le voile, mais on ne peut pas à la fois porter le voile et se prétendre féministe et émancipée ». Ce point de vue a d’ailleurs donné lieu à une nouvelle escarmouche entre les deux hommes sur Twitter. « Assigner une partie de nos concitoyens à l’observance des pratiques les plus obscurantistes est contraire à l’idée même d’émancipation », a estimé Cormier-Bouligeon. « Je n’assigne personne à quoi que ce soit, mais n’ai pas une conception à géométrie variable de la liberté. En les qualifiant par principe d’obscurantistes, tu insultes toutes les femmes qui font simplement le choix d’exprimer une conviction religieuse et rien ne t’y autorise », a répondu Taché.

Aurélien Taché, communautariste macroniste ?

D’après François Cormier-Bouligeon, les diverses initiatives du député du Val-d’Oise établissent « un faisceau d’indices troublant » indiquant qu’Aurélien Taché défend des idées « communautaristes » et considère « que la loi de 1905 est uniquement une loi de liberté religieuse ». Face à cette ligne se rapprochant du multiculturalisme, l’élu du Cher affiche sa différence laïque : « Je suis autant attaché à la liberté de croire que de ne pas croire. Je ne considère aucun citoyen de ma circonscription ou de mon pays comme appartenant à un groupe ou à une communauté, c’est cela l’universalisme républicain, chercher à créer du commun. » Contacté, Aurélien Taché n’a pour sa part pas donné suite à notre demande d’entretien.

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Un tel accrochage public, difficile à imaginer sur les sujets économiques qui unissent davantage la majorité, prouve au moins une chose : la laïcité reste un thème en friche en Macronie, l’ambiguïté étant nourrie par les diverses prises de position du chef de l’Etat. La majorité incline-t-elle davantage vers une laïcité républicaine ou vers un multiculturalisme « inclusif » ? Le débat est toujours ouvert, et François Cormier-Bouligeon se dit déterminé à « rassembler sur une ligne républicaine ouverte », tranchant avec l’approche jugée trop clivante de Manuel Valls. Pour clarifier les choses, le député appelle à la création « d’un séminaire sur la question de laïcité pour pouvoir entendre des chercheurs, philosophes, politistes, élus et auteurs de toutes les sensibilités, afin que les députés LREM puissent se forger une conviction. » Car plus d’un an après leur arrivée au pouvoir, les parlementaires macronistes ne se sont toujours pas fait une religion sur le sujet.

Source : Marianne

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