Publié par Abbé Alain René Arbez le 26 novembre 2018

Le document officiel de l’Eglise catholique romaine publié fin 2015 marque réellement une étape nouvelle dans le dialogue chrétiens et juifs. Ce message qui s’adresse clairement aux catholiques mais aussi aux juifs.

Le 10 déc. 2015, le cardinal suisse Kurt KOCH prend la parole au Vatican, accompagné du Grand Rabbin David ROSEN (American jewish comittee) avec quelques autres personnalités du dialogue. Il s’agit de présenter à la presse et aux instances religieuses un nouveau document du St Siège, particulièrement riche de sens dans la période que nous vivons. Il se veut être une manière actualisée d’honorer le 50ème anniversaire de Nostra Aetate : (1965-2015) car la célèbre déclaration conciliaire a ouvert une posture entièrement renouvelée à l’égard du judaïsme.

Le 10 décembre 2015, le cardinal Koch présente avec enthousiasme le nouveau document issu de la commission pontificale comme un coup d’envoi vers une nouvelle ouverture à la réflexion théologique entre chrétiens et juifs.

C’est d’ailleurs en reprenant cette même perspective que le pape François est allé en visite à la synagogue de Rome dès le 17 janvier 2016, comme l’avaient fait ses prédécesseurs, mais cette fois avec la préoccupation d’offrir cette nouvelle démarche de cheminement commun dans une réflexion théologique. Cette perspective d’avenir ne l’a pas empêché d’évoquer d’abord le passé tragique, avec les rafles de juifs à Rome, dans les années 40, et après avoir mis en lumière le patrimoine spirituel commun qui nous relie, il a lancé un appel à la lutte contre toute forme d’antisémitisme alors que s’aggravent les crises en Occident et au Moyen Orient.

Sur cette offre catholique d’approfondissement commun au plan théologique et historique, le grand rabbin Di Segni a chaleureusement accueilli le chef de l’Eglise catholique, heureux de sa présence à la synagogue, mais il a aussi exprimé ses questions face à la démarche proposée par l’Eglise.

⇒ Le document tire son titre de l’épître aux Romains 11.29. (Les dons…)

Il y a 50 ans, Nostra Aetate était un véritable tournant à 180.

Le vœu du document romain de 2015 est d’encourager les chrétiens à reprendre conscience de leur origine, de relancer par conséquent l’estime pour le judaïsme, et d’intensifier la dimension proprement théologique du dialogue chrétiens et juifs.

Le document relève à quel point la déclaration NAe a été considérée comme une étape décisive puisqu’elle a en effet induit un changement dans les relations entre l’Eglise et le peuple juif. On ne peut cependant minimiser le fait d’une histoire du christianisme assombrie par un passé particulièrement hostile et discriminatoire envers les juifs.

Il y a eu, dès le 4ème siècle, une disqualification grandissante de la tradition hébraïque qui s’est accompagnée, au long des siècles, non seulement de pogroms mais aussi de conversions forcées. La minorité juive a trop souvent souffert des comportements de la majorité chrétienne dominante, qu’elle soit catholique, protestante ou orthodoxe.

C’est finalement l’ombre insupportable de la shoah qui a obligé les Eglises à repenser à la base leur relation au judaïsme, dès la fin de la 2de guerre mondiale.

Le document de 2015 considère la séparation entre la synagogue et l’Eglise comme la première division au sein d’un peuple de Dieu encore indivis, une fracture qui aura des conséquences considérables par la suite. Car c’est le prototype des schismes successifs : avec l’orthodoxie au 11ème s., et le protestantisme au 16ème s.

La Commission du St Siège pour le dialogue avec les juifs a été fondée en 1974 par Paul VI. Elle a publié la même année sa première réflexion pour faire appliquer sur le terrain l’orientation novatrice de Nostra Aetate. Le but était que les chrétiens se familiarisent avec le judaïsme qu’ils connaissent mal, et qu’ils le découvrent avec estime et respect tel qu’il se définit lui-même. Il est alors proposé de prendre en compte le fait que toute la liturgie chrétienne émane des pratiques de la tradition juive. En 1985, la même commission relance la recommandation de 1974 qui visiblement n’a pas eu l’effet escompté en raison de la résistance des habitudes de pensée. Cette fois, on insiste nettement sur une ligne plus théologique : les rapports entre ancien et nouveau testament, l’importance de la terre dans la vision juive de l’alliance, et l’existence de l’Etat d’Israël comme un signe à interpréter dans le plan de Dieu. (Pas seulement dans le registre politique avec les polémiques que cela engendre, mais dans la logique de la révélation et de l’élection).

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Autre étape ayant eu un impact : la publication du document de la Commission biblique du St Siège en l’an 2000 « Le peuple juif et ses saintes Ecritures dans la Bible chrétienne » une approche substantielle, spécifiquement théologique, dont la préface porte la signature du cardinal Joseph Ratzinger. Il est mis en lumière, dans cette étude, le fait que la Bible hébraïque fait partie intégrante de la Bible chrétienne, et que le texte sacré des juifs est également sacré pour les chrétiens. Il y a toute une liste de questions à approfondir qui figure dans cet ouvrage, avec cette invitation tout à fait nouvelle : les catholiques sont encouragés à prendre en compte l’approche spécifiquement juive du premier testament ; alors que jusque-là n’était acceptable que la projection interprétative christocentrique sur les textes antérieurs au nouveau testament.

Le nouveau document Dons-Appel 2015 relève le rôle constructif du pape Jean Paul II dans les retrouvailles entre catholiques et juifs : son pèlerinage à Auschwitz, sa prière au Kottel et à Yad Vashem lors de son voyage en Israel, et son habitude de recevoir régulièrement des représentants du judaïsme au Vatican ; sans oublier le fait que dès le début de ses 28 ans de pontificat, Jean Paul II a rencontré systématiquement les communautés juives locales lors de ses fréquents déplacements dans le monde.

Quant à Benoît XVI, il nous est signalé combien il était engagé personnellement et avec érudition dans le dialogue, avant même son élection au ministère de Pierre. Le pape François, quant à lui est connu pour avoir développé des amitiés constructives avec les juifs argentins – bien avant de recevoir sa charge d’évêque de Rome.

Le document du St Siège 2015 énumère les nombreux contacts institutionnels devenus habituels entre l’Eglise et les organisations juives : le comité juif international pour les consultations interreligieuses, le comité de liaison catholique-juif international, le grand rabbinat d’Israel, les associations de rabbins américains, le congrès juif mondial, le b’nai brith, etc. Les colloques entre ces délégations et le St Siège sont souvent axées sur des thèmes porteurs : l’éthique biblique, l’anthropologie selon la Bible, la liberté religieuse, la place de la famille, la sauvegarde de l’environnement, la place des institutions religieuses dans les sociétés laïques, la place des Saintes Ecritures dans la communication sociale, etc. La plupart du temps, les acteurs de ces colloques sont des évêques, des prêtres, des rabbins et grands rabbins. Un approfondissement particulier des liens spirituels s’est effectué entre le judaïsme orthodoxe et l’Eglise catholique à partir de convergences de sensibilités. Mais la commission de dialogue du St Siège se veut ouverte à l’échange avec tous les courants du judaïsme. La même commission veille à promouvoir au sein même de l’Eglise catholique la relation fraternelle entre chrétiens et juifs en sollicitant les conférences épiscopales dans le monde entier. Ainsi, la journée du judaïsme, Dies Judaïcus, célébrée solennellement à Genève chaque année, en est un des exemples concrets.

Le document de 2015 souligne une réalité constatable sur le terrain : on assiste à une prise de conscience du fait que chrétiens et juifs sont en fait interdépendants les uns des autres dans les situations du monde actuel. C’est un argument réaliste pour recommander urgemment le cheminement commun – y compris au niveau théologique – étant donné l’évolution des mentalités et les périls géopolitiques. Il postule l’idée que chrétiens et juifs ont tout à gagner à sortir de leurs méconnaissances et de leurs incompréhensions respectives et récurrentes. Depuis 50 ans, l’Eglise répète que sans son ancrage dans le judaïsme, elle perd son identité sotériologique et sans cette connexion, elle dégénèrerait en secte gnostique. Coupé de sa référence à la Bible hébraïque, le message de salut chrétien perd simultanément son historicité et sa signification, et il devient manipulable par les idéologies. Et le pape François ajoute que chrétiens et juifs partagent beaucoup de convictions essentielles qui sont aussi les fondements d’une éthique commune et les moteurs d’un engagement humaniste.

⇒ On en vient donc dans le document à examiner le statut théologique particulier du dialogue catholique-juif :

Dans la vie de l’Eglise catholique, ce dialogue chrétiens et juifs occupe une place à part entière et entièrement à part. Malgré les ruptures initiales et les conflits interminables des siècles passés, l’Eglise se dit consciente de sa continuité avec Israël. De ce fait, le judaïsme n’est pas pour les chrétiens une religion parmi d’autres, comme l’islam, l’hindouisme, etc. En parlant des juifs, Jean Paul II utilisait l’expression « frères aînés », Benoît XVI, celle de « pères dans la foi ».

Il y a aussi en exégèse depuis des décennies, un retour explicite à la judéité reconnue de Jésus de Nazareth, Yeshoua Ha Notsri. Lui qui était juif observant et a annoncé dès le début de son engagement « Je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir » et il interdisait à ses disciples (talmidim) de mépriser le plus petit aspect de la Torah.

Selon les évangiles, l’objectif manifeste de Jésus n’était pas de s’annoncer lui-même, mais de proclamer l’avènement du Règne de Dieu en parlant au nom du Père. Ce sont les communautés qui l’ont ensuite mis au centre de l’expérience kérygmatique de sa mort-résurrection. A son époque, il y avait plusieurs courants au sein du judaïsme, plusieurs écoles comme celles de Hillel et de Shammaï. Le message central de Jésus est en accord avec un courant réformateur significatif du judaïsme au 1er siècle. C’est pourquoi l’enseignement de Jésus reste incompréhensible si on ne l’inscrit pas dans la tradition vivante d’Israël. Pour les chrétiens, la présence de Dieu s’incarne pleinement en lui sans altérer son humanité ni sa judéité.

Comme l’affirmait Jean Paul II avec honnêteté : « qui rencontre Jésus rencontre le judaïsme »…Et c’est vrai, les premiers disciples de Jésus étaient des juifs et l’Eglise primitive était 100% juive – jusqu’à l’arrivée en masse, dans les communautés, de membres de culture païenne qui par la suite vont prendre le pouvoir. Paul de Tarse a très tôt structuré le mouvement des « juifs qui croient au message de Jésus », et qui s’appelait alors « disciples du chemin » – une sorte de pendant à l’appellation juive « halakha » des écoles pharisiennes; mais en concertation avec le groupe apostolique responsable à Jérusalem, Paul n’a pas imposé la circoncision ou la cacherout à tous les sympathisants nouveaux venus. Au premier siècle, coexistaient donc paisiblement, dans les mêmes assemblées, des chrétiens juifs et des chrétiens païens ; ainsi l’Eglise avait deux branches, celle de la circoncision et celle de la gentilité.

On estime de ce fait que la distanciation entre Eglise et synagogue ne s’est faite que progressivement et donc beaucoup plus tard qu’on ne le croyait jusque récemment.

Selon les recherches historiques, la rupture n’a été complète qu’au 4ème siècle. Pour cette période, avant les exclusions mutuelles, il n’y avait pas d’antagonisme majeur entre : vivre de la tradition juive, et confesser Jésus comme Christ. C’est par la suite que les polémiques se sont amplifiées de la part de certains pères de l’Eglise hostiles à la synagogue d’une part, mais aussi des écoles du talmud d’autre part, avec les dérives haineuses intercommunautaires qui s’en sont suivies.

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Le judaïsme du temps de Jésus a donc donné naissance à la fois au judéo-christianisme mais aussi, après la destruction du Temple en l’an 70, au judaïsme rabbinique postbiblique. Le document de 2015 souligne ce fait que les juifs et les chrétiens sont nés de la même matrice et peuvent être considérés comme appartenant à la même fratrie spirituelle. Ils ont ensuite évolué sur des voies au départ parallèles, mais ensuite divergentes et avec des logiques propres. Ainsi, ils se sont éloignés les uns des autres et sont entrés progressivement dans des attitudes de diffamation mutuelle.

Cependant, de manière officielle, l’Eglise désire tourner la page des blocages méprisants et des impasses ; donc, elle clarifie sa position à l’égard du judaïsme dès la parution de la déclaration conciliaire N. Aetate en 1965. Elle affirme que l’amour de Dieu pour le peuple d’Israël est permanent et sans retour possible en arrière. Elle précise aussi que la théorie du remplacement d’Israël par l’Eglise n’a aucun fondement. Et que donc les entreprises de disqualification des juifs sont contraires à la dynamique de la révélation.

La foi des juifs exprimée dans le premier testament n’est pas pour les chrétiens une AUTRE religion, mais le fondement même de leur propre foi. C’est précisément en ce sens que le pape Jean Paul II a déclaré en 1986 à la synagogue de Rome : « la religion juive ne nous est pas extrinsèque, mais intrinsèque ! Nous avons avec elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Nous sommes frères. Vous êtes nos frères aînés.» C’est pourquoi, du point de vue catholique, le dialogue chrétiens et juifs n’est pas un dialogue interreligieux ad extra, mais une relation œcuménique ad intra.

Le document de 2015 développe une réflexion sur les aspects communs de la révélation. Le pape François dit en substance : les juifs considèrent la parole de Dieu comme présente dans la Torah. Les chrétiens partagent ce point de vue mais pensent que Jésus est dans sa personne une incarnation de la Torah. Le judaïsme et la foi chrétienne sont ainsi deux modalités par lesquelles le peuple de Dieu dans son ensemble fait siennes les Ecritures sacrées d’Israël. Toute réponse à la parole salvifique de Dieu qui serait en accord avec l’une ou l’autre de ces deux traditions peut ouvrir un accès à Dieu.

Pour les chrétiens, Jésus a vécu selon l’alliance, qu’il a voulu actualiser dans sa personne. Mais cela n’empêche pas que l’alliance avec Israël est irrévocable et toujours actuelle. L’opposition entre bible juive et bible chrétienne n’a jamais fait partie de la doctrine de l’Eglise catholique, rappelle le document de 2015. L’Eglise catholique a d’ailleurs exclu sans hésitation le dénommé Marcion, au 2ème siècle, lorsque celui-ci a prétendu que le premier testament était aboli par le nouveau. C’est pourquoi les chrétiens ne peuvent jamais considérer le nouveau testament comme le substitut de l’ancien. Il est constitué d’éléments de langage qui, tous, font partie de la bible hébraïque. C’est une relecture midrashique de la parole de Dieu à travers l’événement Jésus, tout comme les rabbins ont été amenés à faire une nouvelle lecture des Ecritures après la destruction du Temple en l’an 70, et ils ont adopté de nouvelles interprétations de la tradition antérieure en se recentrant différemment.

Si l’alliance de Dieu avec Israël n’a jamais été révoquée, l’Eglise estime que sans Israël, elle perdrait sa posture originale dans l’histoire humaine, et sans l’Eglise, Israël pourrait rester autocentré et ne pas développer son potentiel universel, dit le document. Sous cet angle, le St Siège insiste sur le fait que Israël et l’Eglise sont liés l’un à l’autre en raison de l’alliance et du message qui en découle pour le monde.

Le document reprend l’affirmation de Jn 4.22 « le salut vient des juifs », en estimant qu’il n’y pas opposition entre la rédemption d’Israël et le mystère du Christ sauveur.

Théologiquement les juifs prennent part au salut de Dieu et Paul l’affirme dans l’épître aux Romains : tout Israël sera sauvé ! ».

Pour l’Eglise, le Christ est le rédempteur de tous, mais cette affirmation ne nie pas la vocation spécifique d’Israël. « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » selon la phrase paulinienne qui a donné son titre au document. Pour les catholiques, la difficulté est de comprendre de façon inclusive et cohérente que Dieu n’a pas révoqué son alliance avec Israël, et que le salut en Jésus est universel et non pas antagoniste. Afin de dissiper tout malentendu, l’Eglise conclut dans le document de 2015 qu’elle ne conduit aucune action missionnaire auprès des juifs. Il n’existe aucune institution prosélyte envers les juifs car l’Eglise reconnaît que les juifs sont dépositaires de la Parole de Dieu. Elle se refuse à aller annoncer aux juifs le Dieu d’Israël, sa mission étant de témoigner – avec eux – du Dieu de la Bible aux païens.

Un autre engagement commun prioritaire est celui de lutter ensemble contre l’antisémitisme. Le pape François l’a redit et répété : un chrétien ne peut pas être antisémite.

Fils d’Abraham, les juifs et les chrétiens – conclut le document, sont appelés à promouvoir un témoignage de justice, de paix, en collaborant dans des organisations caritatives. Ils peuvent ainsi transmettre, à tous, sur le terrain les bénédictions du Dieu de la tradition biblique.

Le document considère que cet engagement s’amplifiera d’autant plus que les chrétiens et les juifs se connaîtront mieux, qu’ils s’estimeront dans le respect de leurs pratiques respectives, et qu’ils se donneront les moyens d’approfondir ensemble leurs trésors spirituels.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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