Publié par Eduardo Mackenzie le 4 décembre 2018

Ce qui a échoué hier n’est pas le “dispositif de sécurité” mis en place par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, pour “protéger” les bâtiments gouvernementaux de Paris et des autres capitales, avant le “troisième acte” de la manifestation nationale des gilets jaunes.

Ce qui a servi de terreau aux violents débordements de ce samedi a été la surdité et l’obstination du gouvernement et l’absence de dialogue réel avec un mouvement de colère populaire qui balaye l’Hexagone depuis plus de trois semaines et qui demande, sans obtenir de réponse de la part de l’Etat, la restauration du pouvoir d’achat des secteurs les plus pauvres de la base sociale française.

Les émeutes du 1er décembre ont été encore plus violentes que celles du samedi précédent. Cette fois, les désordres ont atteint d’autres villes: Bordeaux, Marseille, Toulouse, Nantes, Dijon, le Puy-en-Velay et Narbonne, où il y a eu aussi des destructions et même des incendies. Selon des chiffres officiels, il y avait hier 166 000 manifestants dans tout le pays.

Les violences à Paris ont été les pires. Il y a eu 133 blessés (110 civils et 23 policiers), 412 arrestations, 187 incendies (6 bâtiments et des dizaines de voitures brulés). Les Champs-Élysées et de nombreuses places et rues de Paris ont été ensevelis sous d’épaisses couches de fumée et de gaz lacrymogènes aux heures les plus difficiles de la mêlée.

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Le ministre de l’intérieur Castaner a tenté d’excuser son impuissance en affirmant qu’il avait déployé toutes les forces à sa disposition: 4 500 policiers à Paris et 65 000 dans le reste du territoire. Mais ses ordres étaient quasiment les mêmes que ceux qui avaient déclenché les émeutes du 24 novembre: balayer de force les manifestants dans les rues, au moyen de charges de CRS armés de casques et de matraques, de canons à eau, de grenades lacrymogènes et de pistolets flash-ball. Ces deux dernières armes sont interdites dans plusieurs pays européens.

Un tel stratagème n’a pas apaisé la colère des manifestants. Bien au contraire: cela a déclenché une véritable fureur destructrice. Ainsi, les gilets jaunes n’ont rien pu faire pour empêcher les professionnels de l’extrémisme et autres casseurs, équipés de masques à gaz et de casques, de s’infiltrer et semer la violence partout où ils passaient, en attaquant des policiers isolés et même en envahissant l’Arc de Triomphe. Les casseurs ont érigé des barricades, détruit des boutiques, des restaurants et des banques et ont allumé des feux où ils le pouvaient. Les gilets jaunes qui manifestaient sans violence –parmi eux se trouvaient même des seniors–, n’ont rien pu faire pour les arrêter. Selon les sondages, 85% de l’opinion publique est favorable au mouvement des gilets jaunes, malgré la campagne de diabolisation menée par certains media. La pétition de Priscillia Ludosky, porte-parole des gilets jaunes, contre l’augmentation des taxes sur les carburants et contre la précarité sociale, a été signée par plus d’un million de personnes.

Les quartiers huppés et les plus touristiques de Paris – tels que ceux de l’Étoile, de l’Opéra, de la rue de Rivoli, de l’Avenue Foch, de l’Avenue Kleber – ont été particulièrement touchés. Des porte-parole du parti macroniste ont profité du chaos pour accuser, à nouveau, les gilets jaunes d’être des “nazis”, des “casseurs”, des “guérilleros” et de vouloir “renverser Macron”, qui se trouvait en Argentine au moment des faits. Aucun média n’a osé critiquer la politique inepte de Castaner.

Le lendemain, la ligne de plusieurs éléments du gouvernement était : “Nous allons écouter [les gilets jaunes] mais nous ne changerons pas de cap”. Cette posture malhabile consistant à ignorer un peuple qui souffre commence à générer un malaise fort au sein même du parti LREM, au point que certains députés de cette formation demandent à changer de ligne et à faire des concessions aux manifestants. Les partis d’opposition expriment ces mêmes thèses depuis le début de la mobilisation des gilets jaunes et se sont prononcés contre la “fiscalité verte” débridée de Macron.

Les gilets jaunes, par l’intermédiaire de Jacline Mouraud et Benjamin Cauchy, déclarent qu’ils n’ont pas l’intention de faire la révolution et qu’ils veulent seulement pouvoir “remplir les frigos” pour passer un Noël digne avec leurs enfants. L’un de leurs porte-parole a lancé une phrase qui est devenue célèbre: “Le gouvernement nous parle de la fin du monde (s’il n’y a pas de transition écologique). Nous parlons de la fin du mois”. Ils demandent notamment un dialogue débouchant sur un “projet viable et crédible” mettant fin à la crise. Leurs demandes les plus fréquentes ne sont pas fantaisistes: la suppression de la nouvelle taxe sur les carburants, l’annulation de l’augmentation du contrôle technique des véhicules à moteur, l’augmentation du salaire minimum légal, la fixation d’une pension de retraite minimale de 1 200 euros et la restauration de la taxe sur les grandes fortunes (ISF). Ils réclament également l’ouverture d’une discussion générale sur les impôts. Mais personne au pouvoir ne les appelle à dialoguer véritablement.

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Macron a renoncé à la réunion de la COP24 en Pologne et est rentré à Paris. Certains de ses ministres proposent que soit rétabli l’état d’urgence pour soumettre les “mutins”. Mais la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, estime que cela ne réglera rien. La centrale syndicale CFDT dit la même chose et appelle à la négociation. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, demandent la dissolution de l’Assemblée nationale et des élections législatives anticipées. Laurent Wauquiez voudrait un référendum sur les hausses d’impôts et la transition verte.

Le Sénat n’est pas non plus enthousiaste avec l’orientation autoritaire du gouvernement. La commission des lois du Sénat, dominée par la droite, a fait savoir qu’elle a convoqué Castaner et son bras droit, Laurent Nunez, pour qu’ils s’expliquent sur la catastrophe de samedi 1er décembre à Paris.

Y aura-t-il un “quatrième acte” samedi prochain? C’est possible, car Emmanuel Macron continue de craindre que, s’il abandonne son programme de réformes, basés sur l’augmentation effrénée de la fiscalité, les partis d’opposition pourraient demander de nouvelles élections législatives, ce qui pourrait conduire à un gouvernement de cohabitation. Cela ruinerait les plans présidentiels. Ainsi, au lieu de parler et de montrer une nouvelle voie, Macron tente de gagner du temps: il demande au Premier ministre, Edouard Philippe, de rencontrer les chefs des partis politiques et les chefs des Gilets jaunes. Quant aux gilets jaunes nul ne sait aujourd’hui s’ils vont se doter finalement d’une direction représentative et rédiger une plate-forme unique de revendications.

© Eduardo Mackenzie (@eduardomackenz1) pour Dreuz.info. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.

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