Publié par Gilles William Goldnadel le 10 décembre 2018

Avec «Névroses médiatiques», Gilles-William Goldnadel pointe du doigt la responsabilité des médias dans l’hystérisation de la vie politique française. La révolte des Gilets jaunes en est, selon l’avocat, une preuve flagrante.

En quoi vos «Névroses Médiatiques» éclairent-elles la compréhension de la crise actuelle des Gilets jaunes?

Gilles-William GOLDNADEL.- Je vous rappelle que mon ouvrage est sous-titré «comment le monde est devenu une foule déchaînée». Ma thèse centrale insiste sur le caractère désormais névrotique du comportement collectif des individus à l’égard des questions politiques et sociétales. D’abord en raison de la médiatisation électronique permanente des individus isolés mais interconnectés et interactifs qui forment à présent, selon moi, une foule médiatique avec tous les attributs irrationnels, sentimentaux, contagieux et hystériques du phénomène de foule tels que décrits par Le Bon et Freud il y a cent ans, mais magnifiés par le caractère électrique de leurs réactions, littéralement, survoltées.

S’agissant du phénomène inédit des Gilets jaunes, il est directement issu de cette modernité médiatique.

Je vous rappelle que celui-ci est né sur Internet par des vidéos postées par des individus isolés mais interconnectés et qui ont fait partager à des centaines de milliers d’autres individus isolés leur sentiment de révolte. Cette révolte indivise a donc été relayée des millions de fois.

Il en a résulté dans un second temps la constitution d’une foule physique elle-même alimentant une foule médiatique dans une dynamique où l’on voit, qu’à côté du raisonnement révolté dont je comprends la parfaite légitimité, monte une colère contagieuse dont l’irrationalité irascible médiatiquement, galvanise et radicalise ensuite violemment les foules physiques.

Ainsi, ma sympathie pour la cause des individus ulcérés, ma grande prévention personnelle pour le pouvoir actuel dont je rappelle néanmoins ici la légitimité, cohabite avec ma défiance pour la forme d’un mouvement de foule difforme, polyphonique et électrique. J’attire votre attention sur le fait que le peuple n’est pas la foule qui se défoule. Le peuple déterminé de Jacques Bonhomme peut être bon garçon, la foule encolérée qui le transporte n’est jamais bonne fille. Et nul ne sait faire rentrer dans la bouteille le génie, bon ou mauvais, que l’on en a fait sortir un soir d’ivresse populaire.

Des personnages comme l’intellectuel ou l’artiste se voit également moralement remis en question.

Mais à la racine du mal actuel, beaucoup pointent la faillite des corps intermédiaires…

C’est un sujet que j’aborde dans l’un des chapitres de mon livre, à propos de ce que je nomme «la fin du prestige des meneurs». Il est vrai que le personnel politique et syndical pour ne parler que de lui a beaucoup déçu, mais cette constatation est à courte vue.

D’abord, et puisque vous savez que j’ai revisité les Psychologies des foules de Freud et de Le Bon, eux-mêmes constataient il y a cent ans que les meneurs étaient déjà largement menés. Rien de très nouveau sous l’empire d’une démocratie forcément imparfaite qui, sous le prisme d’un négativisme et d’une dérision médiatiques toujours plus cruels, rend l’exercice du pouvoir chaque jour plus difficile.

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Mais j’aborde également d’autres aspects plus nouveaux. D’abord la médiocratisation des élites chaque jour plus élitistes et moins cultivées, chacun pouvant s’apercevoir que Juppé et Hollande ne valent pas Clémenceau et Jaurès. Et en retour, le peuple est infiniment moins ignorant qu’il y a un siècle (sans doute l’un des aspects les plus positifs des médias). Il en résulte un nivellement qui fait que le prestige et l’autorité naturelle qui justifiaient le meneur sur le mené ont pratiquement disparu.

Je pourrais ajouter également que des personnages comme l’intellectuel ou l’artiste se voit également moralement remis en question. Et je n’évoque pas le journaliste prêchi-prêcha, pour ne pas être trop cruel… dans ce contexte, les foules médiatiques et physiques se retrouvent désemparées. Et rien n’est pire qu’une foule bientôt en panique.

Mais dans votre ouvrage, au-delà de la critique technique de la machine médiatique et électronique, vous abordez parallèlement l’aspect idéologique. Vous vous montrez d’une rare sévérité pour ce que vous appelez «le pseudo anti-nazisme devenu fou» qui aurait selon vous alimenté la névrose médiatique. En quoi est-il présent dans la crise actuelle?

Depuis deux décennies je ne cesse de critiquer l’obsession d’un antiracisme dévoyé.

C’est peut-être là , l’un des aspects positifs que je trouve pour me réconforter de l’inquiétude que m’inspire la présente séquence. C’est vrai que depuis deux décennies je ne cesse de critiquer l’obsession d’un antiracisme dévoyé qui s’est emparé de tous les sujets politiques et sociétaux et qui aura abouti à ce paradoxe de l’obsession de la race via l’obsession du racisme. Dans mes premiers ouvrages, j’avais pointé une détestation pathologique, à partir de mai 68 et de son CRS -SS, de l’État-nation occidental considéré finalement comme le responsable du pire génocide des temps modernes. Mais mon analyse de l’inconscient collectif européen s’est approfondie et je considère donc aujourd’hui que, plus profondément encore, celui qui a commis le pire des crimes étant de couleur blanche, il en a résulté, au sein de l’inconscient collectif, une sourde honte de partager avec lui cette couleur maudite. Le racisme anti-blanc habite là , tapi dans l’ombre de la Shoah. J’explique que dans l’univers post – chrétien s’est figurée une nouvelle Crucifixion fantasmée avec ses martyrs successifs, le Juif en pyjama rayé, le Palestinien, l’immigré, l’homosexuel et, parallèlement, ses démons blancs déclinés depuis l’Antéchrist Hitler, Pétain, puis Le Pen, Trump, Orban, Netanyahu, le beauf franchouillard, et dans son dernier état le mâle blanc hétérosexuel.

Or il se trouve, que ce système fantasmatique et stéréotypé fondé sur la dilection de l’altérité, est aujourd’hui épuisé. La grosse ficelle antifasciste est usée jusqu’à la trame de ce psychodrame éculé.

Ainsi, dans cette dernière période psychodramatique, le scénario antifasciste qu’a voulu nous rejouer le pouvoir depuis l’instrumentalisation présidentielle des années 30 tourne à sa confusion: Castaner a tenté de faire fonds sur une ultra droite assez inconsistante. Mal lui en a pris. Darmanin a ensuite suggéré que les Gilets jaunes à Paris «c’était la peste brune». Immense fiasco: Les gens se sont sentis légitimement insultés. En réalité, il ne s’agissait que d’une énième version de la lèpre nationaliste version Macron. Mais toutes ces tentatives de disqualification par la nazification du peuple indigène sont aussi disqualifiantes pour leurs auteurs que lorsqu’ils tentent de le dévaloriser en le traitant de beauf ou de fumeur de clopes et consommateur de gazole, ce qui est synonymique.

Sous ce racisme de classe, se niche en creux un racisme de race à l’encontre du petit mâle blanc de la périphérie.

Je prétends que sous ce racisme de classe, se niche en creux un racisme de race à l’encontre du petit mâle blanc de la périphérie. Vous remarquerez combien la classe politique mondaine est autrement obséquieuse envers le mâle des banlieues, dont on se garde bien de mettre en cause le machisme, et qu’on considère désormais plus apte à déposer un rapport pour gérer son territoire, paraît-il livré à l’apartheid, que ce «mâle blanc» devenu aussi gênant qu’un vilain bouton à évider.

Eh bien je pense que cette idéologie est en train d’expirer sous nos yeux et ceux qui la pratiquent de se déconsidérer définitivement. Elle connaîtra évidemment encore de nombreux soubresauts névrotiques: c’est ainsi que Cohn-Bendit a déclaré lundi au micro de France Inter «qu’il ne pouvait s’habiller en jaune» en faisant clairement allusion à la Shoah! Quand on sait que ce sont ses enfants – potes de SOS Racisme, héritiers de 68, qui se sont épinglés eux-mêmes un insigne jaune sur leur poitrine…Je ne dis pas pour autant que l’idéologie en décomposition a fini son travail névrotique. Elle agit comme un astre éteint mais dont les rayons continuent d’irradier celle que j’appelle l’église cathodique et qui rassemble les médias encore dominants, où continuent d’officier grands prêtres et petits clercs qui persistent à vouloir excommunier. Ils sont d’autant plus nerveux qu’ils savent bien qu’ils ont perdu une grande partie de leur magistère moral et intellectuel. Il n’empêche, s’ils ont grandement perdu la bataille des idées, leur pouvoir-notamment au sein d’un service public dénué de pluralisme-leur permet de pouvoir espérer gagner encore quelques batailles de l’émotion. Ils peuvent de ce point de vue manipuler encore les foules médiatiques avides de sentiments.

Quelles peuvent être les conséquences pratiques à court terme selon vous de l’épuisement du système de la diabolisation par la nazification du peuple?

Aujourd’hui, le discours sur la limitation nécessaire de l’immigration massive est plus librement dicible.

Elles sont d’ores et déjà en train de se produire sous nos yeux: le surmoi paralysant, installé depuis cinq décennies dans le cadre d’un véritable dressage des esprits est en train de s’estomper. Le discours sur la limitation nécessaire de l’immigration massive est plus librement dicible, partant, l’action de faire respecter les lois républicaines et démocratiques sur la régulation des flux migratoires deviendra à nouveau envisageable. Ensuite, des alliances à droite ou encore entre les deux pôles extrêmes selon le système italien cinq-étoiles plus Ligue, dans le cadre d’une politique économique protectionniste ne sont plus totalement à exclure. Ne me faites pas dire que c’est un bien, en dehors du fait que je considère la fin de la diabolisation obscène par l’obsession du nazisme fantasmé comme un bienfait.

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Il n’en demeure pas moins que vous craignez dans votre livre de voir la démocratie déclinante sombrer dans l’ochlocratie (soit la dictature par la foule). Qu’est-ce qui peut encore nous en préserver?

Nul ne nous délivrera de la machine médiatique. Orwell nous disait déjà qu’il faudra faire avec. On ne cassera pas la télévision, ni Internet. Et d’ailleurs, ces deux instruments ont des aspects fort positifs. La télévision a rendu le peuple moins ignorant, son discours est plus élaboré. Et Internet empêche l’église cathodique d’occulter totalement l’information. La seule vraie question qui m’intéresse aujourd’hui est de savoir quelle sorte d’idéologie-puisqu’il en faut bien une à l’être religieux qu’est l’homme angoissé par sa finitude-remplacera l’idéologie perverse actuelle que je viens de décrire. Si elle est plus apaisée, si, par exemple, elle trouve un juste milieu entre l’idéologie de la supériorité intellectuelle occidentale d’il y a cent ans et l’idéologie de l’infériorité morale occidentale d’aujourd’hui, si plusieurs chapelles médiatiques pluralistes remplacent l’église cathodique impériale en train de rendre son âme corrompue, la partie démocratique qui devra réunir des partis politiques renouvelés n’est pas complètement perdue.

Névroses médiatiques. Le monde est devenu une foule déchaînée, Gilles-William Goldnadel, Plon, novembre 2018, 252 p.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Gilles-William Goldnadel. Publié avec l’aimable autorisation du Figaro Vox.

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