Publié par Eduardo Mackenzie le 13 décembre 2018

Grâce aux “gilets jaunes”, le monde sait maintenant qu’en France la précarité et même la misère sociale ont atteint des stades insupportables.

Cernés par les bas salaires, les maigres pensions de retraite, le chômage, l’isolement géographique et, surtout, par la hausse des impôts qui grèvent ces revenus modestes, des millions de Français ont choisi de descendre dans la rue ou d’exprimer leur solidarité avec les manifestations massives et spontanées, décentralisées, voire violentes, de ce que certains sociologues ont appelé “les invisibles“.

Invisibles car le pouvoir central, prisonnier de schémas ultra-monétaires et mondialistes, ne les voit pas, ne les entend pas, ne les comprend pas. Les exigences modestes des gilets jaunes – suppression de la nouvelle taxe sur les carburants, justice fiscale, renforcement de la démocratie et d’une société viable – sont inaudibles pour les technocrates de Bercy. Au lieu d’essayer de déchiffrer ce phénomène, le président Emmanuel Macron les a humiliés avec son silence et sa distance. Depuis que les gilets jaunes sont apparus sur les routes et les rond points de province et qu’ils ont fait irruption dans les grandes villes, Macron et ses ministres les ont décrits comme des “illettrés“, “fainéants“, “ringards” et, plus récemment, “peste nazie” et “vandales“.

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Ce n’est qu’après l’orgie de violence du 1er décembre, au cours de laquelle de nombreuses personnes ont entonné “Macron démission“, que le chef de l’Etat a accepté l’annulation du paiement de la taxe sur les carburants “pour l’année 2019“. Cela n’a pas convaincu ni apaisé la colère des gilets jaunes.

L’aggravation de la pauvreté qui a déclenché ce mouvement ne se produit pas dans un pays en crise. Malgré ses difficultés face à la mondialisation et aux interdits de l’Union européenne, la France reste un pays économiquement porteur, doté d’énormes ressources humaines, scientifiques et financières.

Le problème réside dans l’appétit insatiable de l’État (le taux d’imposition le plus élevé d’Europe) qui dévore une grande partie de la richesse nationale sans la réinjecter suffisamment dans les services publics et qui s’effondre depuis 30 ans, mais surtout depuis 2012, dans un système fiscal de plus en plus délirant et injuste, sans que la société ait la possibilité de corriger cette déviation de la manière habituelle : les organes intermédiaires (parlement, partis, syndicats) ont été écartés par Macron. Ainsi, le fameux modèle français, qui avait limité les éclats de fureur sociale, est sur le point de se briser. Et les remèdes habituels ont disparu à l’horizon. Les partis politiques et leurs dirigeants ont perdu leur charisme et le taux de syndicalisation en France est l’un des plus bas d’Europe.

Dans ce contexte, le “quatrième acte” des gilets jaunes a eu lieu. Les manifestations du 8 décembre ont commencé pacifiquement. Mais elles se sont soldées, encore une fois, par des excès et des destructions, à Paris et dans d’autres villes (Bordeaux, Marseille, Saint-Etienne). C’était un nouvel échec du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, et des gilets jaunes. Incapables d’organiser leur propre service d’ordre, ces derniers ont subi à nouveau l’infiltration d’extrémistes de diverses tendances et de pillards opportunistes. Cela a servi le macronisme pour diaboliser les objectifs de la vague de protestation légitime.

Le nouveau dispositif de police – plus mobile et plus offensif – a considérablement réduit les excès par rapport au “troisième acte”, mais les incidents ont éclaté en de plus nombreux points de Paris que la semaine dernière.

Depuis novembre, le gouvernement avait eu recours à la ligne d’intimidation. Cette fois-ci, cette orientation a pris un ton déchaîné. N’osant pas interdire les manifestations du 8 décembre, Castaner a affirmé que les gilets jaunes iraient à Paris “pour détruire et tuer“. Il a prévenu qu’il y aurait donc à Paris 8 000 policiers anti-émeute (6 500 la semaine dernière) et 89 000 dans le reste du pays (contre 65 000 la semaine dernière) et qu’il sortirait la cavalerie et même les vieux chars blindées de 14 tonnes de la gendarmerie pour “maintenir l’ordre”. Les gilets jaunes ont toutefois annoncé qu’ils viendraient manifester pacifiquement s’ils n’étaient pas attaqués, comme cela a été le cas lors de certaines de leurs manifestations dans d’autres villes. Et, en effet, ils ont réapparu et ont occupé à nouveau les Champs-Élysées.

En fin de journée, le nombre de personnes arrêtées avait quadruplé : il y avait environ 2 000 arrestations (1 082 à Paris) contre 412 arrestations le 1er décembre. Parmi eux, “plus de 900 adultes et près de 100 mineurs” ont été mis en examen, selon le procureur Rémy Heitz. Cela nous permet de déduire que la majorité de ces personnes ont été capturées non pas pour avoir commis des abus, mais pour y être présentes en signe de protestation, ce qui explique le fossé entre les arrestations et les mises en examen.

Le nombre de blessés a diminué : 118 selon les chiffres officiels (71 à Paris), contre 133 blessés le 1er décembre et 24 le 24 novembre.

Le lendemain, les médias ont analysé ce qui s’était passé. Ils ont regretté le nombre d’attaques perpétrées sur les magasins des Champs Elysées mais ont totalement ignoré le facteur humain : personne ne semble tenir compte du fait que les trois samedis de manifestations ont fait 275 blessés. Où sont-ils ? Quel genre de blessures ont-ils subi ? Combien d’eux sont-ils détenus ? Silence radio.

Peu de gens mentionnent le fait que le 1er décembre à Marseille, une dame âgée de 80 ans est décédée après avoir reçu un morceau de grenade lacrymogène au visage lorsqu’elle fermait les volets de sa maison. La presse a à peine constaté que la police avait lancé plus de 10 000 grenades au gaz lacrymogène le 1er décembre, et que parmi celles-ci elle avait lancé 339 grenades explosives GLI-F4 contenant une charge explosive de 25 grammes de tolite (TNT). Cette arme, qui peut arracher une main ou causer de graves brûlures, est interdite dans d’autres pays pour les opérations de maintien de l’ordre.

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Rien non plus sur les erreurs que les forces de sécurité pourraient avoir commis le 8 décembre. Il n’y a pas eu, par exemple, l’arrestation préalable des 300 Black Blocs et des Identitaires que la police connaît. Elle en a appréhendé seulement quelques-uns la veille. La manifestation à Paris a dégénéré vers midi et pas seulement à cause des gilets jaunes. Au cours des trois premières heures, les manifestants ont accepté d’être enfermés sur les Champs-Élysées : les policiers avaient bloqué les accès. Lorsque le dispositif policier a commencé à compresser la foule, en utilisant les camions lanceurs d’eau et les blindés, comme un piston, et les gaz lacrymogènes et les grenades assourdissantes, la tension a monté. Des Black Blocs et une fraction de gilets jaunes ont jeté des pierres vers les CRS, démoli des vitrines, allumé de petits feux. Et ils ont ouvert des brèches par où une partie de la foule s’est échappée. Les incidents se sont étendus à plusieurs endroits de la capitale. Quelques heures auparavant, Castaner avait lancé que les gilets jaunes n’étaient “pas plus de 10 000” et qu’ils “ne représentaient pas la France“. Tout cela n’a fait qu’accroître la colère des gens.

Le criminologue Xavier Raufer a critiqué l’action de Castaner et a estimé que le bilan de la journée du 8 décembre “était au même niveau que les premières journées de manifestation“. Il se demande si le pouvoir avait “une volonté délibérée et cynique d’aller vers le pire“.

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, a estimé quant à lui que les manifestations auront un impact négatif sur la croissance et que les pertes s’élèvent déjà à deux milliards d’euros. Le tourisme a diminué de 20%, selon des chiffres plus ou moins unanimes de la presse. Le Maire a invité à taxer les multinationales telles que Amazon et Google et a exclu le rétablissement de l’impôt aux grandes fortunes réclamé par les manifestants. Un autre ministre a écarté une augmentation du salaire minimum légal.

Après avoir consulté à l’Elysée, au cours de la matinée, des députés, des maires et les organisations syndicales et patronales, le président s’est exprimé le 10 décembre, pendant 13 minutes, et a présenté ses “mesures concrètes et immédiates”. Il a déçu. Interrogés, les gilets jaunes de plusieurs localités ont dit leur déception, appelant à des mesures plus importantes et invitant au “cinquième acte” pour le 15 décembre. Macron avait décidé que le salaire d’un travailleur au smic augmenterait de 100 euros par mois dès janvier. Il a également demandé “à tous les employeurs qui le peuvent” de verser une prime de fin d’année ce mois-ci, “qui n’aura ni impôts ni charges”. Il a pris une mesure de Sarkozy, abolie par Hollande : le retour de la défiscalisation des heures supplémentaires. Enfin, à destination des retraités les plus modestes, il a annoncé que la hausse de la CSG serait purement et simplement annulée pour ceux qui gagnent moins de 2 000 euros par mois.

Selon un rapport de France Télévision, ces mesures furent jugées “satisfaisantes mais insuffisantes” par l’opinion. Selon un sondage du Figaro, 59% des Français n’ont pas été convaincus par le président, et 54% des personnes interrogées souhaitent que les actions des gilets jaunes se poursuivent. Macron réussira-t-il un jour à éteindre le feu ?

© Eduardo Mackenzie (@eduardomackenz1) pour Dreuz.info. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.

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