Publié par Gaia - Dreuz le 23 janvier 2019

La Fondation du Pont-Neuf a interviewé Virginie Pradel, fiscaliste, doctorante en droit et présidente de l’Institut fiscal Vauban.

Que pensez-vous de la modification souhaitée du droit des successions par le think tank Terra Nova ? En quoi est-ce une attaque de plus contre les classes moyennes ?

C’est inquiétant ! Terra Nova propose dans son dernier rapport intitulé Réformer l’impôt sur les successions plusieurs pistes pour augmenter de 25% (soit de 3 à 4 milliards d’euros) les recettes de l’impôt sur les successions, alors que celles-ci ont déjà augmenté de près de 50% entre 2011 et 2016 (+ 4,6 milliards d’euros). Parmi les pistes envisagées, on peut citer l’introduction d’un système d’abattement dégressif, le durcissement du barème d’imposition, la suppression de la fiscalité dérogatoire sur l’assurance-vie, la reconsidération des avantages fiscaux pour les transmissions d’entreprises familiales, la suppression de l’abattement pour les donations ainsi que la taxation des plus-values «latentes» constatées sur les biens du défunt (ce qui aboutirait à une double imposition de ces derniers).

Ces modifications envisagées par Terra Nova sont d’autant plus contestables qu’elles impacteraient principalement la classe moyenne. Or, celle-ci est déjà la principale victime de cet impôt, dans la mesure où elle manque souvent de préparation et de conseils en matière d’optimisation fiscale successorale. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’impôt sur les successions ne frappe donc pas les héritiers les plus aisés qui sont généralement, soit exilés sous des cieux moins taxés, soit très bien conseillés ; mais ceux de la classe moyenne, dont les défunts parents ont notamment bénéficié de la hausse de l’immobilier au cours des dernières années.

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2/ D’une manière générale, on a l’impression qu’Emmanuel Macron s’acharne sur les capitaux immobiliers qu’il qualifie de rentes au bénéfice des capitaux mobiliers sortis de l’assiette de l’IFI. Qu’est-ce que cela traduit comme état d’esprit ?

Ce n’est malheureusement pas qu’une impression. Emmanuel Macron a pris l’option de maintenir, voire d’aggraver la taxation des actifs immobiliers, et ce alors que, selon Eurostat, la France est déjà le pays de l’UE qui taxe le plus ces derniers. La surtaxation des propriétaires se matérialise principalement par le maintien de l’ISF sur les seuls actifs immobiliers (lequel s’est mué en IFI) et par la suppression de la taxe d’habitation qui va vraisemblablement aboutir à une hausse de la taxe foncière. Or, cette taxe locale est payée par les seuls propriétaires et ses recettes ont déjà considérablement augmenté au cours des dernières années (+ 87%, soit + 20 milliards d’euros entre 2004 et 2017).

Qu’est-ce que cela traduit ? Tout d’abord, un mépris sidérant des propriétaires, lesquels représentent pourtant près de 60% des Français. Ensuite, un dirigisme inquiétant, dès lors qu’Emmanuel Macron n’hésite pas à recourir à « l’épouvantail fiscal » pour contraindre les Français à abandonner leurs actifs immobiliers au profit d’actifs mobiliers (actions et parts d’entreprises). Or, les Français devraient être libres de pouvoir investir dans les actifs qu’ils privilégient sans incitation ou désincitation fiscale. Au demeurant, l’explication souvent invoquée selon laquelle les actifs immobiliers ne seraient pas « productifs » est fallacieuse, dès lors que le secteur immobilier représente une part notable de notre PIB, et donc de la richesse nationale. Enfin, cela traduit une absence d’enracinement : derrière la surtaxation de l’immobilier réside en effet la volonté de transformer des millions de propriétaires enracinés en locataires déracinés afin que ceux-ci soient plus « mobiles » ; comprenez, en mesure de déménager pour répondre à des impératifs professionnels.

3/ On oppose souvent le capitalisme anglo-saxon dont le modèle est le self-made man lançant une start-up très volatile et éphémère, au capitalisme familial et patrimonial qui entend transmettre biens et entreprises aux générations suivantes. Cette distinction vous paraît-elle pertinente ?

Cette distinction relève plus du fantasme ou de la caricature que de la réalité. Pour rappel, les entreprises familiales représentent la majeure partie des entreprises dans le monde : entre 60 % et 95 % selon les estimations et les pays. En France et dans d’autres pays d’Europe, celles-ci représentent environ 80 % de l’ensemble des entreprises privées. Ces entreprises peuvent être cotées ou non en Bourse, petites (la majorité des PME et TPE) ou très grandes : par exemple, l’Oréal, Ricard, Bonduelle, Hermès, Dassault, Wendel, Peugeot, Michelin, Rothschild.

Contrairement à certaines idées reçues, les entreprises familiales sont également très présentes aux États-Unis (Cargill, Mars…). Une étude a d’ailleurs établi qu’elles représentent environ le tiers des plus grandes entreprises cotées aux États-Unis (étude sur le S&P 500 menée par Anderson & Reeb en 2003).

4/ Qu’évoque pour vous la notion d’héritage et dans quelle mesure est-elle nécessaire à la survie de notre société dans le temps ? En quoi l’égalitarisme qui la remet en cause est-il une injustice ?

De façon générale, la notion d’héritage recouvre tout ce qui est transmis de génération en génération. L’héritage, c’est tout d’abord l’éducation, les valeurs, la culture, etc. Ce premier héritage « immatériel » permet à une civilisation, comme la nôtre, de survivre et même de s’épanouir au fil du temps. L’héritage, c’est ensuite les biens familiaux (maisons et biens de famille, bijoux, etc). Ce deuxième héritage « matériel » permet de conserver le patrimoine accumulé au fil des générations au sein de la famille.

Malheureusement, alors que notre premier héritage « immatériel » est aujourd’hui principalement menacé par une immigration incontrôlée et massive, notre second héritage « matériel » l’est par une fiscalité excessive. Force est en effet de constater que l’impôt sur les successions a été considérablement durci au cours des dernières années. La France s’inscrit ainsi comme une véritable exception en matière de taxation des héritages, dès lors que de nombreux pays l’ont considérablement réduite, voire abolie au cours des dernières années. Cette exception est le fruit d’une fâcheuse passion égalitariste franco-française qui soulève plusieurs injustices : la principale d’entre elles étant la confiscation arbitraire d’une partie des patrimoines familiaux au profit de l’Etat.

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5/ Au-delà du droit des successions, quelle réforme fiscale prônez-vous ? Êtes-vous favorable à l’instauration d’une flat tax ? Si oui, à quel taux ?

Avec l’Institut Fiscal Vauban dont je suis membre, nous prônons plusieurs réformes. J’en citerais trois pour les ménages.

La première est l’instauration d’un impôt proportionnel égalitaire (flat tax à deux taux) qui résulterait de la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu progressif. L’objectif principal de recette réforme est de simplifier ce dernier qui s’avère aujourd’hui d’une complexité inouïe ; complexité d’ailleurs exacerbée avec l’introduction du prélèvement à la source. Cela aboutirait à supprimer les niches fiscales ; mais aussi à ne plus prendre en compte fiscalement la situation familiale par le biais du quotient familial. Cette dernière pourrait toutefois être prise en compte, soit par le biais d’abattement (comme cela existe dans d’autres pays), soit par le biais de prestations sociales.

La seconde est l’allègement de l’impôt sur les successions, afin de répondre à la volonté d’une majorité de Français. Une récente étude de France Stratégie révèle en effet que 87% d’entre eux (toutes catégories sociales confondues) sont en faveur d’un tel allègement afin de permettre aux parents de transmettre leur patrimoine à leurs enfants. Celui-ci se traduirait par une hausse de l’abattement en ligne directe (aujourd’hui fixé à 100.000 euros) et par une révision du barème d’imposition dont le taux maximal d’imposition atteint aujourd’hui 45% en ligne directe et 60% dans les autres cas.

La troisième est l’abolition de la taxe carbone (comme en Australie) qui est une fausse taxe écologique est une vraie taxe anti-sociale qui grève le budget des ménages, en particulier ceux de la « France périphérique » qui sont dépendants de leur voiture pour aller travailler.

Source : Fondationdupontneuf

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