Publié par Gaia - Dreuz le 24 janvier 2019

Christophe Bouillaud analyse la situation politique en Italie. Il explique les raisons de la popularité du gouvernement de Guiseppe Conte et le regain de confiance des Italiens dans leurs institutions.

D’après un sondage récent publié par La Repubblica, l’opinion des Italiens semble de plus en plus favorable à l’égard du président Matarella, mais aussi des institutions et des forces de l’ordre. Tout semble sourire au gouvernement de coalition formé par la Lega et le M5S…

Oui, le baromètre auquel vous faites allusion, celui réalisé à la mi-décembre 2018 par Demos&Pi, l’institut de sondage dirigé par un des grands noms de la science politique italienne, Ilvo Diamanti, permet bien de voir des évolutions. Selon l’édition annuelle de ce sondage, réalisé pour la dixième année consécutive, et publié cette année par un quotidien de centre gauche, La Repubblica, la plupart des institutions voient le niveau de confiance des citoyens italiens augmenter. Bien sûr, cela tient beaucoup aux personnes qui incarnent ces fonctions. La présidence de la République a ainsi gagné 10 points de popularité de 2017 à 2018, passant de 46 à 56 % de confiance. Le rôle de garant du déroulement normal de la vie politique tenu par Sergio Mattarella depuis les élections de mars 2018 a visiblement été apprécié par les Italiens. En même temps, il y a dix ans, en 2008, la présidence de la République, alors occupée par Giorgio Napolitano, obtenait 71 % de confiance dans le même baromètre.

Par ailleurs, dans ce panorama d’amélioration conjoncturelle qui concerne toutes les institutions, seuls le Pape et l’Église reculent dans la confiance des Italiens: le Pape François passe de 77 % de confiance à 72 %, et l’Église de 42 à 38 %. Cette décrue, qui fait de l’Église, au côté de l’Union européenne, l’institution ayant le plus perdu de la confiance depuis 2008 dans ce baromètre (où elle était alors à 58 %) correspond au fait que l’Église catholique représente sans doute, comme je l’ai écrit par ailleurs, la grande perdante des élections du 4 mars 2018.

Les deux partis qui les ont gagnées sont tous les deux sans liens, organisationnel ou sociologique, avec le monde catholique, et leurs options politiques sont opposées à la vision d’hospitalité promue par l’Église conciliaire post-Vatican II, dont le Pape actuel demeure la meilleure expression.

De fait, en regardant les résultats de ce baromètre, on se rend compte que la confiance dans les institutions (Parlement, État, etc.) augmente parce que les électeurs qui ont voté pour l’un des partis de l’actuelle coalition, ou qui se sont ralliés à l’un d’entre eux après la formation du gouvernement Conte début juin 2018, sont majoritaires dans le pays et qu’ils sont satisfaits de ce retournement de situation avec la mise à l’écart des anciens partis de gouvernement, de centre gauche (Parti démocrate) ou de droite (Forza Italia).

Ce sondage correspond donc au fait que le gouvernement Conte reste pour l’instant très populaire: 55 % des sondés l’approuvent encore à la mi-janvier 2019 selon un sondage Demopolis. Cela correspond à une domination des deux partis de gouvernement dans l’opinion: plus de 30 % des sondés voteraient pour la Ligue de Matteo Salvini en cas d’élection, et encore plus d’un quart pour le Mouvement 5 Étoiles de Luigi di Maio. Il est vrai que, depuis le printemps dernier, les oppositions sont inaudibles faute de leaders crédibles. Malgré sa défaite de mars 2018, Silvio Berlusconi tient à continuer à régenter le parti qu’il a créé autour de sa personne en 1994, Forza Italia, et il vient même d’annoncer qu’il se présente aux élections européennes… à 82 ans. Et le Parti démocrate (PD) se cherche actuellement un leader dans les méandres de ses procédures démocratiques internes. Il va bien finir par le trouver, mais sans grand enthousiasme apparemment.

En France en revanche, la défiance à l’égard des institutions ne cesse de chuter. Signe qu’en Europe, un «moment populiste» est en train de s’installer durablement?

Généraliser un «moment populiste» à toute l’Europe me parait comme comparatiste toujours difficile, tant les idiosyncrasies nationales restent fortes. Chaque pays européen a son histoire, ses institutions, son insertion dans les échanges européens et internationaux, son rapport à l’Union européenne. Par contre, ce qui me paraît de plus en plus évident est que la crise économique ouverte en 2008, venant sur des décennies de croissance décevante, commence à produire vraiment partout des effets de modification des systèmes partisans. On vient ainsi de voir en Espagne émerger un parti d’extrême droite, Vox, alors que, jusqu’à il y a peu, la Péninsule ibérique faisait exception à cette tendance en raison des mauvais souvenirs laissés par les régimes autoritaires de droite qui ont dominé cette partie de l’Europe jusqu’au milieu des années 1970.

Généralement, ces modifications des systèmes partisans profitent plutôt à l’extrême droite. Mais, comme le montrent l’exemple allemand ou l’exemple belge, tout au moins à en croire les sondages, cela peut aussi profiter aussi dans certaines configurations aux partis écologistes ou aux partis d’extrême gauche. Le cas italien cumule lui les modifications dans toutes les directions, parce qu’en 2013-2018, on assiste en réalité au second écroulement du système partisan d’après le retour à la démocratie représentative.

Il y en avait en effet eu un premier écroulement en 1992-1994 qui avait fait table rase de l’ancien système partisan, formé à la fin des années 1940 par l’opposition entre d’une part la Démocrate-Chrétienne et ses alliés et d’autre part le Parti communiste italien. On était resté toutefois dans les années 1994-2013 sur une opposition droite/gauche, mâtinée d’un pour ou contre Berlusconi. En 2013-2018, la seconde crise paraît plus profonde, puisqu’elle met maintenant sur le devant de la scène une coalition improbable entre une extrême droite rénovée, la Ligue de Matteo Salvini, et un parti «ni de droite ni de gauche» se voulant radical dans son respect de la volonté populaire, le M5S de Luigi di Maio.

En France, par contraste, la crise du système partisan, que nous vivons depuis 2017 avec l’élection d’Emmanuel Macron et dont le mouvement des «Gilets jaunes» constitue dans le fond l’un des aspects par réaction, n’est sans doute qu’à son commencement. Au-delà de l’issue de la crise des Gilet jaunes elle-même, on ne sait même pas à ce stade si LREM réussira à se stabiliser comme l’un des partis majeurs du futur système partisan. On ne sait pas non plus si le PS ou les Républicains ne vont pas réussir à rétablir leur prééminence, ni si le RN et FI arriveront à bâtir autour d’eux un système d’alliance leur permettant de monopoliser l’opposition. Il n’y a pas eu non plus à ce stade de réforme institutionnelle majeure, même si, conformément à son programme, Emmanuel Macron se propose de réformer la Constitution et même si le mouvement des Gilets jaunes a mis aussi sur le devant de la scène politique cet aspect avec en particulier l’idée du «Référendum d’initiative citoyenne» (R.I.C.). Nul ne sait quel sera l’épilogue de cette séquence engagée en 2016-17.

En somme, c’est une banalité de le dire: sur un fond commun de crise économique, et de désenchantement face à la «démocratie représentative» réellement existante, chaque pays se trouve aussi dans sa propre histoire et ses propres méandres. L’idée de «moment populiste» simplifie trop à mon sens pour rendre compte de la diversité des situations.

En Italie, est-ce trop tôt pour faire un premier bilan du gouvernement de Giuseppe Conte?

Oui. Le gouvernement Conte n’est après tout entré en fonction qu’en juin 2018. Par contre, vu la difficulté d’allier deux partis aussi différents par leur histoire que la Ligue et le M5S, c’est déjà du point de vue des deux protagonistes de cette aventure une grande victoire que d’être arrivé jusqu’à la fin de cette année 2018 et que d’avoir pu voter un budget 2019.

L’automne a été occupé en effet par la dure négociation avec la Commission européenne pour que celle-ci ne sanctionne pas l’Italie pour dépassement budgétaire, et a occasionné bien des tensions entre les deux alliés. Les deux parties, le gouvernement italien et la Commission européenne, ont fini par céder et par trouver un compromis. Cependant, les négociations avec la Commission ont tellement traîné en longueur que le gouvernement Conte a dû faire voter son budget in extremis à coups de votes de confiance dans les Chambres.

C’est un échec pour un gouvernement qui se voulait plus transparent dans ses décisions et plus ouvert à la discussion parlementaire que ses prédécesseurs, mais c’est une réussite que d’avoir voté tout de même un budget. Son contenu budgétaire importe d’ailleurs moins du point de vue politique à ce stade que le simple fait d’exister. Par ailleurs, le gouvernement Conte vient aussi de faire passer par décret-loi, à valider ensuite par les deux Chambres, d’une part, une réforme des retraites (‘quota 100′) et, d’autre part, l’introduction d’un revenu minimum, ou plutôt d’un équivalent du RSA ou d’une allocation Hartz IV. Il réalise ainsi des promesses de campagne majeures. Il reste à voir comment ces mesures seront votées effectivement par les deux Chambres du Parlement.

La vraie question est bien sûr celle de la solidité du partenariat Ligue/M5S. C’est d’autant plus le cas que les deux partis vont se faire concurrence lors des élections européennes de mai 2019. Arriveront-ils seulement à éviter d’aller à un conflit qui ferait tomber le gouvernement avant les élections du printemps prochain?

Croissance, immigration, emploi… Les attentes des Italiens sont nombreuses. Sur quoi jugeront-ils leurs actuels dirigeants?

Comme je viens de le dire, une des attentes des Italiens est sans doute déjà que ce gouvernement Conte continue à exister et évite de tomber trop rapidement. Il y a une demande de stabilité. Pour l’instant, ce gouvernement Conte a surtout l’avantage de ne pas être celui des partis qui ont dominé alternativement l’Italie depuis 1994 et aussi de ne pas être un «gouvernement technique» obéissant sans trop réfléchir aux injonctions de «Bruxelles».

Ensuite, sur la demande de maîtrise des flux migratoires, il y a le paradoxe de la situation de Matteo Salvini, et du gouvernement Conte en général: en tenant une ligne dure sur la lutte contre l’immigration en Méditerranée centrale, il recueille effectivement l’approbation de la majorité des Italiens. La popularité de Matteo Salvini tient largement à cette image de «Monsieur Non» à toute nouvelle arrivée d’immigrants, même si cela fait aussi de lui la cible de tous les opposants à cette même politique, avec par exemple une mobilisation de quelques maires pour réaffirmer la valeur de l’accueil des migrants en danger. De fait, ces derniers jours, les drames à répétition de naufrages meurtriers que connaît la Méditerranée ont obligé les dirigeants italiens à rejeter le blâme sur autrui – entre autres sur la France néocolonialiste qui, selon Luigi Di Maio, provoque les migrations africaines en empêchant avec l’existence même du Franc CFA le développement de cette partie de l’Afrique.

Il y a en somme une limite dans l’inhumanité qu’il pourrait être dangereux de franchir pour les actuels dirigeants italiens, et il y a certains drames dont personne ne veut être tenu pour moralement responsable. Les Italiens sont tout de même à leurs propres yeux des «braves gens», parfois de bons chrétiens par ailleurs, et l’écart entre les valeurs d’humanisme professées et les drames en Méditerranée pourrait finir par nuire à la popularité du pouvoir en place. Sans compter que le M5S est lui-même divisé sur cette question: une ligne humanitaire s’y oppose à une ligne sécuritaire.

Surtout, au-delà de la question migratoire, il y a l’économie. Pour l’instant, selon les indicateurs disponibles, l’économie italienne tend plutôt à ralentir. Ce n’est pas nécessairement de la responsabilité directe et immédiate des dirigeants actuels, mais, bien plus probablement, c’est en lien avec le ralentissement plus général de l’économie mondiale, que ressent fortement un pays très exportateur comme l’Italie. Ce ralentissement touche d’ailleurs aussi nettement l’Allemagne. Le gouvernement reste très populaire comme on l’a vu, mais que se passera-t-il en cas de récession marquée en Italie? Pour bien mesurer la profondeur de la crise depuis 2008, il faut se souvenir qu’en termes de revenu par habitant, l’Italie en reste à son niveau de 1999. La reprise depuis 2014 n’a pas effacé les pertes en matière de PIB. Les banques italiennes restent face à une masse de crédits irrécouvrables issus de la double récession (2008-2009, 2011-2014), et la BCE vient d’ailleurs leur demander d’apurer ces pertes prévisibles sur les sept prochaines années. Que ferait face à une nouvelle récession le gouvernement Conte? Utiliserait-il les mêmes recettes procycliques d’ «austérité expansive» que ses prédécesseurs dans la même situation? Ou irait-il résolument dans un sens différent? Les négociations avec Bruxelles cet automne laissent à penser qu’il aura du mal à sortir du cadre d’austérité imposé par les règles européennes actuelles, seul tout au moins. En effet, il peut espérer que la récession touche tous les pays européens et qu’une discussion à l’échelle continentale s’engage sur la manière de ne pas refaire les mêmes erreurs qu’en 2008-2011.

Si la confiance s’installe durablement en Italie, ne peut-elle pas devenir un facteur de réussite pour les réformes à venir, y compris, même, celle des institutions européennes qui remontent dans l’estime des Italiens?

Effectivement, dans le baromètre cité au début de cet entretien, la confiance dans l’UE remonte légèrement: elle passe de 30 % à 33 % des sondés. Mais elle n’a pas rattrapé son niveau d’avant crise de 58 %. À mon sens, la confiance est importante si elle permet au gouvernement Conte d’arriver jusqu’aux élections européennes de mai prochain et si les deux partis qui soutiennent le gouvernement font chacun de leur côté un bon score.

Dans cette hypothèse, ayant gagné les élections européennes, la Ligue et le M5S pourront dire à leurs partenaires européens qu’il faut vraiment changer de politique économique en Europe. C’est sans doute le pari de Matteo Salvini. En plus, si le groupe de partis, à la droite de la droite, qu’il veut rassembler, arrive avec un bon score aux européennes, alors que les partis de gouvernement du centre, comme LREM en France, font un score médiocre, il pourra exiger un changement de trajectoire macroéconomique. Il pourra par exemple peser sur le choix du futur gouverneur de la Banque centrale européenne ou faire pression pour que la BCE continue sa politique de taux bas, absolument indispensable pour refinancer la dette publique italienne.

Ce qui me paraît intéressant dans ce scénario, c’est que Matteo Renzi à la tête du Parti démocrate avait obtenu 40 % des suffrages en Italie aux élections européennes de 2014 sur une promesse très similaire d’aller dire leurs quatre vérités aux partenaires européens de l’Italie. Mais, faute d’alliés, en particulier à cause d’un François Hollande pusillanime, il n’avait rien réussi à changer en Europe en matière de politique économique. La suite pour lui et son parti fut la débâcle que l’on sait, au référendum de 2016, puis aux élections de mars 2018. Matteo Salvini a sans doute retenu la leçon, et va essayer de ne pas se trouver dans la même impasse, en construisant par avance une alliance de pays refusant de continuer sur le même chemin. Mais, pour cela, il faut d’abord gagner les élections européennes en Italie…

Source : Lefigaro

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