Publié par Abbé Alain René Arbez le 30 janvier 2019

Le Sermon sur la Montagne

Contrairement à ce qu’on a souvent enseigné, le Sermon sur la montagne chez St Matthieu n’est pas un manifeste anti-pharisien ayant pour but de rendre obsolète la tradition antérieure. La spiritualité pharisienne est alors très diversifiée, et Jésus apparaît comme un maître érudit parmi d’autres, avec sa propre originalité et son école de pensée.

Une phrase de Ben Chorin illustre parfaitement la rencontre judéo-chrétienne impliquée dans cette exploration biblique du Sermon sur la montagne : « la foi de Jésus nous unit, la foi en Jésus nous sépare ! ».

Il est en effet difficile – pour des chrétiens  – de comprendre ce qu’implique la foi en Jésus si l’on ne sait rien de ce qu’était la foi DE Jésus !…Il y a ainsi deux impasses à éviter : celle des chrétiens qui imagineraient que la foi en Jésus annule et remplace tout ce qui l’a précédé (tentation marcionite) et celle des juifs qui verraient le christianisme comme des idées hébraïques déformées par le paganisme.

On présente le sermon sur la montagne comme une bonne nouvelle (sens du mot évangile, bassora tova), mais c’est sans doute d’abord un récit catéchétique, une haggada, à partir de traditions qu’il vaut la peine d’analyser pour en saisir la portée.

Si l’on examine le contexte du Sermon sur la montagne, on découvre que son logiciel de pensée respecte point par point l’herméneutique et la rhétorique pharisiennes, car il se présente comme un commentaire des 10 paroles destiné à un public de culture juive au 1er siècle.

Jésus a mené son action en Israël de 28 à 30 de l’ère courante, environ. Entouré de témoins pour lesquels les textes sacrés de référence étaient la seule Bible hébraïque, qui s’appellera beaucoup plus tard ancien (ou 1er) testament. Les années 30 à 60 voient se mettre en route des assemblées de disciples qui se transmettent oralement des traditions sur Jésus, sous forme de catéchèses bien ciblées. Des paroles et des faits autour du message de Jésus mémorisés et peu à peu rédigés pour faciliter la mission de la nouvelle assemblée (Qehila), auprès des milieux juifs et des milieux païens sympathisants.

L’évangile de Matthieu, paradoxalement ressenti comme le manifeste le plus judaïque mais aussi le plus polémique des évangélistes mérite de discerner s’il recèle réellement de l’antijudaïsme – ce qui serait surprenant par rapport à la conviction initiale exprimée par Jésus – ou simplement de la formulation provocatrice, dans un contexte exacerbé de controverses intercommunautaires. Les amplifications rédactionnelles des divergences sont en réalité bien postérieures à la position adoptée par  Jésus lui-même au début du 1er siècle.

L’environnement religieux du temps de Jésus est très diversifié et les relations entre groupes sadducéens, hérodiens, pharisiens, esséniens sont en constante évolution, en raison de la pression quotidienne de l’occupant. Le changement sera radical après l’an 70 qui voit la destruction du temple, le saccage de Jérusalem et la déstabilisation générale de la société juive.

Mais le fil conducteur dominant qui émerge de ces bouleversements religieux et politiques, c’est la Torah et le mouvement pharisien avec sa tradition vivante. Les allusions critiques envers les pharisiens dans l’évangile de Matthieu ne visent pas directement les contemporains de Jésus mais ceux des années 80-90 aux prises avec l’occupant romain et les tensions exacerbées que cela engendre entre communautés. Il est donc anachronique de donner au terme « pharisien » une tonalité négative.

L’Eglise de Matthieu est composée de disciples de culture juive. Le texte lui-même, selon l’avis de Claude Tresmontant, a sans doute été écrit en hébreu dans sa version première, et a été ensuite enrichi et investi des problématiques de l’après-désastre de l’an 70. Avec l’arrivée de croyants venus du paganisme, le Sermon sur la montagne a pour but de marquer l’origine du mouvement de Jésus comme étant ancrée dans la Loi de Moïse et la tradition pharisienne primitive. Il comporte donc un rappel très net de l’identité hébraïque qui est son fondement, même s’il y a tension avec l’ouverture universelle (annoncée par les prophètes) qui se dessine avec l’adjonction progressive d’arrivants issus de la culture grecque. Mais dans son expression des années 80, le texte matthéen laisse déjà pressentir l’opposition grandissante des autorités rabbiniques qui se réuniront à Yavné vers 89-90 et qui excommunieront les minîm (divers groupements juifs dissidents) parmi lesquels figure le mouvement de Jésus.  La Birkat ha minim en est un marqueur, puisque c’est une oraison spécialement rajoutée à la prière du Shemone Esre contre les dissidents, qui, selon les rabbins, menaçaient l’unité.

En lisant le texte matthéen, on peut se demander : mais qui est Matthieu ? On constate que c’est un professionnel des Saintes Ecritures, sans doute un scribe. Mais sous la signature d’un seul homme, il s’agit certainement d’une équipe de rédacteurs, avec signature collective. L’état d’esprit de cette composition serait assez bien décrit par la phrase de Mt 13,52 : « Le scribe devenu disciple du Royaume des cieux (mouvement de Jésus) comparable au maître de maison (animateur d’une communauté) qui tire de son trésor  (traditions sur Jésus) du neuf (leur actualité) et de l’ancien » (fidélité au message hébraïque).

Il se trouve que l’évangile de Matthieu rapporte l’appel par Jésus d’un collecteur d’impôt nommé Lévi, que le texte nomme « Matthieu le publicain ». Les responsables chrétiens des premiers siècles ont imaginé que cet homme serait lui-même l’auteur du 1er évangile. Que ce soit le même homme est peu probable, car un publicain n’aurait jamais eu les connaissances bibliques qui apparaissent dans la rédaction de cet évangile signé Matthieu.

Le Sermon est le 1er des 5 discours que Matthieu attribue à Jésus. Il recèle une intention pédagogique assez nette avec la volonté d’éclairer et de guider une situation communautaire. On peut le voir comme une charte d’orientation collective de la première génération de disciples, écrite dans un style  essentiellement marqué d’hébraïsmes.

La Torah est au coeur de la réflexion, et les piliers de la piété juive y sont bien présents : l’aumône, la prière et le jeûne. Face aux tendances exogènes qui imagineraient que la foi au Christ va annuler la Loi de Moïse, l’évangile de Matthieu présente l’Eglise comme la gardienne des pratiques issues de la Torah. Le texte matthéen plaide pour une authentique fidélité au premier testament. Pas un seul petit ioud de la loi, le moindre trait de la Loi ne doit être abrogé, insiste Jésus. Mais pour Matthieu, c’est l’interprétation qu’en donne Jésus qui doit être accueillie comme l’approfondissement le plus holistique du Premier Testament.

Le Sermon est divisé en trois chapitres, en commentaire des 10 paroles. Un midrash qui ouvre des perspectives à partir de l’appel initial de Jésus lancé aux hommes et aux femmes de son temps : « faites teshuva vers Dieu, car le Royaume des cieux est tout proche ». Le Jésus de Matthieu est un prédicateur qui proclame une nouvelle convocation d’Israël, en vue d’un renouveau spirituel. Jésus est volontairement présenté comme un nouveau Moïse qui vient réactiver les valeurs de la torah au moment où la population juive peine spirituellement, sous le joug de l’occupation romaine, et où des sympathisants d’origine païenne rejoignent les groupes de prière.

Matthieu commence ainsi son récit : « Jésus gravit la montagne, il s’assit et ses disciples s’approchèrent. Ouvrant la bouche il se mit à les instruire »… A la manière des rabbins assis sur la chaire de Moïse et enseignant le peuple.

Le pape Benoît XVI a particulièrement développé cet aspect dans son ouvrage « Jésus de Nazareth » publié en 2007, où il insiste sur le Sermon sur la Montagne comme un renforcement du décalogue. Benoit XVI est très attaché à la relation judéo-chrétienne, et on constate que dans son livre, le seul nom propre qui apparaît à plusieurs reprises est celui du rabbin Jacob Neussner, qu’il cite comme une référence significative.

Benoît XVI développe le sens des béatitudes (séquence essentielle du texte) à la lumière de la tradition biblique et il souligne la parenté entre chaque béatitude et la spiritualité traditionnelle des psaumes, c’est-à-dire la piété vécue comme célébration de l’alliance.

Le pape s’attarde sur la béatitude « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu ! » Il montre qu’elle récapitule à elle seule la démarche d’ensemble et qu’il s’agit en fait du prolongement d’une liturgie au temple de Jérusalem, comme l’exprimait le psaume 24 : « Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans son lieu saint ? L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles et ne fait pas de fausses promesses ».

Le pape cite le propos du rabbin Neussner qui écrit « Dans le Sermon sur la montagne, Jésus n’avait vraiment rien d’un rabbin réformateur et libéral voulant faciliter la vie aux hommes. Il était nullement question pour lui d’alléger un fardeau… » Jacob Neussner estime donc que les exigences formulées par Jésus aux disciples s’inscrivent intégralement dans la logique des maîtres spirituels en Israël : il rappelle le fait que les observants de la torah étaient appelés par leurs rabbis à quitter maison et famille, et même amenés à délaisser leur femme et leurs enfants pour un temps indéterminé, en vue de se consacrer pleinement à l’étude de la Torah.

Le cardinal Lustiger a lui aussi analysé le Sermon sur la montagne sous l’angle d’un midrash en parfaite continuité avec la torah. Il montre que lorsque Jésus unifie les deux commandements de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, il met en lumière le bien-fondé de la loi, comme le faisait d’ailleurs des rabbins contemporains de Jésus, tels Hillel, ou Rabbi Aqiba qui disait : « aime ton prochain comme toi-même, c’est là le grand principe de la torah ».

Lorsque Jésus dit : « Vous serez parfaits comme est parfait votre père des cieux » (Mt 5.48) il ne fait que reprendre la phrase du Lévitique : »Vous serez saints parce que je suis saint » (Lv 11.44). Le cardinal Lustiger estime qu’il ne s’agit pas chez Matthieu de substituer une loi à une autre ; car quand il est question de « loi nouvelle » avec Jésus, on n’évoque aucune substitution, mais un renouvellement des pratiques annoncé par les prophètes (« Je mettrai en vous un cœur nouveau, un esprit nouveau »).

Ainsi, lorsque Jésus commente le commandement « tu ne tueras pas » en incluant  dans l’agressivité mortifère les attitudes de colère ou d’insulte, il rappelle que Dieu est l’auteur de la vie, et qu’il existe beaucoup de formes de mort, à tel point que le pardon donné par Dieu ou le pardon accordé par le disciple à Yom Kippour peuvent être considérés comme une véritable résurrection des morts agissante au cœur du vécu.

Ce que nous pouvons constater, c’est que le discours matthéen de Jésus est celui d’un juif observant qui interprète la Loi de Moïse. Il s’est lui-même consacré à l’observance de cette loi qu’il enseigne aux disciples, et il précise « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes, je ne suis pas venu abroger mais accomplir » (Mt5.17) . Jésus ne prétend pas inventer une nouvelle loi qui remplacerait celle promulguée par Dieu, mais il propose une mise en œuvre de la torah qui incite à une intériorisation personnelle et à une intensification. Au-delà de son originalité, Jésus ne veut rien annuler, il la renforce ! Car il n’en restreint pas la portée, il élargit au contraire le champ d’action des mitsvot à la manière des maîtres de sagesse.

Pour Matthieu, l’enseignement de Jésus s’inscrit pleinement dans la tradition pharisienne. Comme d’autres responsables d’école avec leurs talmidim, il pratique la torah she be-al-peh. La torah est au centre du judaïsme : la Mishnah le souligne dans les pirke avot : « Le monde tient sur trois réalités : sur la torah, le culte du temple et le partage ». Jésus s’exprime en accord avec les diverses écoles de pensée de son époque qui partagent cette vision récapitulatrice, (Sadducéens, pharisiens, samaritains, esséniens). Ce qui distingue la posture pharisienne d’autres groupements tels que les sadducéens, c’est l’interprétation active de l’Ecriture, avec un enseignement donné de maître à disciple.

Après la destruction du Temple par Nabukodonozor en 586 av. JC et l’exil à Babylone, le prêtre Esdras a pris en mains le retour des Juifs et la reconstruction du Temple en 458. Il réunit l’assemblée du peuple (cf Néhémie) pour la lecture publique de la torah, durant laquelle petits et grands, attentifs au message qu’ils découvrent, pleurent et concluent par « amen ! » C’est sur ce modèle de proclamation de la Parole que se développe dès lors la grande assemblée (knesset ha-gedola) qui fera autorité durant plus de 3 siècles. C’est la qehal hassidim, l’assemblée des fervents, qui lui succède, inspirée par la spiritualité des psaumes, avec son interdépendance entre la méditation de la torah et la liturgie. Grâce à Esdras et Néhémie, ce courant donne naissance à ces hassidim dont parle plus tard Daniel, lesquels annoncent le jugement dernier et la résurrection des morts, des convictions typiquement pharisiennes mises en relief par l’épisode des maccabim.

Dans ce climat spécifique d’étude des Ecritures et de ferveur dans la prière, avec sa tonalité de type apocalyptique, Jésus commente les dix paroles dans le Sermon sur la montagne. Il est significatif de constater qu’il utilise les mêmes règles herméneutiques que celles attribuées à rabbi Hillel (cf Tosephta sanhedrin 7), ainsi que les méthodes d’exégèse propres aux pharisiens.

On peut constater que les règles de Hillel sont reprises telles quelles par Jésus dans son enseignement :

1/conclure par un argument a fortiori (qal va‘homer) ex : « si vous qui êtes mauvais savez donner de bonnes choses à vos enfants, à plus forte raison le Père donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ».

2/ analogie des sujets (gezera shava) ex : « de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre d’un grand poisson, de même le Fils de l’H sera trois jours dans le sein de la terre ».

3/examen d’un principe contenu dans un seul texte (binyan av mi-katouv e’had) « au commencement il n’en était pas ainsi, que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Mt 19.6).

4/comparaison de textes contenant des principes semblables (binyan av mishnei ketouvim) « commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua ce qui le concernait »

5/rapport entre cas généraux et cas particulier (prat oukhlal) « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »

6/citation d’exemples similaires (ka-yotze bo mi-maqom a’her) « les renards ont des terriers, le Fils de l’Homme n’a pas où reposer la tête » (Mt 8.20)

7/sens donné par un contexte (davar ha-lamed me’inyano)  dépassement du sens littéral en s’appuyant sur la signification générale : « ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades »

Puisqu’il utilise lui-même ces modes d’expression, ce n’est donc pas un hasard si Jésus est présenté dans les témoignages d’évangile comme un maître avisé de la torah orale. Il donne son enseignement à partir de la tradition, pour en souligner l’actualité et les multiples champs d’application. Nicodème, grand spécialiste des Ecritures, reconnaît que Jésus est un maître confirmé : « Rabbi, nous savons que tu es un maître qui vient de la part de Dieu, car personne ne pourrait opérer les signes que tu donnes si Dieu n’est pas avec lui ».

Dans les Béatitudes apparaissent en filigrane les références bibliques de Jésus. Pourquoi exprime-t-il des « béatitudes », c’est-à-dire des perspectives de bonheur formulées au peuple? C’est toute la révélation biblique du Dieu ami des hommes, créateur et sauveur, qui s’y résume. On lit dans le Deutéronome : « Maintenant, Israël, que demande de toi l’Eternel ton Dieu, si ce n’est que tu craignes l’Eternel, afin de marcher dans toutes ses voies, d’aimer et de servir l’Eternel ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, si ce n’est que tu observes les commandements de l’Eternel et ses lois que je te prescris aujourd’hui   AFIN QUE TU SOIS HEUREUX ? »

C’est exactement ce que veut démontrer le Sermon chez Matthieu. Les destinataires de ces proclamations de bonheur font partie du Royaume qui est déjà là. « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux EST à eux ! » Tension créatrice d’espérance, entre le « olam ha zè » et le « olam haba ».

Notons que le mot « heureux » est repris 45 fois dans la Bible hébraïque. Cette mise en valeur du bonheur authentique n’est pas le seul fait de Jésus, elle existe déjà chez les hassidim et Hillel insiste particulièrement sur cet objectif. Le bonheur des purs de cœur dans les Béatitudes est celui des fervents de la Torah dont la purification exprimée par le rite doit précisément gagner jusqu’au cœur, la fine pointe de l’être (bekol lev avera). Cela concerne ceux et celles qui veulent aimer Dieu de tout leur cœur, de toute leur force (Shema Israel).

Ce mot « heureux » (ashrei) qui précède chacune des huit béatitudes de Matthieu renvoie au premier des psaumes : « Ashrei haish ! » « heureux l’homme ! » Souhait qui évoque aussi les paroles prononcées par Moïse : « Ashreira Israel, mi vamora ? » « Heureux es-tu Israel ! qui pourrait se comparer à toi ? »…La joie que libère Jésus est la joie dans la voie de la Torah (simhat torah), on en retrouve mention dans les pirqè avot, recueil de la Mishnah surnommé l’évangile des pharisiens. Le 4ème évangile reprendra cette révélation de la joie en lien avec le don de Jésus « Que votre joie soit parfaite ! ». Cette « voie de la torah » a donné son nom aux premiers groupes d’adhérents au message messianique de Jésus : bien avant de recevoir le nom de « christianoï », ils étaient appelés les « viatores », disciples de la voie, comme les marcheurs d’Emmaüs.

C’est ainsi que la pratique quotidienne de Jésus s’inscrit bel et bien dans la tradition pharisienne pour laquelle la parole d’un rabbi est comprise comme prolongement de la parole donnée par Moïse au Sinaï. Cette parole christique ne remplace pas la Torah de Moïse (« je ne suis pas venu abolir mais accomplir… »). La prière de Jésus c’est de demander que la torah ne reste pas confinée dans les cieux, mais que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel, ce sont les termes précis que Jésus reprend dans le Notre Père, comme l’attente de l’avènement du Règne.

Car au centre du Sermon sur la montagne, il y a la prière du Notre Père. Le rapport intime avec Dieu auquel elle engage est comparable à celui des fervents, les hassidim. Le Notre Père reprend les éléments essentiels du Kaddish (sanctification du Nom). Proclamer la royauté des cieux, c’est reconnaître Dieu comme garant de la justice et de la miséricorde dans le monde des humains.  Le Notre Père reprend aussi des éléments du Shemone Esre : « Pardonne-nous, Père, car nous avons péché contre toi, efface et enlève nos iniquités de devant tes yeux, car nombreuses sont tes miséricordes. Béni sois-tu, toi qui pardonnes abondamment. » C’est dans cet esprit que Jésus apprend à ses disciples à prier selon la prière juive des anciens. Et il invite à une éthique qui associe la torah et le cri des prophètes. Car Jésus estime qu’on ne peut observer le shabbat et mépriser la miséricorde : ce serait rompre le shabbat. Quand rabbi Shimon Ben Menasia dit dans le talmud : « Le shabbat vous est donné, mais vous n’êtes pas donnés au shabbat », il ne s’agit pas d’une minimisation du shabbat, mais d’une mise en lumière de ses enjeux spirituels majeurs. C’est une invitation à la responsabilité, le croyant ne devant pas subir passivement ses rituels. Jésus s’accorde à dire qu’on doit interrompre le shabbat si une vie est en danger mais on doit le faire également pour apporter guérison et bien-être à une personne souffrante, dans son corps, dans son esprit ou dans son âme. La controverse évoquée sur le sujet dans l’évangile n’est donc qu’une mise en cause de la frange la plus rigoriste de la palette pharisienne de l’époque. A l’inverse, Jésus qui se situe souvent dans la sensibilité de Hillel, plutôt libéral, choisit la ligne stricte de Shammaï lorsqu’il s’agit de défendre la dignité de la femme menacée en cas de séparation dans le couple. « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ! ».

On peut dire que les miracles de Jésus relatés dans l’évangile le jour même du shabbat n’ont pas pour but de l’abolir mais de ramener au sens fondamental de cette célébration : la confiance en un Dieu créateur et recréateur. C’est pour cela que Jésus a voulu relier les deux commandements d’amour de Dieu et du prochain ; il confirme par là qu’apporter la guérison à un malade durant le jour consacré à Dieu est une manière de lui rendre un culte qui lui plaît.

La conclusion est que le Sermon sur la montagne est un écrit émanant d’un groupe pharisien se réclamant du rabbi Jésus, lui-même passionné par le défi de vivre l’alliance dans son être personnel, afin d’en faire rayonner la dynamique salvatrice dans la communauté. C’est ce qui a donné naissance au mouvement de Jésus, initialement reconnu comme qehila se réunissant pour la todah avant de devenir ecclesia, Eglise, assemblée judaïque fervente dans la confiance au Dieu Unique, fidèle à la Toda, l’eucharistie, et ouverte à des sympathisants catéchumènes venus du monde païen.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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