Publié par Pierre Lurçat le 21 février 2019

Voilà un livre qui arrive à point nommé. Alors que l’antisémitisme fait des ravages en France, et qu’une nouvelle flambée de haine se déchaîne, la question mérite d’être posée : le Coran est-il antisémite?

Cette question brûlante et souvent taboue (voir le récent procès intenté à l’historien Georges Bensoussan, “coupable” d’avoir laissé entendre qu’il existait un antisémitisme musulman ancestral), a fait l’objet de nombreuses polémiques, mais de peu d’études savantes récentes. Elle renvoie à d’autres questions, tout aussi cruciales. Quelle est l’attitude du Coran et de la tradition de l’islam envers les Juifs? Celle-ci est-elle univoque, ou bien a-t-elle plusieurs facettes?

C’est à ces questions que répond le livre du professeur Meir Bar-Asher, qui dirige le département de Langues et de Littérature arabes de l’université hébraïque de Jérusalem. L’auteur y aborde des questions diverses et variées, telles que l’histoire des relations avec les Juifs à l’époque de Muhammad, la représentation des juifs et la présence des récits bibliques dans le Coran, la comparaison entre loi juive et loi coranique, ou encore les sources coraniques de la dhimma – le statut des juifs dans l’islam (1). Il consacre aussi un chapitre à la place des Juifs dans l’islam chiite, dont l’actualité est tout aussi brûlante, alors que l’Iran vient de marquer le 40e anniversaire de la Révolution khomeiniste.

Les juifs sont très présents dans le Coran; qui les qualifie tantôt de Banu-Isra’il (Enfants d’Israël, expression calquée de l’hébreu), al-yahûd (juifs) ou encore ahl al-kitab (peuple du Livre). Cette dernière expression est ambivalente, explique Bar-Asher, car le “peuple du Livre est parfois qualifié dans la tradition musulmane “d’âne chargé de livres”, c’est-à-dire un peuple porteur d’un héritage dont il n’est pas digne. Cette qualification renvoie à l’accusation récurrente envers les juifs, selon laquelle ils auraient “falsifié” les textes sacrés dont ils étaient dépositaires.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’appellation de “meilleure communauté”, par laquelle le Coran désigne les musulmans (Sourate 3-110). Si les musulmans sont devenus la “meilleure communauté”, c’est en effet parce que les juifs ont failli à leur mission et que Dieu les a donc punis. L’islam incarnerait alors le “Nouvel Israël”, dans une optique théologique qui rappelle celle de la polémique chrétienne antijuive et du “Verus Israël”.

L’auteur montre bien comment l’attitude envers les juifs est motivée par des considérations diverses, qui tiennent à la fois à la volonté de se démarquer et de s’affranchir des sources juives (concernant par exemple le calendrier et certains aspects du rite) et à des visées politiques, liées aux rapports conflictuels que le prophète a entretenus avec les juifs à Médine. Bar-Asher fait le lien entre les aspects historiques et l’actualité récente. Ainsi, le fameux hadith des pierres et des arbres est repris dans la Charte du Hamas et dans le discours islamiste contemporain (2).

Le Coran appelle-t-il au meurtre des Juifs?

Cette question a défrayé l’actualité il y a quelques mois, lors de la parution du Manifeste contre le nouvel antisémitisme, signé par 250 personnalités françaises demandant aux autorités musulmanes de déclarer obsolètes les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants. Ce manifeste a suscité de nombreuses réactions hostiles du monde arabo-musulman (3). Sur ce sujet crucial, l’auteur du livre s’est récemment exprimé dans les médias français, affirmant “on ne peut pas dire que le Coran dit de tuer les juifs”.


Les musulmans pensent-ils que le Coran leur enjoint de tuer les juifs?

Mais la question n’est pas tant, pour paraphraser un islamologue français, de savoir si le Coran dit de tuer les juifs, que de savoir si des musulmans pensent que le Coran leur enjoint de tuer les juifs… (4) A cet égard, il est erroné d’affirmer, comme le fait M. Bar Asher, que “le Nouveau Testament ne se prête pas moins à une lecture ‘antijuive’ que le Coran”. Car comme il le remarque lui-même, la doctrine de l’Eglise concernant les juifs a été révisée de fond en comble par le Concile Vatican II. Il reste donc pour l’islam à mener lui aussi son aggiornamento, pour remplacer, selon les termes de Jules Isaac, l’enseignement du mépris par un enseignement de l’estime…

En conclusion de son étude, M. Bar Asher dresse le constat d’un “flot constant de cours et de sermons qui cherchent à rendre actuelles les paroles par lesquelles le Coran critique les juifs et les délégitimise. D’autres voix tentent de se faire entendre au sein du monde musulman ; mais il faut bien constater qu’aujourd’hui elles sont loin d’être dominantes et rencontrent peu d’écho”.

Travaillant pour l’institut MEMRI, qui tente de faire écho à ces autres voix, je ne peux, hélas, que confirmer ce constat. Écrit dans un langage simple et accessible, cet ouvrage enrichira les connaissances et la réflexion de tous ceux qui s’interrogent sur le réveil de l’islam contemporain et sur ses conséquences dramatiques.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Lurçat pour Dreuz.info.

Meir Bar-Asher, Les Juifs dans le Coran *Albin Michel 2019

(1) Sujet sur lequel l’auteur reproche de manière quelque peu péremptoire à Bat Ye’or de reprendre dans son livre Le Dhimmi* le stéréotype du “combattant fanatique brandissant une épée dans une main et le Coran dans l’autre”

(2) Voir à ce sujet “La Prophétie de la Pierre et de l’Arbre, un hadith antisémite largement utilisé”, Memri

(3) Voir notamment :Memri

(4) La citation exacte d’Olivier Roy est “La question n’est pas : “Que dit vraiment le Coran ?”, mais : “Que disent les musulmans sur ce que dit le Coran ?”

A cet égard, on ne peut séparer le Coran de ses interprètes et des Hadith, lesquels sont parfois encore plus radicaux que le texte coranique lui-même, comme le hadith des arbres et des pierres, qui procède d’un antisémitisme radical et apocalyptique, comme je l’ai montré au sujet de la Charte du Hamas. Vu de Jérusalem

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