Publié par Abbé Alain René Arbez le 9 mars 2019
Navez Agar et Ismaël

Voici un texte majeur, fruit de l’érudition du prêtre anglican et universitaire australien, Révérend Mark Durie, qu’Alain-René Arbez a traduit pour Dreuz. Il rétablit une erreur historique bimillénaire : la Bible associe les Ismaélites aux Madianites et non aux Arabes, et il n’existe aucune base historique à cette tradition qui associe les Ismaélites aux Arabes.

L’idée commune selon laquelle Ismaël serait le père des nations arabes n’est appuyée ni par la Bible, ni par l’histoire. Pendant des siècles, beaucoup de musulmans, de chrétiens et de juifs ont considéré comme évident que les Arabes descendent d’Abraham par Ismaël. Selon Gerald Hawting, «l’idée que les Arabes sont les descendants physiques d’Abraham par Ismaël a été reçue comme un fait généalogique et historique par de nombreux non-musulmans et musulmans».

Les auteurs et les enseignants traitent souvent le nom Ismaël comme une sorte de code équivalent à islam et musulmans. Nombreux sont les titres de livres qui reflètent cela, tel un appel aux chrétiens pour se rapprocher des musulmans. Dans le même ordre d’idée, il y a mille ans, Jean Damascène écrivait, après la conquête de la Syrie par les armées islamiques, un traité sur l’islam intitulé «l’hérésie des Ismaélites».

Beaucoup d’enseignants chrétiens ont considéré la Genèse comme l’anticipation prophétique de la trajectoire des Arabes et de l’islam. Pour une part il y a la bénédiction d’Ismaël (Genèse 17.20). Ceci, dans la ligne de la promesse accordée à Hagar que les descendants de son fils seraient trop nombreux à compter (Genèse 16.10).

En même temps, certains se sont aussi tournés vers Genèse 16.12, où un ange prophétise à Hagar, mère d’Ismaël, que son fils serait «un homme sauvage, dont la main sera contre tout homme, et tout homme sera contre lui». Et plus tard, Genèse 25.18 rapporte que les descendants d’Ismaël «vivaient dans l’hostilité envers tous leurs frères». Quelques prédicateurs y ont décelé les racines spirituelles du conflit entre musulmans et juifs à cause du rejet de Hagar et de son fils par Abraham et Sarah. Certains ont même identifié là le conflit israélo-palestinien en raison de la rivalité entre Isaac et Ismaël ainsi que leurs bénédictions concurrentes.

Réalité ou fantasme ?

Comment cela a-t-il commencé ? Selon Sir Fergus Millar, professeur émérite d’histoire ancienne à l’université d’Oxford, Josephus, un historien juif écrivant au 1er siècle avança l’idée qu’Ismaël était l’ancêtre des Arabes. Dans «les anciens temps des juifs *», Josephus établit qu’Ismaël était le fondateur de la nation arabe, et qu’Abraham était leur père. A partir de Josephus, cette connexion assumée entre les Arabes et Abraham, à travers Ismaël, est passée dans la conscience historique des chrétiens, et elle poursuivit son chemin à l’intérieur de l’islam à ses débuts.

Le Coran ne parle pas d’Ismaël ou d’Abraham comme ancêtres des Arabes – bien qu’il ait fallu qu’Abraham et Ismaël aient prié Allah pour faire de leurs descendants un peuple musulman – mais le lien est établi dans la littérature des hadiths selon les traditions sur Mahomet et sa généalogie. En ce sens, Abraham (et Ismaël) en vinrent à être considérés, dans la tradition islamique, non seulement comme l’antécédent spirituel de Mahomet et comme le prophète islamique, mais aussi comme l’ancêtre physique des Arabes et finalement l’un d’entre eux.

Que dit la Bible ?

Elle parle à la fois des Ismaélites descendants d’Ismaël, et des Arabes, mais elle ne relie pas les deux. Eph al note que dans la Bible, les références aux Ismaélites sont les plus anciennes et que les références aux Arabes sont plus tardives. Les deux se réfèrent à des populations non sédentaires et nomades, mais elles sont séparées par des siècles. Eph al en conclut que les références aux Ismaélites cessent au milieu du 10ème siècle avant JC, et que les références aux Arabes apparaissent au milieu du 8ème siècle. Ainsi, dit-il, «il n’existe aucune base historique à cette tradition qui associe les Ismaélites aux Arabes».

La Bible associe les Ismaélites aux Madianites, en utilisant leurs noms comme synonymes, en deux occurrences. Dans la Genèse, Joseph est décrit comme étant vendu à une caravane d’Ismaélites conducteurs de chameaux, également appelés Madianites (Genèse 37.25, 39.1 ; voir aussi Juges 8.22). Dans la Genèse, l’identité d’un peuple est souvent reliée à un ancêtre et le groupe est ensuite nommé en fonction de cet ancêtre. Comment les Ismaélites se sont-ils rattachés à ce modèle ? La Genèse associe divers descendants à Abraham en relation avec des groupes de populations.

Les fils d’Abraham :

Ismaël, ancêtre des Ismaélites (langage non identifié)

Madian, ancêtre des Madianites (langage non identifié)

Isaac, père de Jacob (Israël), ancêtre des Israélites (type de langage : cananéen) et père d’Esaü, ancêtre des Edomites (type de langage : cananéen)

Les fils de Lot : (Lot est le fils de Haran, cousin d’Abraham) :

Moab, ancêtre des Moabites (type de langage : cananéen)

Ben-Amm, ancêtre des Ammonites (type de langage : cananéen)

Il faut noter que les langages identifiables associés aux groupes de descendants d’Abraham et de son neveu Lot sont affiliés à une famille réduite, connue dans la linguistique sémitique comme langages cananéens. Ceux-ci étaient assez proches et mutuellement compréhensibles. Les langues moabites et ammonites associées aux descendants de Lot par ses deux fils, sont classées dans le même groupe que les Edomites, associés à Esaü, et à l’hébreu associé à Jacob ou Israël. Cela suppose que les Ismaélites auraient été locuteurs d’un dialecte cananéen semblable aux autres branches de la famille d’Abraham. Bien que l’arabe soit rattaché aux langages cananéens, la connexion est plus éloignée. Les langages cananéens sont regroupés avec l’araméen et l’amorite pour constituer un niveau sémitique supérieur dans un sous-groupe connu comme sémitique du nord-ouest. Ensuite, plus loin dans le temps, ce regroupement fut rattaché à l’arabe dans un sous-groupe dénommé sémitique central.

Les linguistes historiques ont daté la séparation de l’arabe d’avec le sémitique nord-ouest autour de mille ans plus tôt que la période à laquelle les langages cananéens se sont séparés les uns des autres. Ce n’est pas ce que nous serions en droit d’attendre si Ismaël est le père des Arabes, car la langue arabe remonte à une branche du groupe sémitique beaucoup plus ancienne que les divisions entre les membres de la famille d’Abraham.

A travers le temps, les locuteurs arabes évincèrent certaines des anciennes nations cananéennes, y compris les Moabites et les Edomites, qui avaient habité autour de la vallée du rift d’Arabah et de la Mer morte. Les Edomites furent repoussés vers le nord, à l’intérieur de la partie sud de la Judée, qui fut connue en grec sous le nom d’Idumée. Il semble que les Ismaélites furent déplacés des siècles plus tôt.

Il y a une morale dans cette histoire, pour les imprudents qui se complairaient à trouver les clés de l’actualité dans la Genèse. La voici : les dysfonctionnements dans la famille d’Abraham ne donnent pas d’indices permettant de rechercher les racines spirituelles du conflit actuel au Proche-Orient. Pour répondre à la question : «est-ce qu’Ismaël (ou Abraham) est le père des Arabes», un musulman pourrait se tourner vers ce qui fait autorité en islam et se satisfaire du hadith. Mais un chrétien ou un juif pourraient se demander s’ils ont vraiment envie que leur maître à penser soit Josephus sur ce point précis.

L’évidence indique qu’Ismaël n’est pas le père des Arabes, ni non plus Abraham. Les Ismaélites étaient probablement des Cananéens parlant non pas une forme primitive de l’arabe, mais un dialecte semblable à l’hébreu. Au cours du temps, ils disparurent ou furent absorbés par d’autres groupes, comme tant d’autres peuples anciens. Beaucoup plus tard Josephus invoqua le nom d’Ismaël pour donner consistance à une généalogie en faveur des Arabes. Ce qui le rend responsable en beaucoup de choses. Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire.

Traduction : Abbé Alain René Arbez pour Dreuz.info

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