Publié par Gaia - Dreuz le 14 mars 2019

Source : Letemps

Quatre ans de prison ont été requis lundi contre le défenseur des droits humains Oyub Titiev, apparemment victime d’une cabale montée par la police. Son ONG Memorial enquête sur les exactions commises par l’entourage de Ramzan Kadyrov

L’air manque au Tribunal de Chali, ville provinciale à trente minutes en voiture de Grozny. Le public tend l’oreille pour écouter le réquisitoire contre Oyub Titiev, 61 ans, accusé de possession d’environ 200 g de haschich. Ce sont des parents, des diplomates européens, des journalistes et des défenseurs des droits humains, en tout 35 personnes confinées dans une minuscule salle non aérée, scrutés par des policiers circulant entre les travées.

La dernière audience du procès s’ouvre par le réquisitoire de deux procureurs, le premier municipal, le second représentant la république.

Ils survolent rapidement les faits, récitent à toute vitesse la loi et des banalités sur les dangers de la drogue pour la société. Ils déclarent coupable celui qui a été décoré le 8 octobre dernier du Prix des droits de l’homme Vaclav Havel, décerné par le Conseil de l’Europe. Et requièrent 4 ans de prison, ainsi qu’une amende de 1340 euros. Dans sa cage de fer, l’accusé, qui a déjà purgé 15 mois de préventive, reste impassible. Ce n’est une surprise pour personne.

Un travail particulièrement dangereux

Oyub Titiev travaillait depuis dix-sept ans chez Memorial, l’une des ONG russes les plus respectées, lorsqu’il a été arrêté par la police le 9 janvier 2018, au volant de sa voiture. Il dirigeait la branche tchétchène de l’ONG peu après l’assassinat de Natalia Estemirova en 2009. Si celle-ci était très connue pour ses enquêtes sur les exactions dont étaient soupçonnés les hommes de main de Ramzan Kadyrov, Oyub est, lui, un homme discret, peu connu au sein de la population tchétchène. La dangerosité de son travail était telle que Memorial ne diffusait les informations que depuis Moscou et jamais en son nom.

Après l’arrestation d’Oyub Titiev, tous les membres de Memorial durent rapidement quitter la Tchétchénie une fois pour toutes. Aujourd’hui, l’ambiance est plus lourde que jamais. Chacun comprend que le sort de Titiev fut scellé une semaine après son arrestation par le dirigeant de la république de Tchétchénie lui-même.

«Il a suffi qu’on attrape leur drogué et le monde entier s’indigne.»

Le 17 janvier, sur la chaîne de télévision «Grozny», Ramzan Kadyrov a déclaré en parlant des défenseurs des droits humains: «Il a suffi qu’on attrape leur drogué et le monde entier s’indigne.» Dénonçant des défenseurs des droits humains «sans racines, sans nation, sans religion», il a menacé: «Leurs activités ne passeront pas dans notre république.»

Peu avant l’arrestation de Titiev, le président du parlement Magomed Daoudov avait violemment pris à partie «ces ONG marionnettes des Etats-Unis» le 25 décembre. «Titiev a été arrêté le 9 janvier, soit le premier jour de travail après les congés de fin d’année. Ce n’est pas un hasard», note Youlia Orlova, porte-parole de Memorial, qui a assisté à chaque audience du procès.

Ilia Novikov, l’un des avocats de Titiev note qu’après ces déclarations, il était indispensable de déplacer le procès dans une autre région russe «où l’indépendance de la justice serait mieux protégée. Comment un juge tchétchène pourrait-il démentir et confronter Kadyrov?» Peine perdue.

Toutes les demandes de la défense ont été rejetées. «Nous savons que, comme le veut la tradition dans les procès politiques, le jugement est écrit à l’avance», soupire Novikov.

Faux témoignages

Tenaces, les trois avocats d’Oyub Titiev s’appliquent, à tour de rôle, à démonter l’accusation devant une juge aux traits fatigués, assise derrière un bureau en mauvais contreplaqué. Elle ne prononcera pas un mot au cours de l’audience de sept heures, hormis pour ordonner des pauses à voix basse. Les plaidoiries, toujours précises, souvent cinglantes, pointent les grossières fabrications de la police, les violations de procédure, dénudent les faux témoignages de l’accusation (dont un toxicomane manifestement manipulé) et le contexte politique. La juge s’esclaffe ponctuellement devant l’inanité des enquêteurs, avant de rechausser son masque d’indicible ennui.

Des plaidoiries de la défense, il ressort qu’Oyub Titiev a été interpellé deux fois de suite et sans motif valable. La seconde fois, dans une mise en scène destinée à mieux coller au cadre légal. Les 15 caméras de surveillance du district, qui auraient pu confirmer les dires de l’accusé, sont toutes tombées en panne ce jour-là. La voiture d’Oyub Titiev a été fouillée sans raison et sans la présence obligatoire (selon la loi russe) de témoins indépendants, un savon de haschich a été jeté sur le siège arrière puis «découvert» par le même policier.

Ce procès dépasse toutes les bornes du cynisme et de l’hypocrisie!Oyub Titiev

Le suspect a dû attendre près de dix heures avant de recevoir l’assistance d’un avocat. Ses proches ont été menacés, ses empreintes digitales manipulées pour falsifier les preuves… les violations graves se comptent par dizaines. Durant une pause, la sœur aînée de l’accusé explique au Temps: «Mon frère est un musulman pieux, qui n’a jamais bu d’alcool ni fumé une cigarette. Tous ceux qui le connaissant savent que les accusations sont mensongères.»

Dernier à prendre la parole, Oyub Titiev demande pardon à ses proches pour «les souffrances endurées» à cause de lui. Puis passe à l’attaque. Le procès «dépasse toutes les bornes du cynisme et de l’hypocrisie!» Tel un procureur, il nomme les policiers qui ont fabriqué l’accusation, détaille leurs forfaits. «Je ne me fais pas d’illusions sur le verdict, qui me déclarera coupable. Ces dernières années, il n’y a pas eu une seule relaxe en Tchétchénie», note-t-il avant de se tourner vers le public: «Je demande aux Européens de prendre des sanctions à l’endroit des falsificateurs.»

Après ce verdict sans appel, la juge annonce que le sien sera rendu le 18 mars. Oyub Titiev assure au Temps qu’il n’en restera pas là: «Je ferai appel et me battrai jusqu’au bout pour être lavé de toutes les accusations.»

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