Publié par Isaac Franco le 19 mars 2019

Dans ces temps troublés où le fanatisme le dispute à la démence, ôter la vie de fidèles quand ils dialoguent avec le Tout-Puissant, qu’il s’agisse de Juifs enveloppés dans leur châle, de Chrétiens agenouillés sur leur prie-Dieu ou de Musulmans prosternés sur leur tapis de prière, occupe une place de choix sur le podium de l’abjection aux côtés de l’égorgement de nouveau-nés juifs dans leur sommeil, de la profanation de cimetières ou d’une orgie meurtrière d’adolescents sur une petite île norvégienne.

Le massacre des innocents de Christchurch de vendredi dernier ressortit à ce même registre de la barbarie poussée à son paroxysme.

Il vient allonger la très longue liste de lieux de culte – églises, mosquées et synagogues – pris pour cibles par des terroristes islamistes, les deux mosquées de Nouvelle-Zélande et la synagogue de Pittsburgh attaquées par des suprématistes blancs chrétiens, et le Caveau des Patriarches à Hébron mitraillé par le raciste juif Baruch Goldstein.

S’il ne saurait exister aucun argument, aucune excuse ou aucune circonstance pour expliquer et moins encore justifier un seul de ces crimes odieux, on s’accordera néanmoins quelques questions.

D’où vient que les meurtres de masse de Musulmans par des Musulmans ne nous émeuvent guère mais que celui, pourtant rare sinon exceptionnel, de Musulmans par un Chrétien, blanc, mâle et occidental de surcroît, nous paraisse aussi obscène et aussi condamnable ? Pensons-nous sans trop se l’avouer qu’il est normal et donc acceptable dans l’ordre du monde que des Musulmans suppriment des Juifs, des chrétiens et, en bien plus grand nombre encore, des coreligionnaires musulmans ? Que ce serait inscrit dans leur culture ou, pire, dans leurs dispositions naturelles, innées ? Ne serait-ce pas une forme perverse de racisme de se voir si supérieurs et les Musulmans si inférieurs quand nous considérons que le meurtre des premiers est un insupportable désordre de la nature et celui des seconds une forme de “normalité” à laquelle nous ferions bien de nous accoutumer ?

Ou, au contraire, nous voyons-nous désormais, nous Occidentaux, comme la forme du Mal la plus achevée et le Musulman comme celle de l’incarnation parfaite de l’Innocence, quelque crime qu’il puisse par ailleurs commettre au nom de l’islam ? Et que, dès lors, résidu d’une culture judéo-chrétienne en déshérence, notre humanité et notre moralité se mesurent essentiellement à l’aune de notre pardon et de notre compassion pour ceux aussi qui nous giflent la joue gauche et à qui nous tendons obligeamment la droite ?

D’où nous vient qu’à chaque tuerie de masse, on espère, on prie même, que le coupable soit un bon gros mâle blanc occidental? D’où nous vient que les assassins musulmans seraient tous fous, déséquilibrés ou forcenés et que les suprématistes blancs se réclameraient, eux seulement, d’une idéologie, d’un programme, et de références politiques ou théologiques ?

D’où nous vient cet esprit libre à révéler l’identité d’un assassin si celui-ci est un autochtone chrétien et cette paralysie de la langue à dévoiler celle du Musulman qui commet un même forfait? De quels replis inconscients de son esprit venait donc cette prière d’un journaliste français, à l’annonce de la tuerie de l’école Ozar Hatorah, que l’assassin fût un extrémiste de droite de culture occidentale et non le Musulman qui allait répondre au nom de Mohamed Merah ? D’où vient cette promptitude, justifiée, à déceler du racisme antimusulman dans une agression avérée et cette frilosité, inqualifiable, à dénoncer l’antisémitisme dans la mise à mort d’un vendeur de portables ou dans la défenestration d’une rescapée des camps ?

Quelle est l’origine de cette disponibilité sinon de cette gourmandise à voir dans les traits du mâle blanc occidental idéalement issu des rangs de l’extrême-droite, les stigmates du coupable idéal ? N’est-ce pas alors de l’identité de l’assassin dont dépend désormais notre compassion pour la victime ? Tout massacre ne devrait-il pas plutôt être mêmement condamné et toute raison, aussi contestable ou recevable puisse-t-elle être, qui en forme le mobile – “occupation”, souffrances coloniales, discrimination raciale ou peur réelle ou fantasmée d’un “grand remplacement”, également dénoncée ? Ou seuls les fautes et les péchés présumés de l’Occident seraient inexpiables et celles du monde de l’islam, mineures ou pardonnables pour cause de colonisation du second par le premier ?

D’où vient qu’il soit ainsi permis à l’assassin d’un Juif en Israël ou en Diaspora de se prévaloir des “crimes de l’occupation” de territoires disputés ? D’où vient qu’il soit désormais largement admis que la victime n’est dès lors pas vraiment étrangère au sort qui la frappe et que, partant, on peut “entendre” les raisons du meurtrier ? D’où vient qu’on puisse comprendre venger “les morts de Gaza” et pas les victimes des zones de non-droit dans nos villes ? Car, si on admet implicitement que les soi-disant “crimes de l’occupation” de prétendus territoires palestiniens peuvent justifier un passage à l’acte et constituer une circonstance atténuante, pourquoi la peur d’un “grand remplacement” n’expliquerait-elle pas, elle également, que l’on s’en prît aux frères de ceux qui, réalité ou fantasme, menacent l’identité culturelle d’un nombre croissant de citoyens dans chacun de nos pays en Europe ?

Ne serions-nous pas bien avisés d’ouvrir sereinement ce débat plutôt que de leur lancer à la figure que leur désarroi et leur amertume sont indignes de seulement être discutés? A force de railler, haïr et excommunier de la communauté des hommes tout celui qui nourrit au fond de son cœur la crainte que le pays dans lequel il vit ressemblera chaque jour un peu moins à celui dans lequel il est né, nos esprits éclairés ne contribuent-ils pas à alimenter cette lèpre populiste à laquelle ils prétendent faire barrage ? Pire, en encourageant l'”Autre” à rester ce qu’il veut être et en enjoignant les autochtones à s’adapter à lui au nom d’un vivre-ensemble dévoyé, n’élèvent-ils pas ainsi les prochains Robert Bowers, Brenton Tarant et Anders Breivik, et ne favorisent-ils pas leurs futurs bains de sang ?

Isaac Franco, Chroniqueur à Radio Judaïca Bruxelles

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