Source : Lepoint

Dans « Tout restera en famille », Ludovic Vigogne relate avec finesse l’amitié entre Gérald Darmanin et Nicolas Sarkozy. Sans oublier d’évoquer Emmanuel Macron.

Un dîner comme si vous y étiez. Ce soir de janvier 2018, le ministre du Budget Gérald Darmanin reçoit à Bercy. Nicolas Sarkozy fête ses 63 ans et le jeune locataire du ministère, qui a assuré les fonctions de coordinateur de sa campagne durant la primaire de la droite, a tenu à organiser des agapes en son honneur avec l’équipe sarkozyste au grand complet. Tout ce petit monde a ferraillé contre Hollande, Juppé, Fillon, quoi de mieux que les batailles pour tisser des liens. Pourtant, autour de la table, les anciens combattants peinent à se dérider. Leur hôte est secoué par l’ouverture d’une enquête préliminaire à la suite d’une plainte pour viol déposée en 2009. Alors, pour détendre l’atmosphère, autant mettre les pieds dans le plat. « Heureusement, Carla a décidé de s’en charger, écrit Ludovic Vigogne, journaliste à L’Opinion et auteur de Tout restera en famille, qui sort chez Fayard mercredi 3 avril. Elle revient longuement sur un point : Gérald et la plaignante sont allés aux Chandelles, un club échangiste renommé de la capitale. On sait quand même où on met les pieds, non  ? Nicolas, lui, ne m’a jamais emmenée aux Chandelles ! L’épouse de Nicolas Sarkozy n’en finit plus de faire rire une tablée qui remercie Dieu de l’avoir créée. Gentiment, son époux lui demande quand même de se calmer. »

C’est par cette scène improbable, réjouissante autant qu’elle est saugrenue, que s’ouvre le livre de Ludovic Vigogne, récit d’une amitié. Pas n’importe laquelle, celle, si spéciale, qui unit Nicolas Sarkozy et Gérald Darmanin. L’ancien ministre du Budget et le nouveau. L’éternel indiscipliné de la droite et le sale gosse issu de la même famille mais qui a abattu les frontières politiques pour prendre en macronie ce que son parti lui refusait : la lumière du pouvoir, l’éclat d’un poste de ministre. Y a-t-il tant à dire et à écrire sur cette relation politique ? Ceux qui en douteraient doivent se plonger dans l’histoire narrée avec malice et impertinence par un journaliste politique qui connaît sans doute mieux la droite que plusieurs de ses représentants actuels pour la suivre depuis près de vingt ans.

« Le président n’en a pas grand-chose à faire de nous »

Rien ne manque : les anecdotes à l’apparence légère qui éclairent si nettement la psychologie des personnages – Sarkozy répondant à Darmanin qui lui demande conseil avant d’accepter le Budget : « La seule chose qui m’embête, c’est que tu seras ministre du Budget plus jeune que moi », ou Rachida Dati jurant à propos de l’ancien président et de 2022 : « C’est Usain Bolt sur la ligne de départ. Il attend le coup de pistolet » – et celles qui dessinent en filigrane la dureté et l’isolement du pouvoir. Ainsi, l’auteur rapporte cette confidence soufflée par Gérald Darmanin au sénateur LRMarc-Philippe Daubresse, avec qui il dîne le 10 décembre dernier, alors qu’Emmanuel Macron vient d’annoncer le déblocage de 10 milliards d’euros à la télévision pour tenter d’apaiser la colère des Gilets jaunes : « Le président n’en a pas grand-chose à faire de nous. Il ne nous écoute pas. » Spleen répandu chez les ministres macronistes. Quelques mois plus tôt, c’est Nicolas Sarkozy qui s’épanche auprès d’un ami sur le même Macron : « Je lui donne des conseils, mais il n’en retient aucun. Cela commence à me gaver. »

À travers « Gérald » et « Nicolas », Ludovic Vigogne relate aussi les deux premières années de quinquennat. On y découvre un Sarkozy presque tendre, qui va jusqu’à suggérer à Emmanuel Macron de choisir son protégé pour Beauvau tandis que le chef de l’État exprime ses réticences. On revit, de l’intérieur cette fois, l’étrange remaniement d’octobre 2018 qui propulse Christophe Castaner premier flic de France. Sans oublier les coulisses du feuilleton du prélèvement à la source porté par un jeune ministre soucieux d’en faire son succès.

Au fil des pages apparaissent toutes les figures de la politique française de ces dernières années. Et une chronique enthousiasmante des grands événements récents.