Publié par Magali Marc le 5 mai 2019

À présent que les Démocrates hystériques ne peuvent plus menacer Trump d’« impeachment », et que Trump annonce qu’il va déclassifier les documents pertinents à l’espionnage de sa campagne, (voir l’article de JP Grumberg sur l’opération boomerang), il fallait bien que les Dems trouvent un autre angle d’attaque. L’historien et politologue, Robert Kagan le leur a fourni sur un plateau d’argent.

En effet, Kagan, qui a quitté le Parti Républicain en 2016 et a soutenu Hillary Clinton parce qu’il considére Donald Trump comme un fasciste, a publié dans le Washington Post un long essai expliquant comment l’autoritarisme a fait son chemin jusqu’à Trump qui impose graduellement sa « vision autoritaire du monde ».

Publié le 14 mars, cet essai donne carte blanche aux anti-Trump qui peuvent maintenant comparer le président à Mussolini, voire à Hitler.

Un québécois viscéralement anti-Trump, Normand Lester, anciennement à Radio Canada et maintenant chroniqueur au Journal de Montréal (4 mai) enfonce le clou :

Le chroniqueur conservateur du Washington Post, Robert Kagan, croit que la présidence de Trump pourrait introduire le fascisme en Amérique. L’ancien secrétaire américain au Travail Robert Reich qualifie Trump de «fasciste américain du XXIe siècle». Le rédacteur en chef du New Yorker, David Remnick, écrit de son côté que « c’est sûrement de cette manière que le fascisme peut commencer». Dans son livre « Fascism: A Warning », l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright affirme que le fascisme et les courants qui mènent au fascisme constituent actuellement une menace plus sérieuse qu’à tout moment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle ajoute que cette menace est « amplifiée par l’instabilité de Donald Trump ».

Trump a les allures d’un fasciste à la Mussolini. On regarde des discours du dictateur italien sur YouTube et on a la sinistre impression que c’est Trump qui, dans l’uniforme de carnaval du Duce, parle et gesticule : même arrogance dédaigneuse, même incontinence verbale, même façon de relever le menton avec mépris. (!)

Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit un article de Michael Lind* publié par le Washington Post, le 26 mars dernier qui démolit l’essai de Kagan.


La grande idée fausse de Robert Kagan

A une époque où l’on parle beaucoup de livres et d’essais qui expliquent la politique mondiale sur la base d’une grande idée fausse, comme « Le Choc des civilisations » de Samuel P. Huntington et « La Fin de l’histoire et le Dernier Homme » de Francis Fukuyama, Robert Kagan a fait sa propre contribution au genre dans son essai « The strongmen strike back » (Les hommes forts reviennent à la charge). Son idée que quelque chose qu’on appelle « autoritarisme » pose « un grand défi idéologique et stratégique » à la démocratie libérale est une grande idée, et elle est fausse.

L’« autoritarisme » est une étiquette de science politique apposée sur des régimes radicalement différents, et non une appellation revendiquée. Il y avait et il y a encore des Marxistes-léninistes et des Salafistes embarrassés par leur étiquette. Mais il n’y a pas de mouvement « autoritaire » qui se nomme comme tel ni de vision du monde « autoritaire » commune à un groupe en particulier.

Définir une dictature communiste, une monarchie arabe ou une technocratie singapourienne à parti unique comme étant autoritaires est juste mais sans importance. C’est comme définir les humains, les oiseaux et les kangourous comme étant des bipèdes. Vous ne savez pas si vous devez faire appel à un médecin ou à un vétérinaire.

La plupart des États non libéraux et non démocratiques ne sont pas nécessairement hostiles à l’égard des États-Unis et n’ont pas forcément des objectifs communs de politique étrangère.

Singapour et l’Arabie saoudite, pour ne citer que deux alliés autoritaires des États-Unis, s’épanouissent dans le système commercial et d’alliance internationale contrôlé par les États-Unis, alias « l’ordre mondial libéral ».

Dans leurs propres régions, la Chine, la Russie et l’Iran tentent d’étendre leurs sphères d’influence au détriment de l’influence américaine et ils partagent une préférence pour un monde multipolaire plutôt que pour l’hégémonie mondiale américaine.

La Russie voudrait affaiblir l’Union européenne pour des raisons géopolitiques ; de nombreux populistes nationaux européens voudraient affaiblir l’UE aussi – afin de renforcer les gouvernements nationaux aux dépens de Bruxelles. Rien de tout cela ne s’apparente à une Internationale autoritaire comme l’Internationale communiste (Comintern) d’autrefois. Il n’y a pas d’« Autorintern ».

Dans le monde de Kagan, Washington est à l’idéologie mondiale ce que Paris est à la mode.

En raison de l’incapacité de l’Amérique de contrôler d’une manière ou d’une autre le régime antilibéral de Vladimir Poutine, Kagan écrit : « Un “contrecoup” autoritaire s’est propagé dans le monde entier, de l’Égypte à la Turquie, du Venezuela au Zimbabwe, les autres régimes autoritaires, suivant son exemple, ont systématiquement restreint la place de la société civile, l’ont coupé de ses partisans étrangers et ont limité la libre expression et les médias indépendants. »

Mais l’armée égyptienne laïque n’avait pas besoin de la permission ou de l’exemple de Poutine pour renverser le président islamiste d’Égypte, Mohamed Morsi, pas plus que le président islamiste de Turquie, Recep Tayyip Erdogan, n’avait besoin de son exemple pour purger l’armée turque.

Y a-t-il une revendication plus absurde que celle-ci ?

Oui – L’affirmation de Kagan selon laquelle Bernie Sanders et Donald Trump sont des versions américaines de la soi-disant réaction « autoritaire » mondiale : « Et, bien sûr, les États-Unis ont connu leur propre réaction antilibérale. En effet, de nos jours, la critique antilibérale est si répandue, aux deux extrémités du spectre politique et dans les segments les plus énergiques des deux partis politiques, qu’il est impossible de trouver un Libéral américain à l’ancienne mode ».

Les Américains à gauche des Démocrates clintoniens et à droite de George W. Bush sont des « anti-libéraux », selon Kagan. C’est une offensive anti-rouge, ou peut-être anti-brun, de la part d’un adepte du centre inerte de la politique américaine.

Kagan critique à plusieurs reprises l’érudit israélien Yoram Hazony pour avoir soutenu, dans « The Virtue of Nationalism**» (La vertu du nationalisme), « que la vraie démocratie vient du nationalisme et non du libéralisme ». La distinction que fait Kagan entre le libéralisme et le nationalisme est commune parmi les universitaires et les journalistes occidentaux, mais elle est confuse.

Le libéralisme, comme la démocratie, fait référence à une forme de gouvernement. Le nationalisme désigne une sorte d’État, un État identifié à une majorité culturelle et linguistique (pas nécessairement ethnique ou religieuse).

Depuis deux siècles, depuis les révolutions américaine et française, la plus importante confrontation des modèles politiques porte sur l’État-nation (démocratique ou non, libéral ou antilibéral) versus l’État multinational (démocratique ou non, libéral ou antilibéral). La plupart des empires multinationaux, des Habsbourg, des Ottomans et des Hohenzollerns à l’Union soviétique, se sont effondrés en États-nations, démocratiques ou pas.

Il en va de même pour un certain nombre d’États multinationaux dysfonctionnels comme l’ex-Tchécoslovaquie, l’ex-Yougoslavie et l’ex-Soudan.

Peu de conflits majeurs dans le monde d’aujourd’hui, sont des luttes entre libéralisme et autoritarisme.

Presque tous impliquent le nationalisme, qu’il s’agisse de nations sans État qui veulent leurs propres États-nations, comme les Palestiniens (sic), les Kurdes et les Catalans, ou de puissants États-nations comme la Chine et la Russie, qui souhaitent accroître leur influence régionale pour des raisons nationalistes.

Dans la mesure où l’Union européenne et la Pax Americana ressemblent à des empires libéraux au service de leurs propres nations dominantes – les Allemands, les Français et les Américains – les perspectives d’un libéralisme anti-national pan-occidental ne sont pas bonnes.

Giuseppe Mazzini, William Gladstone, Woodrow Wilson et Franklin D. Roosevelt comprenaient que le libéralisme et la démocratie ont plus de chances de réussir lorsqu’ils s’appuient sur l’autodétermination nationale plutôt que de s’y opposer.

En tant qu’ancien analyste néoconservateur en politique étrangère comme Kagan, je reconnais le ton de l’appel aux armes qu’il utilise dans son essai. Des années 1950 aux années 1980, les libéraux de la guerre froide, plus tard appelés néoconservateurs, individuellement et par l’intermédiaire de groupes tels que le « Committee on the Present Danger» (le Comité sur le danger actuel), ont cherché à éveiller leurs concitoyens à la menace du communisme à l’intérieur comme à l’extérieur. Les comparaisons avec les années 1930 étaient courantes ; pour les néoconservateurs, nous étions toujours en 1939.

Ces jérémiades semblaient plausibles à une époque où il y avait vraiment une superpuissance hostile qui faisait la promotion d’un credo séculier universel. Mais même alors, l’idée que la guerre froide était une bataille d’ismes entre la démocratie et le communisme était fausse. Les États-Unis ont mené deux guerres féroces en Corée et en Indochine en soutenant les dictatures autoritaires alliées et ont vaincu l’Union soviétique dans les années 1980 en tant qu’allié de facto de la Chine communiste.

Dans le monde multipolaire d’aujourd’hui, caractérisé par des rivalités traditionnelles entre grandes puissances de bas niveau portant sur leurs sphères d’influence régionales, davantage poursuivies dans les domaines de politiques commerciales et industrielles et de la diplomatie d’alliance que sur les fronts militaire et de la propagande, il faut faire preuve d’un réalisme sobre et non d’un esprit anachronique, manichéen de guerre froide, joignant des dichotomies simplistes à la ferveur des croisades.

La realpolitik est de retour. En fait, elle n’a jamais disparu.

* Michael Lind est professeur invité à la Lyndon B. Johnson School of Public Affairs de l’Université du Texas. Il collabore à la rédaction de National Interest et il est l’auteur de «The American Way of Strategy».

** The Virtue of Nationalism de Yoram Hazony, est l’ouvrage d’un penseur conservateur qui soutient qu’un ordre nationaliste est la seule sauvegarde réaliste de la liberté dans le monde d’aujourd’hui. (éditeur Hachette Book, 2018).

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Traduction de Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.

Sources :

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