Publié par Dreuz Info le 9 mai 2019

L’histoire de Saint-Jacques Matamoros et de la Reconquista

A vous mes nombreux amis qui avez souffert et transpiré ou souffrez et transpirez encore ou aspirez à la rédemption sur les chemins de Saint-Jacques, Je vous salue et vous félicite. Toutefois, je pense être de mon devoir de vous apporter un autre éclairage quant à cette démarche quasi mystique.

Il est de notoriété que les vaillants pèlerins expérimentent leur cheminement physique comme une épreuve spirituelle, les fatigues du corps, jointes au sentiment de solitude dans le décor d’une nature encore sauvage, leur permettant de se détacher des bas aspects matériels de leur vie routinière, pour se retrouver seuls face à leur “moi profond”, pour aboutir à un ressourcement quasi orgasmique, sublimé par la jouissance d’avoir repoussé les pauvres limites de leur enveloppe corporelle.

Les questions fondamentales, pour ne pas dire essentielles, concernant l’épopée séculaire du cheminement sur les chemins marqués de la coquille, ce sont véritablement les suivantes :

«Pourquoi à l’époque médiévale la plus ancienne, avec des moyens de communication très limités, une information primitive et alors qu’un peu partout, les populations pouvaient faire des pèlerinages dans leur voisinage, pourquoi le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle est-il devenu, a été consacré comme le grand pèlerinage européen ?»

«Pourquoi pendant plusieurs siècles, venus de tout le nord des Pyrénées, des milliers d’hommes ont entrepris cette randonnée, difficile, dangereuse et de souffrance ?»

«En quoi l’apôtre Jacques, fils de Zébédée, aurait-il eu, en Espagne, une action plus sainte que Saint-Martin, Saint-Nicolas, Saint-Brendan et autres évangélisateurs de nos contrées, justifiant donc la prééminence du pèlerinage qui allait lui être consacré ?»

Pour vous aider à assumer de façon complète la signification de ce que vous faites ou souhaitez faire, en vous lançant sur les traces de ces pèlerins/pénitents du Moyen –Age, je vais vous faire part d’une analyse différente de celle basée sur l’aspiration spirituelle. Et très chers pèlerins ou Candidats pèlerins, la réalité, dissimulée par l’exaltation spirituelle, n’est pas vraiment celle que vous imaginiez. Ceci, toutefois, ne signifie pas que votre rêve se transforme en cauchemar.

Où commence la gestation du Pèlerinage à Compostelle. En fait, ce qui va la déclencher, c’est l’invasion en 714 (ou 711) de notre ère, de la péninsule ibérique par les musulmans.

Toutes les invasions connues auparavant étaient motivées par la volonté de s’enrichir par le butin, les esclaves, la possession de nouveaux territoires et le payement de tributs par les vaincus. Les Perses, les Grecs, les Romains, les Germains, les Vikings, les Mongols plus tard, ne voyaient aucun problème à laisser les peuples vaincus poursuivre la pratique de leur culte, pour autant que cela ne fasse pas obstacle à l’exercice de leur autorité.

La guerre sainte – le djihad– est partie intégrante du Coran qui en fait une obligation.
La “Guerre sainte”, c’était, pour l’époque, en Europe, un concept absolument nouveau.

Par contre avec l’invasion musulmane, c’est une toute autre chanson. La loi idéologique musulmane (ce n’est pas seulement une religion, c’est une loi, le Coran et la Sunna réglant tous les aspects de l’existence des croyants, aspects civils, politiques, militaires et religieux) fait à ses croyants l’obligation de soumettre et de convertir à cette loi coranique les vaincus. Il est vrai que la guerre sainte, le djihad, est partie intégrante du Coran qui en fait une obligation. La “Guerre sainte”, c’était, pour l’époque, en Europe, un concept absolument nouveau.

On voit dès lors, dans les territoires conquis, très rapidement, soit des conversions très nombreuses, soit des exodes de population, soit l’asservissement de ceux qui ne peuvent “s’échapper” et continuent à pratiquer leur culte : les Chrétiens et les Juifs.

Pour faire court, en Al Andalous – ce n’est pas l’Andalousie actuelle mais tout le territoire conquis et soumis par les Musulmans – apparaissent très rapidement cinq classes d’habitants aux droits et obligations bien différentes.

1° – Il y a d’abord, les Arabes, différenciés entre Arabes du désert qui peuvent se revendiquer d’être apparentés au Prophète, et Yéménites qui, eux, se considèrent comme les véritables Arabes, méprisant ceux du désert. Rivalité tribale séculaire qui, encore aujourd’hui, se perpétue au Yémen. C’est ainsi qu’en 756, le dernier des Omeyades, échappé du massacre de sa famille lors du coup d’Etat abbasside, va débarquer en Hispanie et, avec l’appui des Yéménites contre les Arabes du désert, va fonder l’Emirat de Cordoue qu’un de ses successeurs transformera en Califat, se rendant indépendant du Califat officiel de Bagdad. La caste Arabe est hégémonique mais minoritaire.

2° – Ensuite, les Berbères qui ont formé le gros des troupes d’invasion et formeront le gros de la population d’origine non hispanique. Récemment convertis après avoir été soumis par les Arabes, ils sont considérés par ces derniers comme des musulmans de 2ème catégorie. La majorité berbère se sent flouée, écartée du pouvoir. De là, des conflits ethniques particulièrement sanglants.

3° – Viennent ensuite les “Muladies”, c.-à-d. les Chrétiens qui se convertissent. Ce sont eux, descendants d’Hispano-Romains et d’Hispano-Wisigoths qui vont constituer l’immense majorité de la population musulmane de la péninsule ibérique. L’entrée d’un total de 30 000 à 50 000 guerriers arabes ou berbères doit être mise en relation avec les 4 à millions d’habitants qui y vivaient au VIIIe siècle. Au 10ème siècle, la moitié de la population de Al Andalous était déjà islamisée, 80 % au 11ème siècle et 90 % au 12ème siècle.

Ces convertis comprennent rapidement les avantages d’avoir le statut de “musulman”, entraînés par l’exemple de leurs élites qui pactisent très vite avec les envahisseurs. Par exemple, la “gens” romaine et chrétienne des “Cassius”, qui contrôlait la vallée de l’Ebre, s’islamise, devient Banu Qasi, paye un tribut mais conserve son pouvoir sur son territoire.

Ensuite “business as usual”, du moins pour ces puissants. Près de Murcie, un potentat du nom de Théodore (Teodomiro) devient Tudmir.
Toutefois, ils seront en butte à la jalousie frustrée des Arabes et Berbères car, par leur conversion, ils acquéraient les avantages inhérents à la qualité de musulman, restreignant d’autant les perspectives de butin des vainqueurs.

Puis viennent deux catégories de véritables “parias”.

4° –Les Mozarabes, les Chrétiens vivant en Al Andalous, dont les communautés sont dirigées par des chefs désignés par l’envahisseur qu’ils vont très vite détester. Victimes de persécutions anti-chrétiennes au 9ème siècle, de destructions à toutes les époques de livres et manuscrits par le feu, déportés en Afrique, le sentiment de persécution, de souffrance et d’oppression quotidienne a conduit très tôt les Mozarabes qui le pouvaient à émigrer vers le Nord.

Le statut réservé aux Chrétiens était marqué par l’humiliation et la discrimination.

Le Musulman se déplaçait à cheval et le Chrétien sur un âne, le Chrétien qui tuait un Musulman, même en cas de légitime défense, était immanquablement condamné à mort alors que cette règle ne s’appliquait pas dans le cas inverse, le témoignage d’un Chrétien contre un Musulman n’était pas recevable devant un tribunal, le Chrétien devait se lever lorsqu’un Musulman entrait et il devait le croiser du côté gauche considéré comme maudit.

Et encore, le Chrétien ne pouvait avoir de serviteurs musulmans, ni une maison plus haute que celle d’un musulman sans être obligé de la démolir, une église, lorsqu’elle n’était pas rasée devait être plus basse que la Mosquée, le Chrétien devait payer un impôt plus élevé, indépendamment de sa fortune, parce qu’il était chrétien, les amendes infligées pour les mêmes infractions étaient supérieures du double à celle des musulmans, etc.

L’intransigeance musulmane avec les autres religions était insoutenable.

Le premier pogrom important se produit à Grenade en 1066, quatre mille juifs y étant massacrés.

5° –Les Juifs : il s’agît d’une communauté relativement importante qui accueille avec faveur l’arrivée des musulmans, parce que persécutée dans l’Espagne wisigothique. Au départ, ils considèrent donc les Maures comme des alliés contre l’oppresseur. Ils vont très vite déchanter.

En effet, les termes du Coran à leur égard peuvent être qualifiés d’imprécation, d’exécration, d’anathème, exprimant un volcan de ressentiment, de colère et de vindicte (ex sourate 98, v.5/6 ou sourate 4, v.154/155).

Aussi, le statut qui leur sera accordé par l’envahisseur, sera, si possible, inférieur à celui des Mozarabes. Ils sont régulièrement victimes de massacres ; le premier pogrom important se produit à Grenade en 1066, quatre mille juifs y étant massacrés.

Al Andalous a été un état de religion islamique depuis son introduction en 714 (711 ?) jusqu’à sa fin en 1492. Durant toute cette période, c’est un état de guerre, de rapine et de pillage intermittent qui a régné.

Voilà donc le panorama d’Al Andalous. Un pays musulman parce qu’islamisé, de langue et culture arabe dominantes. La présence d’autres communautés (essentiellement juifs et chrétiens) était tolérée au début, puis acceptée seulement en fonction des circonstances. Al Andalous a été un état de religion islamique depuis son introduction en 714 (711 ?) jusqu’à sa fin en 1492. Durant toute cette période, c’est un état de guerre, de rapine et de pillage intermittent qui a régné.

Nous sommes très loin de la fable, plutôt la mystification historique de la prétendue convivialité pacifique des 3 religions d’Al Andalous. L’exaltation d’Al Andalous a un double avantage “Polco”, c’est de favoriser subrepticement le multiculturalisme et déprécier la chrétienté qui est l’une des fondations de la civilisation occidentale. (*)

Il est certain que du côté chrétien, cette invasion a créé un état de stupeur et de choc. Très vite, on prend conscience que les objectifs de l’adversaire vont beaucoup plus loin que la prise de butin au détriment des vaincus mais qu’ils visent la destruction de la culture, civilisation et mœurs des vaincus, sous le couvert d’une motivation religieuse fanatique.

Des Chrétiens se réfugient dans les montagnes du nord où sous la conduite du Duc Wisigoth, Pelayo (Pelage en français), ils vont anéantir un corps expéditionnaire musulman à Covadonga en 722. Les musulmans renonceront à conquérir un territoire montagneux, très difficile d’accès et se contenteront d’expéditions punitives.

Selon la légende, au jour de la bataille de Covadonga, une croix rouge apparaît dans le ciel à Pelayo, signe de la faveur divine.
(…) l’idée de récupération de l’Espagne perdue devient manifeste.

Selon la légende, au jour de la bataille de Covadonga, une croix rouge apparaît dans le ciel à Pelayo, signe de la faveur divine. Cela peut être considéré comme l’amorce d’une réplique idéologique à l’étendard aux couleurs de L’islam que brandissent les musulmans.

Un Royaume chrétien des Asturies se forme et, à partir de Alphonse II le Chaste (701) et surtout d’Alphonse III le Grand (866), la résistance se mue en volonté de reconquête : l’idée de récupération de l’Espagne perdue devient manifeste.

En 813, l’ermite Pelayo découvre la tombe de Saint-Jacques sur les côtes de la Galice.

En 813, l’ermite Pelayo découvre la tombe de Saint-Jacques sur les côtes de la Galice.

A savoir que cette côte, du moins la partie où s’est retrouvé le tombeau se nomme «la costa de la muerte» (la côte de la mort), comparable au Raz de Sein en Bretagne, à la Pointe du Raz. Une côte, tout le contraire d’hospitalière comme son sobriquet le laisse entendre.

Selon la tradition, l’apôtre Saint-Jacques a évangélisé l’Hispanie. Après sa mort à Jérusalem, ses disciples ont récupéré le corps pour le ramener en Hispanie et lui ont donné une sépulture.

Et ici tout va s’enchaîner pour jeter les bases de l’opération Jacobéenne.

Informé de la découverte jacobéenne, Alphonse II prévient Charlemagne, la cour carolingienne jouissant d’un prestige immense chez le petit Roi des Asturies qui recherchait sa protection.

Les Carolingiens, depuis Charles Martel, font face aux musulmans, au sud des Pyrénées et sont devenus conscients que ceux-ci sont des envahisseurs très différents des Saxons, Bataves, Bavarois, Vikings auxquels ils ont affaire dans le nord de l’Europe.

La Cour carolingienne va donner un énorme retentissement à la découverte dans toute l’Europe et qui sera célébrée par le Pape.

Le 23 mai 844. Saint-Jacques apparaît sur un destrier étincelant de blancheur pour pourfendre les Maures qui seront sévèrement défaits. Il s’agît de la première apparition historique de Saint-Jacques en tant que «Matamoros»,

En 844, Ramires 1er, 10e descendant de Pelayo qui vient d’être défait par Abd Al –Rhaman II, se retire sur la colline de Clavijo. Saint-Jacques lui apparaît et l’encourage à reprendre le combat le lendemain, promettant son assistance.

Le 23 mai 844, selon la légende, la bataille se livre et Saint-Jacques apparaît sur un destrier étincelant de blancheur pour pourfendre les Maures qui seront sévèrement défaits.

Il s’agit de la première apparition historique de Saint-Jacques en tant que «Matamoros», tueur de Maures, ou encore matamore.  ;La résonance de cette victoire et de l’intervention de l’apôtre eut un retentissement énorme dans les populations chrétiennes d’Espagne qui en furent galvanisées. L’écho de cette victoire transforma en croisade nationale ce qui, jusqu’alors, étaient des combats régionaux.

Depuis lors, toujours selon les légendes, l’apôtre «Matamoros» se tiendra toujours aux côtés des armées luttant contre les créatures sorties de l’Enfer que sont les adeptes de l’idéologie satanique mahométane.

Détail de l’Inferno de Giovanni di Pietro Falloppi, da Modena – 1410 :
Mahomet précipité aux enfers (voir l’inscription inscrite dans le cartouche rouge)

Las navas de Tolosa en 1212 (qui) vit la défaite des troupes Almohades, entraînant la fin du danger militaire musulman.

Lors de plusieurs batailles, dont la plus fameuse est celle de «Las Navas de Tolosa» en 1212 qui vit la défaite des troupes Almohades, entraînant la fin du danger militaire musulman, les récits de l’époque mentionnent l’apparition du «Matamoros».

Du «Matamoros» viendra le fameux cri de guerre des troupes espagnoles entrant au combat : «Santiago, Cierra Espagna !», l’équivalent du «Montjoie, Saint-Denis !» des Français. Au 11e siècle, «Santiago, Cierra Espagna !» était le cri poussé par le CID et ses troupes lors de leurs charges de cavalerie. Cela peut se traduire par «Pour Saint-Jacques, l’Espagne charge».

Mais il s’agit toujours d’une affaire espagnole. Mais pendant deux siècles, jusqu’en 919, la situation de l’Espagne (voir supra) chrétienne est épouvantable. Elle ne dispose que de très faibles moyens face à l’Espagne musulmane qui étend son emprise sur les zones les plus riches, les plus fertiles. Elle manque cruellement de ressources. Son déficit en termes de population est énorme.

Pour qu’il y ait une «reconquista», il faut d’abord avoir subi «una conquista»

Et c’est ici que va intervenir l’esprit de croisade, c.-à-d. d’une guerre juste contre les infidèles, non pas des barbares, mais des “infidèles”. Cinq royaumes chrétiens vont se former : Navarre, Léon (successeur des Asturies), Aragon, Castille et Portugal. Tous affirment leur culture chrétienne face à l’ennemi islamique. Petit à petit, ces royaumes tiennent tête aux musulmans et ont comme objectif politique de reconquérir les territoires conquis par leurs ennemis.

Et oui, pour qu’il y ait une «reconquista», il faut d’abord avoir subi «una conquista».

Mais, voilà le problème, c’est le manque de ressources humaines, c.-à-d. de soldats pour renforcer les armées de la reconquête et ensuite de colons pour repeupler les territoires conquis. La vallée du Douro, par exemple, était devenue un désert humain, car ligne de séparation entre l’Espagne sous contrôle musulman et celle sous contrôle chrétien.

Les Maures lancent régulièrement des actions de razzias, pillant et tuant en emmenant des esclaves. Les Chrétiens font aussi de constantes incursions dans les vallées situées sous leurs montagnes (parfois jusqu’à 400 km de leurs bases comme à Lisbonne en 798). Lorsqu’ils parviennent dans une ville, ils tuent les Maures et repartent le plus vite possible avec les chrétiens libérés.

Mais la volonté politique est là, du côté des Rois chrétiens et l’on assiste à la naissance des “fueros”, les forts, c.-à-d. l’octroi de statuts juridiques, franchises, droits locaux et municipaux, pour favoriser l’installation de communautés de colons qui se forment sur les frontières du conflit qui, peu à peu, sont repoussées vers le sud. Cela attire les individus en rupture de ban, les serfs qui y voient une façon d’acquérir la liberté qui contient la promesse d’une vie meilleure et s’échappent des domaines où ils étaient asservis. Pour exploiter une terre en propriété, ces colons sont prêts à défier tous les dangers. Ils viennent du nord de l’Espagne, prennent une terre, s’engagent à la cultiver et se voient reconnaître le statut d’homme libre.

On voit apparaître le statut de “caballero villano”, de chevalier vilain. Une catégorie de noblesse qui ne vient pas du nombre de “quartiers” figurant sur le blason. C’est véritablement une institution originale de l’Espagne chrétienne qui permet une mobilité et une ascension sociale inconnues dans le reste de l’Europe. En contrepartie, le chevalier vilain se doit de posséder un cheval et des armes et de répondre à tous moments aux appels de son Roi. Par ex, Rodrigo Diaz de Vivar, le Cid Campeador, venait d’une famille de chevaliers vilains.

Mais cela ne réglait pas le problème du déficit en ressources humaines, car installer des colons, en fait, c’était un transfert d’une partie de la population existante d’une région vers une autre. Globalement, la question n’était pas réglée. Il était nécessaire que des renforts en hommes puissent venir de hors Espagne, c.-à-d. du reste de l’Europe. Et c’est, ici, que la foi religieuse des populations européennes, bien utilisée par les instances religieuses, allait jouer un rôle déterminant.

Déjà, dans le sud de la France, il y a conscience de ce qui se joue en Espagne. Les contacts et liens entre les régions du Sud et du nord des Pyrénées sont intenses. Des grands barons français, tels le Vicomte Gaston de Béarn ou encore le Duc Guillaume d’Aquitaine, dit le Troubadour, feront campagne en Espagne, en appui surtout des Aragonais. En France, encore, “La Chanson de Roland” a répandu dans les populations l’image du combat pour la foi contre le perfide infidèle Sarrazin.

En Al Andalous, les convulsions politiques ont toujours pour origine l’arrivée de chefs plus fondamentalistes. Les derniers arrivés conquièrent le pouvoir en accusant leurs prédécesseurs de ne pas avoir islamisé suffisamment : Les Omeyades (756), les Almoravides(1086), les Almohades (en 1145), le dernier calife almohade annonçant clairement son objectif de détruire le Vatican et de faire boire son cheval dans le Tibre. Aussi, lorsqu’ils entreprenaient leurs campagnes  ;militaires, ils proclamaient la guerre sainte, ce qui garantissait le paradis d’Allah et ses houris, à ceux qui succombaient au combat.

La réplique chrétienne allait être la croisade, c.-à-d. soit prendre la croix pour défendre le Christ, les indulgences en pardon des péchés étant données aux croisés, soit prendre la croix pour expier un crime et obtenir le pardon. Pour la croisade vers Jérusalem, l’objectif, la libération du tombeau du Christ, faisait l’unanimité entre chrétiens.

Se rendre en pèlerinage à Saint-Jacques alors qu’il y avait d’autres lieux où se rendre et faire pénitence, ce n’était pas suffisant comme motivation. Et c’est ici qu’entre en scène le symbole du «Matamoros», le tueur de Maures (…)

Se rendre en pèlerinage à Saint-Jacques alors qu’il y avait d’autres lieux où se rendre et faire pénitence, ce n’était pas suffisant comme motivation. Et c’est ici qu’entre en scène le symbole du «Matamoros», le tueur de Maures que la propagande de l’Eglise utilisera au mieux pour signaler et mettre en évidence la prééminence en termes de foi et d’accomplissement religieux le pèlerinage jacobéen par rapport aux autres pèlerinages européens, cette prééminence découlant du rôle décisif de l’apôtre dans un conflit où la vraie foi était menacée par des ennemis créés par Satan.

Un apôtre du Christ qui protège les combattants et légitime le combat contre l’Infidèle, qui montre l’exemple en pourfendant les ennemis de la vraie foi, qui est la preuve de la faveur divine envers cette juste cause, voilà ce qui pouvait entraîner les Chrétiens d’Europe dont, à l’époque, la ferveur religieuse était intense. Et comme tout finit par se savoir, il était devenu de notoriété que l’accueil fait aux pèlerins était chaleureux et que les puissants locaux accordaient des avantages matériels à ceux qui décidaient de rester et/ou s’engageaient dans les expéditions de la reconquête, sans être trop regardants quant à leur passé.

Les Papes allaient d’ailleurs exempter de participation aux croisades vers Jérusalem, les Barons et Princes qui participaient à la Reconquête en Espagne.

Les Evêques de Narbonne, Béziers et Nîmes lèveront des contingents pour appuyer les Royaumes espagnols. Dans les Eglises chrétiennes, les prêches incitent les fidèles à faire le pèlerinage à Compostelle, en témoignage de leur foi pour soutenir l’apôtre et les chrétiens dans leur combat, inspiré par Dieu. A ma connaissance, le symbole de la croix ne sera pas cousu sur les vêtements des pèlerins, contrairement à ce qui se faisait pour ceux qui partaient pour la libération du tombeau du Christ, mais l’élan est donné.

Pendant plusieurs siècles, des centaines de milliers d’hommes, des femmes aussi mais en moins grand nombre, se lancent sur les chemins pour venir prier à Compostelle. Plusieurs chemins sont, aujourd’hui, identifiés à l’entrée sur le sol espagnol. «El camino ingles», pèlerins venant d’Angleterre, “el camino portugues” pour ceux qui remontaient depuis le Portugal et surtout “El camino frances”.

C’est le «camino frances» qui est le véritable pipe-line pour fournir les pèlerins. Bien entendu, ceux-ci viennent surtout de France, Normands, Bourguignons, Poitevins, Bretons, Picards, Angevins, mais il y a également les Flamands, c.-à-d. les gens des Flandres, les Liégeois, les Brabançons, les Allemands du Sud. Les Espagnols, considérant qu’ils arrivent de France, le pays des Francs, les nomment “los francos”.

A partir du 11ème siècle, lorsque se formeront les noyaux urbains, les Rois espagnols, pour tenter de les retenir, leur accorderont des privilèges consistant en l’exclusivité d’une activité commerciale ou artisanale. Et comme, ce sont, en majorité des Francs, cette exclusivité se nommera “franchise”. Et nombre de villes moyenâgeuses auront un “barrio franc”, un quartier “franc”.

Le camino ingles est, eu égard à la dangerosité de la côte de Galice, très peu pratique. Le voyage par mer est dangereux, la côte galicienne difficile (voir supra : costa de la muerte) et les conditions hivernales rendaient la navigation très risquée pour les esquifs de l’époque. Les pèlerins, venant d’Angleterre, débarquaient au port d’El Ferrol et, ensuite, devaient parcourir 130 km pour arriver à Santiago, soit une marche d’au moins deux semaines. En outre l’Angleterre et l’Irlande étaient très peu peuplées, ne pouvaient fournir un contingent important.

Quant au «camino portugues», on ne peut imaginer que beaucoup d’habitants de ce pays faisaient ce pèlerinage vers le nord, alors qu’eux-mêmes étaient encore engagés dans leur propre Reconquista.

Beaucoup de ces pèlerins sont des hommes jeunes, qui n’ont rien à perdre en se lançant dans ce qui est une aventure et, jeune, il fallait l’être pour partir sur les chemins, sans avoir l’assurance de trouver gîte et couvert, en étant exposés aux attaques brutales de bandes de hors la loi et en devant faire face aux intempéries. Le froid de l’hiver, surtout dans les régions montagneuses qu’il fallait franchir alors que des cols, en raison de la neige, n’étaient plus praticables. La rareté des ponts, le mauvais état de chemins en terre, le mauvais temps, rendaient les étapes très courtes.

Ainsi, aujourd’hui, un pèlerin partant de Liège devrait parcourir 1850 km pour arriver à Compostelle et par des routes bien entretenues et balisées. Comptons que s’il ne s’arrête pas et est en forme physique, il aurait besoin d’environ une centaine de jours, ayant l’avantage en outre de pouvoir parcourir le chemin durant les beaux jours. A l’époque (10ème siècle) en raison des détours pour trouver des ponts permettant le passage des rivières, le trajet était beaucoup plus long, la progression plus lente par défaut de balisage et du mauvais état des chemins et interrompue de novembre à mars, en raison de passages impraticables. On peut imaginer qu’un pèlerin, partant de Liège au 10ème siècle, faisait le parcours complet sur deux années.

Ces pèlerins arrivaient physiquement fatigués, ayant très souvent épuisé leurs ressources matérielles et la perspective de revivre les mêmes épreuves lors du retour ne les enchantait pas vraiment. D’autant plus qu’ils pouvaient se demander ce qu’ils retrouveraient après une absence de plusieurs années. En ce temps–là, l’espérance de vie était courte, l’existence précaire et l’environnement socio-économique plein d’aléas. Pour beaucoup d’entre eux, rester, c’était une occasion de refaire sa vie, s’assurer immédiatement une sécurité à court terme et s’offrir la perspective d’un avenir plus exaltant que celui qu’il connaissait au pays. Et leur ferveur religieuse ne pouvait que les exalter.

La qualité de «Matamoros» de Saint-Jacques justifiait la prééminence du pèlerinage à lui consacrer et c’est ce qui explique pourquoi, durant plusieurs siècles des centaines de milliers de pèlerins se lancèrent sur les chemins vers Compostelle.

Voilà, selon moi, la réponse à la question posée : pourquoi au Moyen-Âge, le pèlerinage à Saint-Jacques fut-il le grand pèlerinage religieux de l’Europe ? La raison fut la nécessité de lutter contre l’invasion des infidèles qui menaçaient les Racines chrétiennes de la Civilisation européenne, dans le cadre de la Reconquista, le front de la guerre se trouvant au sud des Pyrénées, en lui apportant les ressources humaines qui lui faisaient défaut et en utilisant comme argument propagandiste la figure du «Matamoros», symbole et légitimation de la lutte du camp du Bien contre le camp du Mal. Compte tenu de la ferveur religieuse des Européens de l’époque, la qualité de «Matamoros» de Saint-Jacques justifiait la prééminence du pèlerinage à lui consacrer et c’est ce qui explique pourquoi, durant plusieurs siècles des centaines de milliers de pèlerins se lancèrent sur les chemins vers Compostelle.

Sans la figure extraordinaire du «Matamoros», le tueur de Maures, vous n’auriez pas entrepris ce pèlerinage ou ne penseriez pas l’entreprendre. En effet, sans lui, ce pèlerinage n’aurait jamais existé.

Aussi, chers amis Pèlerins ou candidats Pèlerin, cela nous éloigne pas mal de l’aventure spirituelle que vous avez vécue ou souhaitez vivre. Mais, c’était en d’autres temps. Les sentiments que vous avez ressentis lors de votre cheminement ou auxquels vous aspirez n’en gardent pas moins toute leur valeur. Cependant, il vous faut assumer que sans la figure extraordinaire du «Matamoros», le tueur de Maures, vous n’auriez pas entrepris ce pèlerinage ou ne penseriez pas l’entreprendre. En effet, sans lui, ce pèlerinage n’aurait jamais existé. Mais, faisant ce pèlerinage ou souhaitant le faire comme encore aujourd’hui, des milliers de pèlerins dans le monde, que vous le vouliez ou non, vous rendez hommage au «tueur de Maures» le «Matamoros».

Aussi, je vais vous demander encore un petit effort.

Il y a quelques années, rentrant à la cathédrale de Saint-Jacques à Compostelle, j’avais pu contempler sur le côté droit une chapelle, avec une statue du «Matamoros» sur son cheval cabré brandissant le sabre, le sol l’entourant étant jonché de têtes barbues et enturbannées.

Saint-Jacques Matamoros – Cathédrale de Burgos (photo alamy)

Malheureusement le «Polco» (NDLR) a sévi et, à la demande d’associations musulmanes, soutenues comme toujours par «les Vaillants Chevaliers de la Laïcité», l’œuvre séculaire a été considérée comme contraire «au vivre ensemble». En conséquence, elle a été rangée dans des entrepôts et remplacée par une statue du Saint en Pèlerin. Si je comprends bien, il se faisait un pèlerinage à lui-même…

Aussi, ayez quand même une pensée pour Saint Jacques «Tueur de Maures» sans qui vos aspirations spirituelles passées ou à venir n’auraient pu être satisfaites.

Amis, considérant avoir apporté un éclairage différent de ce pèlerinage, je vous invite à me faire part de vos remarques ou objections, ou encore éclaircissements.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jacques Ronsse pour Dreuz.info.

Avertissement au lecteur

Je m’étais souvent posé la question du pourquoi le pèlerinage à Compostelle avait été le grand pèlerinage européen.
J’ai donc recherché des textes d’historiens de réputation, et ensuite de spécialistes de l’Islam, pour essayer de répondre à cette question. Sur base de leurs écrits, j’ai construit mes conclusions. Celles-ci, comme la question de départ me sont personnelles.

Ce travail étant donc une démarche personnelle, dans le corps du texte, je me suis servi directement de phrases et citations, trouvées chez les auteurs des livres que j’ai lus, ainsi que de paragraphes d’articles qui me paraissaient relevants. On y trouvera donc d’éventuels “copiés-collés” qui, n’ayant en propre aucune ambition d’auteur, n’ont pas été systématiquement relevés et répertoriés.

Mes références essentielles

NDLR : Polco = Politiquement correct.

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