Publié par Abbé Alain René Arbez le 19 mai 2019

Le soir du jeudi saint, Jésus réunit ses disciples pour un dernier repas, et il célèbre avec eux la Pâque, il en profite pour résumer son engagement. En quelques mots et avec des gestes simples, il récapitule ce dont il a témoigné dans ses paroles comme dans ses actes depuis qu’ils ont commencé à annoncer ensemble le Royaume de Dieu. Les disciples sont à l’écoute, mais ils sont inquiets : est-ce que leur aventure avec le Maître va s’arrêter, puisque Jésus fait comprendre qu’il va au-devant de sa passion pour témoigner de la vérité jusqu’au bout ? Jésus veut leur redonner confiance et c’est pourquoi il présente sa mort non pas comme la fin, mais comme un passage vers la vie en plénitude, c’est une Pâque libératrice de la vérité. Alors, il leur transmet sa dernière recommandation : elle se résume en un mot : AIMER…

AIMER : seulement, pour nous, c’est un mot qui a pris des significations multiples et contradictoires dans notre société : à travers la littérature, les chansons, la télé, le mot AMOUR est utilisé dans tous les sens…Aimer, ce n’est pas une question d’émotion passagère, ce n’est pas une attirance vers un objet… aimer, c’est aussi respecter, apprécier, encourager, il faudrait utiliser beaucoup de mots pour traduire le sens réel et global de « AIMER » tel qu’on le découvre dans la Bible.

Tous les débats actuels qui s’agitent autour de l’amour, (dans le couple, dans la famille, dans l’altruisme), démontrent à quel point on retrouve toute la complexité humaine. Mais l’évangile de St Jean nous donne son approche originale de l’AMOUR : « aimez-vous les uns les autres » aimer, certes, mais : «  comme» je vous ai aimés…Cet amour à la profondeur inédite nous renvoie au témoignage personnel de Jésus, et donc à la révélation qu’il a faite de l’amour vécu totalement.

Aimez-vous  « Les uns les autres », et non pas « les uns les uns »…ce qui suppose l’altérité. Altérité dans les relations humaines, altérité dans le couple, dans les familles, dans l’Eglise (qui est une unité de diversités)…Ainsi, contrairement à d’autres traditions uniquement centrées sur elles-mêmes et donc hégémoniques, la tradition biblique valorise l’autre et l’altérité, c’est cette ouverture bienveillante qui permet de donner un sens à la fois personnel et collectif au mot aimer. Jésus reprend à son compte et accomplit un enseignement auparavant dispensé dans les générations précédentes, (nous le voyons déjà au livre du Lévitique : « aime ton prochain comme toi-même ») mais Jésus veut relier définitivement amour de Dieu et amour du prochain, et en vertu de cela, il ira jusqu’au don total de sa personne, en démasquant les ambiguïtés habituelles. C’est précisément dans cet événement révélateur que St Jean voit la manifestation de la gloire de Dieu. Une gloire dont le rayonnement se prolonge dans les relations fraternelles et communautaires.

Aimer, aimer au sens global, c’est à dire renoncer à exclure ceux avec qui nous n’avons pas d’affinités, et même nos adversaires… ce qui va à l’encontre de nos réflexes naturels. Jésus n’est pas naïf : connaissant l’être humain, il offre une nouvelle manière de vivre inclusive qui retentit comme une provocation! Dans provocation, il y a vocation. Ainsi, c’est la vocation du disciple de Jésus, que de chercher comment imiter le maître ; ce qui dépasse toutes les restrictions dans l’amour, car il a lui-même pardonné à ses ennemis, et à nous tous qui avons certaines complicités avec le mal….

En remettant au premier plan ce commandement de l’amour, Jésus, qui est un observant attentionné de la Torah, la loi de Moïse, veut avant tout nous faire ressentir – par une façon novatrice de se comporter – un reflet exact de l’attitude même de Dieu notre Père envers nous. Jésus le rappelle souvent : Dieu est source de vie ; il est, de ce fait, la générosité même : il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants. Toute l’Ecriture Sainte le répète : il est à la fois un Père juste avec ses enfants, mais aussi un Père miséricordieux, plein de bienveillance envers nous; le Dieu « lent à la colère et riche de tendresse » des psaumes! Le Dieu qui pardonne et relève.

Cet appel de Jésus à aimer nous situe évidemment à un autre registre que l’enchaînement habituel de réactions qui font obstacle à l’avènement du Règne de Dieu. Aimer, c’est se décentrer de soi-même. Un petit enfant commence à s’exprimer par des caprices, il se croit le centre du monde. C’est l’amour qui l’entoure et l’éducation affective par son entourage qui le font évoluer vers l’ouverture aux autres : il apprendra peu à peu à vivre avec eux et comprendra qu’il y a des règles nécessaires pour vivre ensemble. C’est la pédagogie de Dieu avec son peuple et avec nous. Dieu nous a aimé le premier, et notre amour n’est qu’une réponse au sien, qui est source de vie. Cet amour – comme le dit l’évangile de Jean – est infiniment plus grand que notre cœur. Et s’il nous relie à Dieu, il doit aussi nous relier les uns aux autres! « Aimez-vous comme je vous ai aimés »…Jésus a été l’incarnation de l’amour sauveur venant de Dieu.

Cette attitude de l’intelligence et du cœur qui nous est proposée, nous la retrouvons dans la belle prière de François d’Assise :

Mettre la bienveillance à la place de la haine, la dignité à la place des agressions, la patience à la place de l’incorrection, l’espérance à la place de l’accablement, le souci des autres à la place de l’indifférence…

Dans certaines situations, c’est donc tout un engrenage qu’il faut discerner, pour mieux le maîtriser et ne pas se laisser entraîner à reproduire indéfiniment les mêmes comportements. Il nous faut retrouver la capacité que nous avons à construire, à manifester  considération  et respect, à créer des liens, à rendre peu à peu le monde plus habitable…Si nous ne réagissons pas, les difficultés de la vie avec les autres risquent de nous désenchanter et de nous désengager de tout. Ce repli stérile aboutirait en fin de compte à donner encore plus de champ libre aux situations désespérantes du monde que – précisément – nous dénonçons !

Nous savons combien St Jean a particulièrement élaboré dans sa réflexion ce dynamisme de l’amour qui vient du Père par le Christ et que nous allons ensuite, dans l’Esprit, répercuter au monde. Nous savons que nous ne parvenons pas, par nos seules forces, à exprimer dans nos paroles et dans nos actes cette force de l’amour venue de Dieu.

Pour l’accueillir, il est nécessaire de lui redire notre confiance et notre reconnaissance, dans la prière par l’intercession du Christ : le Fils bien-aimé du Père a été vainqueur du mal en se donnant totalement pour nous sauver de la fatalité, et il continue de nous inspirer – à contre-courant si nécessaire – comment être fils et filles de Dieu.

Si nous croyons en un Dieu qui aime chaque être humain et qui désire la paix entre les personnes et entre les peuples, si nous posons quelques jalons vers cet avenir, alors nous commençons à changer la face de la terre.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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