Publié par Abbé Alain René Arbez le 25 mai 2019

Message de la conférence «La xénophobie, le racisme et le nationalisme populiste dans le contexte de la migration mondiale»

Nous professons notre foi dans le Dieu de Jésus-Christ, et nous croyons que l’humanité est créée et aimée par Dieu et que tous les êtres humains sont égaux en dignité et jouissent des mêmes droits fondamentaux.

1. Dans un contexte mondial marqué par la migration à l’intérieur des pays et entre les pays, nous, participants à la conférence «La xénophobie, le racisme et le nationalisme populiste dans le contexte de la migration mondiale», nous sommes réunis à Rome du 18 au 20 septembre 2018. Conscients d’une augmentation des réactions xénophobes et racistes envers les réfugiés et les migrants, nous nous sommes efforcés de décrire, d’analyser, de comprendre et de combattre l’exclusion, la marginalisation, la stigmatisation et la criminalisation de ces populations, ainsi que les raisons avancées pour justifier ces attitudes et discours dans plusieurs parties du monde, y compris au sein des Églises.

2. En tant que chrétiens de confessions et de régions différentes (aux côtés des représentants de partenaires interreligieux, de la société civile et intergouvernementaux), la base commune de nos réflexions est la conviction que tous les êtres humains sont égaux en dignité et en droits et doivent être respectés et protégés de manière égale. Par conséquent, nous sommes appelés par Dieu à résister au mal, à faire ce qui est juste et à rechercher la paix pour transformer le monde. Bien que nous recherchions et encouragions le dialogue en vue de résoudre les différends autour des problèmes soulevés dans ce message, cette conviction de base est durable et permanente.

3. (a) La migration — le mouvement de populations — est inhérente à la condition humaine. Cela appartient à toute l’histoire de l’humanité — passée, présente et future — et à l’ensemble du récit biblique. Nous sommes tous des migrants et des résidents temporaires, et nous sommes tous membres de la même famille humaine.

(b) Parmi les causes récentes des déplacements forcés et de la migration figurent les conflits brutaux non résolus et les conséquences persistantes de la crise économique mondiale et des politiques d’austérité, ainsi que d’autres causes profondes telles que l’extrême pauvreté, l’insécurité alimentaire, le manque d’opportunités et l’insécurité. Il est probable que les impacts croissants du changement climatique accentuent de manière significative les causes des déplacements.

(c) Tout en reconnaissant le droit des réfugiés à retourner dans leur pays d’origine et à y vivre dans la dignité et la sécurité, nous affirmons et soutenons l’institution de l’asile pour celles et ceux qui fuient la guerre, les persécutions ou les catastrophes naturelles. En outre, nous invoquons le respect des droits de toutes les personnes déplacées, indépendamment de leur statut.

(d) Bien que la migration soit généralement favorable aux pays d’origine et d’accueil, nous reconnaissons qu’il demeure un certain nombre de défis importants liés à cette migration, en particulier dans le domaine de la protection des droits des migrants sans papiers.

4. Nous appuyant sur les connaissances pluridisciplinaires, les expériences et les témoignages de différentes traditions religieuses afin de mieux comprendre les causes et les effets des discours haineux à l’encontre des migrants et des réfugiés, mais aussi des tensions entre pays et entre communautés sociales, culturelles ou religieuses dans le contexte de la migration mondiale, nous nous sommes efforcés de saisir les enjeux des rencontres avec d’autres êtres humains fragilisés par la guerre ou la pauvreté, et en quête d’asile, de protection et de dignité.

5. (a) En effet, la manière dont est considérée une personne rendue vulnérable par la violence ou la précarité économique se trouve au cœur de notre réflexion. La xénophobie, qui signifie principalement «peur de l’étranger», s’exprime par une attitude qui exclut et enferme l’autre dans son malheur, mais aussi par des formes et des structures d’indifférence et de rejet, allant même jusqu’au déni d’assistance en situation d’urgence. Il est donc nécessaire de lutter contre la peur de l’autre et de faire face à l’exclusion et à la marginalisation des migrants et des réfugiés. Cette peur peut être révélatrice d’une relation personnelle ou collective complexe avec le passé, le présent ou l’avenir, et exprime l’angoisse de perdre son identité, sa sécurité, ses biens et son énergie face aux défis de la vie et de l’avenir.

(b) Il convient également de reconnaître la peur ressentie par une personne contrainte de fuir son foyer et son pays en raison de la vulnérabilité causée par un conflit armé, des politiques nationales et régionales destructrices, des persécutions, des catastrophes naturelles ou une extrême pauvreté.

6. (a) La notion de race est une construction sociale qui prétend expliquer et justifier les distinctions établies entre les groupes humains en s’appuyant sur des critères physiques, sociaux, culturels et religieux. Le racisme correspond à l’impact systémique et systématique des mesures prises contre des groupes de personnes en fonction de la couleur de leur peau. Il sépare les individus les uns des autres au nom d’une fausse notion de pureté et de supériorité d’une communauté particulière. Il s’agit d’une position idéologique qui s’exprime au travers d’une marginalisation, d’une discrimination et d’une exclusion à l’encontre de certaines personnes, minorités, catégories ethniques ou communautés.

(b) Comme le définit la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 1.1), l’expression ‘discrimination raciale’ vise «toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales».

(c) Le racisme crée et entretient la vulnérabilité des membres de certains groupes, les privant de leurs droits et de leur existence, et cherche à justifier l’oppression dont ces individus sont victimes. En ce sens, le racisme est un péché, tant dans ses expressions personnelles que systémiques, et donc radicalement incompatible avec la foi chrétienne. Il est souvent présent à la fois dans les pays d’origine et d’accueil des migrants. Les croyants doivent condamner le racisme, car en plus de faire fi de la dignité humaine et de l’appartenance mutuelle à la même famille humaine, celui-ci ternit l’image de Dieu dans tout être humain.

7. (a) Le nationalisme populiste est une stratégie politique qui cherche à exploiter et alimenter les craintes des individus et des groupes afin d’affirmer la nécessité d’un pouvoir politique autoritaire pour protéger les intérêts du groupe social ou ethnique dominant établi sur un territoire particulier. C’est au nom de cette «protection» que les dirigeants populistes justifient leur refus d’offrir un refuge, d’accueillir et d’intégrer des individus ou des groupes venant d’autres pays ou de contextes culturels ou religieux différents.

(b) Pourtant, refuser d’accueillir et d’aider celles et ceux qui sont dans le besoin est contraire à l’exemple et à l’appel de Jésus-Christ. Prétendre protéger les valeurs ou les communautés chrétiennes en excluant celles et ceux qui cherchent à se mettre à l’abri de la violence et de la souffrance est inacceptable, ébranle le témoignage chrétien dans le monde et élève les frontières nationales au rang d’idoles.

(c) Nous appelons tous les chrétiens et tous ceux qui défendent les droits humains fondamentaux à condamner les initiatives populistes incompatibles avec les valeurs de l’Évangile. Cet appel devrait être une source d’inspiration pour la vie politique et le débat public, mais aussi éclairer les choix fondamentaux, en particulier en période d’élections.

(d) En outre, nous appelons toutes les plateformes médiatiques à s’abstenir de diffuser des idées et des initiatives clivantes et déshumanisantes et à s’engager à faire la promotion de messages positifs.

8. (a) Au travers de cette réflexion et de ce dialogue, nous observons l’importance du récit et du souvenir, aux niveaux individuel, communautaire et institutionnel. Les fondements scripturaires qui nous rassemblent à l’occasion de cette conférence nous rappellent que l’expérience de la migration est un thème récurrent dans les traditions abrahamiques. Le récit biblique est celui de personnes déplacées. Au cours de leur périple, celles-ci découvrent que Dieu les accompagne. Le devoir d’hospitalité, commun à tous les fils et filles d’Abraham, est évoqué dans le récit de l’accueil des «étrangers» par Sara et Abraham (cf. Gn 18,1-16), dans l’enseignement des prophètes, et par Jésus lui-même qui s’identifie à l’étranger (cf. Mt 25,35-40) et appelle tous les croyants à accueillir l’étranger comme un acte d’amour inspiré par la foi.

(b) Nous admettons que les inquiétudes de nombreuses personnes et communautés qui se sentent menacées par les migrants — que ce soit pour des raisons sécuritaires, économiques ou d’identité culturelle — doivent être reconnues et analysées. Nous souhaitons engager un véritable dialogue avec toutes celles et tous ceux qui émettent de telles inquiétudes. Toutefois, sur la base des principes de notre foi chrétienne et de l’exemple de Jésus-Christ, nous cherchons à promouvoir un discours d’amour et d’espérance, contre le discours populiste de haine et de peur.

9. Les Églises et tous les chrétiens ont pour mission de proclamer que chaque être humain mérite le respect et la protection. Les Églises sont également appelées à vivre au quotidien l’accueil des étrangers, mais aussi la protection et l’encouragement mutuel de tous — chacun dans la diversité de ses origines et de son histoire — à participer, selon leurs propres talents, à la construction d’une société qui aspire au bien-être dans l’égalité et rejette toute discrimination. Les Églises sont constamment appelées à être des lieux où nous vivons et apprenons le respect de la diversité et où nous nous réjouissons des rencontres et de l’enrichissement mutuel. Ceci est particulièrement important dans le contexte de l’accompagnement pastoral, de la prédication et des initiatives de solidarité, au sein des Églises, avec une attention particulière accordée aux initiatives destinées aux jeunes et organisées avec eux.

10. Nous sommes appelés à accompagner et à demander des comptes à ceux qui exercent le pouvoir et participent directement aux décisions qui affectent l’avenir de la communauté humaine, aux niveaux national et international. Les conseils que tous les croyants peuvent prodiguer peuvent s’inspirer de la «règle d’or», commune aux différentes traditions, selon laquelle il faut «faire pour les hommes tout ce que nous voulons qu’ils fassent pour nous» (cf. Mt 7,12). Cette «règle d’or» transparaît dans les droits humains fondamentaux, qui sont des conditions à atteindre pour les autres et pour nous-mêmes, et appelle à la construction d’une cohésion sociale. Seule une approche inclusive qui tient compte de toutes les dimensions de l’être humain et appelle à la participation de chacun dans la société peut permettre de lutter efficacement contre la discrimination et l’exclusion.

11. Nous encourageons l’ONU et ses États membres à poursuivre leurs efforts afin d’«éliminer toutes les formes de discrimination, condamner et prévenir les expressions, actes et manifestations de racisme, de discrimination raciale, de violence, de xénophobie et d’intolérance qui y est associée contre tous les migrants» dans le cadre du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (objectif 17), et afin de «lutter contre toutes les formes de discrimination et promouvoir la coexistence pacifique entre réfugiés et communautés d’accueil» dans le cadre du Pacte mondial sur les réfugiés (paragraphe 84), qui reconnaît explicitement «le pouvoir et l’impact positif de la société civile, des organisations confessionnelles et des médias» (Ibid.). Ces deux textes doivent être officiellement adoptés d’ici la fin de l’année. Rédigés avec la participation active des Églises, de la société civile, des milieux universitaires, du secteur privé et des gouvernements, ils fournissent des cadres politiques mondiaux utiles fondés sur les droits humains et sur lesquels devraient s’appuyer toutes les parties prenantes pour lutter contre la xénophobie et le racisme à l’encontre des migrants et des réfugiés.

12. Les Églises sont des acteurs importants de la société civile et de la vie politique, et nous les exhortons à participer, en étroite collaboration avec les partenaires interreligieux et autres, aux affaires politiques, économiques et sociales, en prenant soin de la planète («notre maison commune») et de ceux qui souffrent, en créant des réseaux de protection sociale, en menant des activités de plaidoyer et en proposant des principes juridiques et éthiques (tels que les 20 points d’action du Saint-Siège pour les Pactes mondiaux). Une excellente coopération entre les communautés religieuses, les acteurs de la société civile, les universitaires et les acteurs économiques et politiques est essentielle dans la lutte contre la xénophobie et le racisme.

13. (a) Nous, participants à la conférence «La xénophobie, le racisme et le nationalisme populiste dans le contexte de la migration mondiale», appelons tous les croyants qui affirment, dans leur propre tradition, la dignité de la personne humaine et la solidarité entre les peuples, à lutter sans relâche contre tous les cas de violation des droits humains fondamentaux, de xénophobie et de racisme, et ce, au travers de l’éducation (y compris l’éducation aux droits humains), de la démocratie, du dialogue entre les religions, du droit et de l’amour.

(b) Nous nous engageons à œuvrer ensemble pour la transformation des structures et systèmes injustes qui perdurent pour des raisons de stabilité et de sécurité et créent des cultures et des conditions qui excluent les autres et nient l’égalité de la dignité et des droits pour tous.

(c) Nous attendons des Églises qu’elles jouent un rôle de premier plan dans la sensibilisation des chrétiens à la complicité de certaines théologies en matière de xénophobie et de racisme. Par ailleurs, nous attendons un désengagement radical de ces théologies et demandons à l’Église d’assumer pleinement sa vocation de directrice de conscience dans ce contexte.

(d) Nous exprimons notre solidarité avec les Églises victimes de persécutions ou de l’occupation.

(e) Les Églises sont appelées à être des lieux de mémoire, d’espérance et d’amour. Au nom de Jésus, qui a partagé l’expérience du migrant et du réfugié et porté une parole d’espoir auprès des personnes exclues et souffrantes, nous nous engageons plus fermement à promouvoir une culture de la rencontre et du dialogue, en reconnaissant Dieu dans le visage des migrants. Car le chemin de la vie et de l’amour est plus fort que celui de la mort.

Ce texte a été signé par 350 églises protestantes et orthodoxes membres du COE, auxquelles s’ajoute l’Eglise catholique associée, mais non membre du COE.

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