Publié par Thierry Ferjeux Michaud-Nérard le 19 juin 2019
Sarah Halimi

Le cas psychiatrique controversé de Kobili Traoré impose de demander une expertise des expertises.

Du fait des incohérences et des contradictions, non seulement internes à chacune d’elles, mais aussi entre elles, les trois rapports d’expertise psychiatrique doivent faire l’objet d’un rapport d’expertise médico-légale d’évaluation et de synthèse. Des mois après les faits, Kobili Traoré est toujours présumé irresponsable et placé en établissement psychiatrique. Le Figaro/AFP : “Une contre-expertise conclut à l’irresponsabilité du suspect. Ainsi, c’est à une réflexion autour de la validité de l’expertise psychiatrique que convie la justice dans le meurtre de Sarah Halimi. Examinons les données étranges de l’expertise publiées dans Le Figaro :

1. Kobili Traoré est interné d’office en milieu psychiatrique depuis le crime et séjourne à l’unité pour malades psychiatriques difficiles (UMD) de Villejuif (Val-de-Marne) ;

2. Pourtant, cette troisième expertise affirme que le suspect “ne souffre pas de maladie mentale” ;

3. Malgré cela l’expertise conclut à “l’abolition du discernement” du suspect au moment des faits ;

4. Car Kobili Traoré aurait été pris d’une “bouffée délirante aiguë” d’origine “exo-toxique” !

C’est encore la thèse abusive de la “folie passagère” dans le temps de l’action qui a la vie si dure !

Ceci signifie que les juges doivent pouvoir s’interroger sérieusement sur la validité des expertises psychiatriques. Le cas de Kobili Traoré consiste à savoirs’il souffre d’une maladie relevant de la psychiatrie médico-légale. La principale incohérence réside dans l’interprétation différente du comportement extrême de Kobili Traoré, certains organes de pressey voyant des “idées délirantes” symptomatiques d’une “maladie mentale”, alors que d’autres y voient la simple expression d’une idéologie islamiste radicale… Selon les commentateurs, son passé de délinquant serait l’élément prédominant. Pour Caroline Valentin, sur Figarovox, Kobili Traoré est un “musulman radicalisé d’origine malienne au casier judiciaire long comme le bras“.

“La critique judiciaire des rapports d’expertise médicale…” résulte du rapport de Robert Barrot, Président de la 19ème chambre du T.G.I. de Paris, pour qui le principe de la critique des rapports d’expertise doit être “justifié à la fois sur le plan juridique et sur le plan technique”. Selon lui, “la critique (est) un esprit de vigilance et d’attention qui, lorsqu’un rapport d’expertise présente des anomalies (des incohérences et des contradictions), doit s’exprimer par une contestation motivée”.

Robert Barrot met en cause directement “le raisonnement” suivi par l’expert dans son rapport. C’est pourquoi le juge (et l’avocat ?) doit pouvoir “analyser le raisonnement de l’expert pour en détecter les failles”.

La mission d’expertise ne demande pas seulement une “description” des signes cliniques éventuels, mais une “explication” des faits en fonction des troubles cliniques constatés. C’est pourquoi les “explications” de l’expert doivent être considérées comme “une proposition soumise à la critique judiciaire”.

Ainsi, la simple description des symptômes psychiatriques dans le but de définir une maladie mentale n’explique rien. Problème logique : Il arrive que l’explication de l’enchaînement causal du passage à l’acte criminel par le trouble mental précède la description des symptômes justificatifs.

C’est pourquoi, le juge doit contester la validité de l’expertise. La critique va porter sur la réalité du trouble mental allégué et sur l’imputabilité du passage à l’acte criminel aux anomalies mentales dûment constatées par l’expert. Il arrive que la pathologie mentale rapportée n’existe pas ou n’est pas démontrée.

Le principe de la causalité est souvent mis en défaut par le raisonnement approximatif de l’expert psychiatre qui est incapable de faire la démonstration que la pathologie mentale constatée est bien la “cause exclusive, directe et certaine” du passage à l’acte criminel.

L’expertise comporte deux temps très différents. Le premier temps est consacré aux constatations : le psychiatre doit rechercher des anomalies mentales ou psychiques et le cas échéant, les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent. Il doit formuler un diagnostic psychiatrique dans le cas où son examen découvrirait des anomalies mentales. On comprend que c’est là que la compétence du psychiatre prend fin.

Le raisonnement médico-légal doit faire la “démonstration du lien de cause à effet”.

L’acte est-il en relation “directe et certaine” avec ces anomalies ? Le sujet était-il atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement, aboli ou entravé le contrôle de ses actes ? Sur le plan médico-légal l’expert psychiatre doit fournir les éléments de preuve qu’il existe bien une relation “directe et certaine” entre les faits et les anomalies mentales réellement constatées.

Louise Couvelaire : “Le Monde a consulté dans son intégralité le rapport d’expertise psychiatrique de Kobili Traoré (est-ce légal ou réprimé pénalement ?) : Comment les conclusions ambiguës de Daniel Zagury pourraient attester qu’un crime peut être délirant et antisémite ?” À la questions de savoir si, au moment des faits, le discernement de Kobili Traoré était altéré ou aboli, “altéré” (et non aboli), a déclaré le psychiatre qui conclut à une “bouffée délirante aiguë (…) induite par l’augmentation de la consommation de cannabis”.

Me Buchinger, avocat de la famille de Sarah Halimi, dénonce les incohérences du rapport de l’expert !

L’expert psychiatre a jugé que Kobili Traoré avait agi “sous l’emprise d’une bouffée délirante aiguë” dont la prise “massive” de cannabis a “démultiplié l’effet”, concluant à une responsabilité partielle de Kobili Traoré en raison d’une “altération du discernement”. Là où l’expert se trompe, c’est qu’il essaie de mettre ce qu’il appelle une “bouffée délirante” sur le compte notamment d’une consommation massive de cannabis.

(Or) il ressort d’un rapport d’expertise toxicologique que cette affirmation est fausse. On a retrouvé dans ses cheveux, dans son sang, de faibles traces de cannabis qui démontrent (que Kobili Traoré) ment”.

Selon lui, l’expert a “pris pour argent comptant” l’affirmation de Kobili Traoré sans prendre en compte ce rapport toxicologique. Il a (éludé) le fait que Kobili Traoré a “choisi délibérément sa victime”. (I24 News)

Le Figaro avec AFP : “Une contre-expertise conclut à l’irresponsabilité de Kobili Traoré. Une nouvelle contre-expertise conclut à “l’abolition du discernement” du suspect au moment des faits. La première expertise concluait que, la nuit du meurtre, il avait été pris d’une “bouffée délirante aiguë”, liée (ou associée ?) à une forte consommation de cannabis qui avait altéré son discernement sans pour autant l’abolir.

La question du discernement du suspect, interné après son arrestation, est centrale dans le dossier.

Déjà une première contre-expertise concluait, au contraire du rapport de Zagury, à l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, mis en examen pour meurtre, et la juge avait ordonné une troisième expertise.

C’est une conclusion très curieuse (de la deuxième contre-expertise). On dit qu’il n’a “aucune maladie mentale” mais qu’il a connu “une bouffée délirante au moment des faits” (alors qu’aucun psychiatres expert ne l’a examiné aussitôt après les faits), s’est étonnée Me Caroline Toby, avocate des enfants de la victime.

Si Kobili Traoré ne souffre d’aucune maladie mentale, pourquoi est-il encore interné d’office en milieu psychiatrique… à l’unité pour malades psychiatriques difficiles (UMD) de Villejuif (Val-de-Marne) ?

Voilà pourquoi le cas psychiatrique controversé de Kobili Traoré impose de demander “une expertise sur dossier des trois expertises”. Il ne s’agit plus d’examiner cliniquement Kobili Traoré. Il s’agit de confronter les trois rapports des experts pour en montrer s’il y a lieu les incohérences et les contradictions éventuelles, non seulement internes à chacune d’elles, mais aussi entre elles. C’est pourquoi les trois rapports d’expertise psychiatrique doivent faire l’objet d’un rapport d’expertise médico-légale d’évaluation et de synthèse.

La logique médico-légale “s’oppose aux préjugés comme la science s’oppose à l’opinion“. Mais il s’en faut de beaucoup que l’expertise psychiatrique en soit arrivée à ce degré de maturité intellectuelle.

Au total : L’affaire Sarah Halimi : une expertise des expertises s’impose !

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Thierry-Ferjeux Michaud-Nérard pour Dreuz.info.

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