Publié par Dern le 27 juin 2019
La légende Keanu Reeves entre dans le monde virtuel

L’E3, Grand-Messe annuelle du jeu vidéo mondial, vient de se terminer et peu de sorties prévues ont été aussi commentées que celles du déjà culte Cyberpunk 2077. Ce jeu vidéo produit par le studio CD Projekt, le polonais qui nous a déjà donné The Witcher 3, est inspiré du jeu de rôle Cyberpunk 2020, sorti lui en 1990. Keanu Reeves, apparu dans la bande-annonce du jeu, est déjà devenu en mème en ligne, obnubilant internet pendant plus d’une semaine entière, ce qui relève de l’exploit.

Ce jeu de rôle et le jeu vidéo qui en découle correspondent parfaitement aux canons du genre cyberpunk, dont ils portent le nom. Dans un futur presque apocalyptique, l’humanité en sursis se modifie et s’augmente par le truchement d’une technologie transhumaniste, largement dispensée par des mégacorporations de plus en plus riches et totalitaires. Cette vision pessimiste du futur dépeint des problèmes tels que la pollution, la violence endémiquele décalage qui s’accentue entre classes dirigeantes et piétaille, ou la surpopulation dans des métropoles de plus en plus bondées. 

La technologie y avance plus vite que la réflexion autour de ces augmentations, et on fait changer ses yeux comme on achèterait un nouveau portable. 

Tous les univers cyberpunks sont gangrenés par l’ultra violence, et les notions aussi humanistes que les droits de l’homme ou les droits en général n’ont pas lieu de cité. Ces univers incarnent la lutte pour la survie dans une ambiance désenchantée, sans religion ni même la perspective d’un futur meilleur grâce à la science, qui n’a rien apporté de bon pour l’homme (ou le cyborg) de la rue.

L’esthétique de la laideur

Pour vous donner une idée de l’environnement esthétique, il faut vous référer à des œuvres bien connues qui ont su parfaitement dépeindre l’ambiance régnant dans ces dystopies pas si futuristes que ça : les films Blade Runner, Total Recall, plus récemment la série Altered Carbon ou le manga Akira.

Dans tous les cas, l’adaptation visuelle de ce genre, que ce soit au cinéma ou dans les jeux vidéo s’est toujours assortie d’une attention extrême à l’esthétisme. Ne risque-t-on pas d’en arriver à rechercher inconsciemment ce type de société dysfonctionnelle par volonté de développer l’esthétique afférente ? La laideur de la société contraste avec les visuels époustouflants dont nous gratifie le genre cyberpunk et ses adaptations. 

Blade Runner ou le futur sous la pluie et la brume de pollution

 Le genre en lui-même amène une réflexion profonde sur les peurs de notre époque, comme un facteur de réflexion à l’échelle d’une société. Après tout, chaque temps véhicule ses peurs latentes et des dérives qui peuvent devenir réellement impactantes si on les laisse prendre trop d’ampleur. 

L’univers prometteur

Le jeu cyberpunk 2077 brosse le portrait d’une société dans laquelle tout est permis, et, plus extrême encore, peu de choses sont impossibles. Changer de sexe ? La routine. Pirater à distance les implants bioniques de ses adversaires ? Classique. Il existe juste une petite contrepartie : la cyberpsychose. À trop se faire implanter et modifier, on devient paranoïaque et violent. Le héros que vous incarnez, V, et celui incarné par Keanu Reeves, Johny Silverhand, vont tout tenter pour faire tomber les Mégacorps qui ont la main sur Night City, la ville où se déroule l’intrigue, et qui profitent de ces modifications que s’appliquent les habitants.

De quoi susciter des problématiques lourdesdes questionnements profonds sur notre société et des remises en cause sur certaines de nos visions parfois angéliques du progrès pour le progrès.

Mais tout ceci ne compte pas vraiment. Il fallait que le Camp du Bien vienne illuminer ce débat passionnant pour notre avenir proche de l’une de leurs dernières trouvailles.

Polémique autour d’une femme transgenre

La polémique a débuté autour d’une affiche de publicité présente dans les screenshots sortis du jeu. L’une des publicités faisant la promotion d’une boisson aux multiples goûts met en scène une femme transgenre. Comme tout ce qui s’affiche sur une publicité, et de surcroît comme beaucoup de personnes dans cet univers, la femme transgenre est ultra sexualisée. Mais voilà qui n’a pas plu aux défenseurs de la Vertu moderne : il ne suffit pas de banaliser le transgenrisme, il faut le faire d’une certaine manière qui leur convient.

Le sujet du crime

Alors même que le jeu vous permet de changer de sexe et que cet acte n’a aucune incidence sur la manière de jouer, les parangons de bienpensance trouvent toujours un motif pour appeler à l’entassement de bois vert en vue du bûcher. Pensons bien que s’il n’y avait pas eu de personne transgenre représentée, la polémique aurait été au moins aussi conséquente.

La créatrice de cette image publicitaire, Kasia Redesiuk, s’est exprimée sur le sujet : « Personnellement, pour moi, cette personne est sexy. J’aime l’apparence de cette personne. Cependant, ce modèle est utilisé – leur beau corps est utilisé – à des fins corporatives. Il est affiché comme un objet, et c’est le plus terrible.« 

Puis elle poursuit en explicitant que justement, cette hyper-sexualisation est afférente à l’univers cyberpunk et permet de banaliser justement le transgenrisme : « Cyberpunk 2077 une dystopie où les mégacorporations dictent tout. Elles tentent d’influencer la vie des gens. Elles créent ces publicités très agressives qui utilisent et abusent des besoins et instincts de nombreuses personnes. L’hyper-sexualisation est donc omniprésente, et dans nos publicités, il existe de nombreux exemples de femmes hyper-sexualisées, d’hommes hyper-sexualisés et de personnes hyper-sexualisées. »

« Tout cela pour montrer que l’hyper-sexualisation dans les publicités est tout simplement terrible. C’était un choix conscient de notre part. »

On assiste bien à une dénonciation des pratiques des grands groupes publicitaires, mais la Team Progrès a fait une alliance tacite avec la Team Premier Degré et a trouvé le moyen de s’offusquer de cette prise de position. Sans doute inconsciemment à travers leur grille de lecture idéologique, le Camp du Bien nous empêche d’avoir accès aux thématiques profondes et réelles que nous propose le jeu Cyberpunk 2077.

La création, la fiction et la réalité

La deuxième polémique ayant agité le jeu est venue par un certain Matt Cox, rédacteur au très connu Rock Paper Shotgun, un célèbre site chroniquant les sorties de jeux PC. Matt Cox, ayant manifestement beaucoup trop de temps libre, a étudié avec soin la dernière démo jouable à laquelle il a pu participer. Il décrit sa répulsion devant le nom d’un gang, appelé les Animaux, et le décrit comme raciste de par ce nom et le fait qu’il contienne certaines personnes de couleur… Et qu’il arrive que l’on doive en abattre car ce sont des antagonistes dans le jeu. 

Quelle est la part de réalité à laquelle une fiction ne peut déroger ? Le genre cyberpunk ne peut se détacher d’une part de lien avec la réalité, puisqu’il est censé décrire notre futur. Mais la réalité à laquelle il doit fidélité est surtout la sienne : le soucis de cohérence interne de l’univers est encore plus important que ses attaches avec notre monde moderne. Aussi, y importer nos propres problématiques toutes entières est incorrect et ne nous permet pas d’analyser l’univers en question. 

En tous cas, le créateur du jeu original, Mike Pondsmith, un afro américain lui-même, a tranché la question : « Concernant le gang des Animaux, le truc c’est qu’ils s’imaginent être des ANIMAUX PUISSANTS, DANGEREUX, ET SAUVAGES. Je pensais que le nom de « Lady Sasquatch » [de la cheffe de gang] aurait donné une indication. P*****, pour qui vous prenez-vous pour ME dire si ma création est bien adaptée ou non ? »

Mike Pondsmith, ce suprématiste du blantriarcat

Voilà qui devrait, espérons-le, clore le débat pour un petit moment.

Non aux faux débats

Le cyberpunk en général et le jeu de CD Projekt en particulier, sont vecteurs de problématiques passionnantes et profondes, et nous devons refuser que des inquisiteurs viennent nous polluer des questionnements pour savoir si oui ou non la femme avec un pénis sur une affiche de publicité est bien mise en valeur selon leurs canons ou non.

Le genre cyberpunk est un appel à prendre garde aux dérives et tendances lourdes de la société. Mais il semble falloir remettre quelques pendules à l’heure.

Car tout ce qui est dit ou fait dans une fiction cyberpunk n’est pas forcément un message. A vouloir décortiquer jusqu’à la moelle chaque pixel que nous propose le jeu cyberpunk, à tout lire selon une grille de lecture actuelle et unique, on se ferme à toutes les problématiques que veut apporter le jeu et son histoire.

Les nouveaux Inquisiteurs

Pire, à s’offusquer de ce qu’on croit lire entre les lignes, on se transforme et personne de doctrine et on quitte le champ du débat d’idées. « Donnez moi six lignes de la main du plus honnête des hommes, disait le Cardinal Richelieu, et je trouverai de quoi le faire pendre ». On pourra toujours trouver motif à condamner ou s’insurger lorsque l’on répond à ce que l’on croit être un impératif moral. 

Aujourd’hui, lorsque l’on fait de la création visuelle (oui, le Camp du Bien critique plutôt les visuels que les livres, plus embêtants à cause de toutes ces petites lettres), il faut avoir le cœur bien accroché et être prêt à répondre à toutes les accusations de blasphèmes.

Ou envoyer valser cette nouvelle religion et tous ses Inquisiteurs de malheur. En attendant, nous avons des questions à nous poser : le cyberpunk est-il notre futur annoncé, ou pouvons-nous changer le cours des choses – et comment ?

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Dern. Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur (son site)

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