Publié par Magali Marc le 9 juillet 2019

Il est normal que les candidats à la présidence se présentent aux primaires comme étant à gauche pour plaire à leurs bases progressistes. Mais lors de l’élection générale, le candidat choisi se déplace au centre pour attirer les électeurs indépendants ou centristes. Les électeurs acceptent ce scénario tant qu’un candidat n’était pas allé trop loin dans les primaires et n’a pas endossé des positions trop éloignées du courant dominant.

Un bon exemple de ce stratagème réussi est la campagne de Barack Obama en 2008. Aux primaires contre Hillary Clinton, Obama s’est placé à sa gauche. Mais il a quand même fait attention de ne pas aller trop à gauche. De cette façon, il était toujours en mesure de virer au centre contre John McCain à l’élection générale.

Lors de l’élection générale, Obama a rejeté l’idée du mariage homosexuel. Il a vertement critiqué l’immigration illégale. Il s’est prononcé contre les dépenses déficitaires. Résultat : il a été élu.

Dès son arrivée au pouvoir, il a cyniquement viré sa cuti et appuyé le mariage homosexuel, fait couler beaucoup plus d’encre rouge que GW Bush, a offert des amnisties générales aux immigrants illégaux et a assoupli l’application des lois sur l’immigration.

Pourtant, la génération actuelle de candidats démocrates en lice pour les primaires semble avoir complètement oublié ce scénario. Presque tous se placent actuellement tellement à gauche que le candidat gagnant ne pourra jamais paraître modéré. Les Américains ont-ils tellement glissé à gauche qu’ils ne verront pas la différence?

Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit l’article de Gerald Jakubovics, paru le 30 juin sur le site de Hamodia*.


L’Amérique est-elle en train de glisser vers le socialisme ?

Il n’y a pas si longtemps, apporter son soutien à des politiques issues du « socialisme démocratique» revenait à se suicider politiquement. Que s’est-il passé ?

Le 2 mars 2019, un politicien est retourné dans sa ville natale pour lancer son premier rassemblement de campagne pour la course à la présidence de 2020, et n’a pas perdu de temps pour rappeler ses origines. « Vous méritez de savoir d’où je viens », a-t-il dit au groupe de personnes d’origines diverses du Brooklyn College. « Je n’avais pas de père qui m’ait donné des millions de dollars pour construire des gratte-ciel de luxe, des casinos et des country clubs. Le fait de vivre dans une famille qui a lutté économiquement a fortement influencé ma vie et mes valeurs.»

Ainsi commença la campagne présidentielle du sénateur Bernie Sanders, un indépendant membre du caucus démocrate. La plate-forme de Sanders fait la promotion du «Medicare for all», un système où chaque Américain reçoit des soins de santé gratuits, payés par le gouvernement. Il insiste également pour qu’il n’y ait pas de frais de scolarité de premier cycle ni de frais de scolarité dans les collèges et universités publics. Et il appuie une version d’un plan appelé « Green New Deal », un projet de loi proposé en février de cette année par Alexandria Ocasio-Cortez, représentante de New York, et Edward Markey, sénateur du Massachusetts, qui entraînerait une réforme radicale de l’économie américaine, dans le but d’éliminer les émissions de gaz à effet de serre, que certains croient responsables des changements climatiques.

Le coût combiné de ces programmes s’élève à des milliards de dollars. D’où viendrait tout l’argent pour les financer ? Simple, explique Sanders, lui-même millionnaire : des frais de scolarité universitaires gratuits sont possibles en augmentant les taxes sur toutes les transactions d’actions et d’obligations. Quant aux autres politiques coûteuses qu’il soutient, leur financement est simple aux yeux de Sanders. En février dernier, lors d’une assemblée publique de CNN, il a décrit l’inégalité des revenus en Amérique et a conclu en disant : « Vais-je exiger que les riches et les grandes entreprises commencent à payer leur juste part d’impôts ? Bien sûr que je le ferai. »

Le socialisme démocratique se généralise-t-il?

Il n’y a pas si longtemps, approuver les politiques du « socialisme démocratique » que Sanders et d’autres militants pour l’investiture du parti Démocrate dans la campagne de 2020 défendent fièrement aurait été un suicide politique. Mais est-ce toujours le cas ? Depuis les élections de 2016, ces politiques sont devenues plus acceptables et même à la mode dans certains milieux. En fait, ces idées socialistes sont devenues un courant dominant parmi tant d’autres. Les opinions de Sanders en particulier et le socialisme en général semblent gagner du terrain dans la population en général.

Examinons les résultats des plus récents sondages :

  • Selon un sondage Harris, rapporté par CNS news, les milléniaux et la génération Z étaient plus susceptibles que la moyenne nationale d’être d’accord avec l’affirmation selon laquelle ils « préféreraient vivre dans un pays socialiste » ;
  • Plus des deux tiers des jeunes veulent que le gouvernement rendent les collèges accessibles sans frais de scolarité ;
  • Près des trois quarts des gens de 38 ans et moins croient que le gouvernement devrait fournir des soins de santé universels ;
  • Plus de quatre Américains sur dix adhèrent à au moins une forme de socialisme.

Cette large acceptation d’une «certaine forme de socialisme» est un phénomène nouveau. Pendant des décennies, aux États-Unis, le terme « socialisme » véhiculait beaucoup d’éléments négatifs : il était associé à des régimes brutaux et répressifs dans les pays socialistes ou communistes, dont l’Union soviétique, Cuba, l’Allemagne de l’Est, la Corée du Nord, le Vietnam, le Venezuela et la Chine. L’Espagne et la Grèce ont expérimenté cette idéologie et ont connu des turbulences économiques, telles que la restructuration de la dette de l’UE en 2010 et le resserrement de ceinture qui en a résulté.

Le président Trump a fait référence aux échecs économiques et politiques du socialisme dans son discours sur l’état de l’Union de cette année, lorsqu’il a condamné le régime Maduro au Venezuela, déclarant que « ses politiques socialistes ont fait de ce pays, qui était le plus riche en Amérique du Sud, un état où règnent la pauvreté et le désespoir ».

Beaucoup de gens partagent son opinion, mais apparemment pas autant que par le passé. Un nombre croissant d’Américains, les jeunes en particulier, considèrent le socialisme non pas comme un problème, mais comme une solution.

Pourquoi ce revirement ?

Les États-Unis sont l’un des pays qui ont un système de gouvernement capitaliste. Qu’est-ce que ça veut dire ? Cela signifie que des particuliers ou des entreprises produisent des biens et des services et possèdent les moyens de le faire. Ce qui est produit et combien coûtent les articles dépendent de ce que les gens veulent acheter et de la quantité disponible de ces biens ou services.

Ce n’est pas un système parfait ; il peut conduire à un déséquilibre de la richesse, et il peut conduire à un mauvais traitement des travailleurs, sans parler du problème des monopoles qui éliminent les petits concurrents.
Pourtant, malgré ses imperfections, le capitalisme a relevé le niveau de vie de milliards de personnes dans le monde. Il a financé le développement et la mise en œuvre de nouvelles technologies et a financé des techniques agricoles améliorées qui sont maintenant utilisées pour nourrir ces milliards, pour ne citer que quelques exemples.

Comment se fait-il alors qu’en Amérique, qui est toujours le centre du capitalisme, il y ait un glissement en faveur d’une idéologie qui a échoué à plusieurs reprises dans les pays où elle a été essayée ? Pourquoi les personnes issues de ménages aisés soutiennent-elles des impôts nettement plus élevés ?

L’économie, les privilèges et la dette font tous partie des réponses à ces questions. « C’est la classe privilégiée des banlieues qui défend le socialisme, et non les gens qui ont grandi dans les centres-villes ou les immigrants », explique le professeur Alan Mond, directeur adjoint du département de science politique au Lander College of Arts & Sciences. Cette génération préfère le socialisme non pas parce qu’elle se sent coupable d’avoir grandi un milieu privilégié, mais parce qu’elle se préoccupe de l’inégalité économique – la sienne.

Contrairement à leurs prédécesseurs, les jeunes nés à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle ne peuvent espérer obtenir de meilleurs emplois que leurs parents, acheter de meilleures maisons et être plus prospères qu’eux, explique le professeur Mond. Ils considèrent comme fondamentalement injuste le fait de ne pas pouvoir acheter des articles que d’autres achètent. Ils demandent à la société, sur un ton exigeant, pourquoi ne pouvons-nous pas faire les mêmes choses que nos parents ? Et lorsque le sénateur Sanders ou d’autres politiciens réclament des politiques telles que l’annulation de la dette pour les prêts étudiants et la gratuité des frais de scolarité dans les collèges, ils touchent à une corde sensible de ces jeunes… Le socialisme qu’ils soutiennent n’est pas une vision idéaliste en accord avec des penseurs éminents, mais une vision opportuniste. « J’appelle ça le socialisme du tout-est-gratuit », ajoute le professeur Mond.

Quelle que soit l’étiquette, le matérialisme croissant, le « besoin » d’acheter des téléphones intelligents à 1 000 $, les derniers ordinateurs portables, et le fait de prendre des vacances coûteuses ajoutent aux pressions financières que vit ce groupe. Avec des revenus limités et un budget serré pour payer le loyer, les prêts étudiants et les dépenses quotidiennes, ils ne peuvent tout simplement pas se permettre ces articles de luxe et, par conséquent, certains d’entre eux sont attirés par le « socialisme ».

Comprendre les sondages

Par contre, le professeur David Luchins, président du département de science politique du Collège Touro, voit ces tendances différemment. « Le socialisme n’est pas vraiment en train de devenir si populaire en ce moment », dit-il. « Ce terme est devenu une arme. »

Pour des raisons politiques, explique-t-il, les gauchistes sont dépeints comme des socialistes, mais les étiquettes injustes vont dans les deux sens, les Républicains et les conservateurs sont qualifiés de fascistes et de racistes ; ce faisant, on exagère le nombre de ceux qui croient réellement au socialisme.

Lors des dernières élections, 62 nouveaux Démocrates ont été élus au Congrès ; 59 d’entre eux soutiennent l’aide à Israël et ne s’en sont pas pris à l’AIPAC (un lobby pro-Israël) ; trois autres ont pris le chemin inverse. Cependant, la droite accorde beaucoup d’attention à ces trois-là et prétend que tous les Démocrates sont contre Israël. (NdT : les trois antisémites n’ont pas été dénoncées par les 59 supposément pro-Israël)

Selon le professeur Luchins, les sondages récents ne rendent pas compte des véritables sentiments des gens, de sorte que la popularité croissante, en apparence, du socialisme est surfaite.

Cela explique en partie pourquoi Sanders a obtenu des millions de voix à partir d’un programme d’idées socialistes en 2015-2016, et pourquoi beaucoup de ces mêmes électeurs ont ensuite soutenu Donald Trump en 2016. Ils n’étaient pas vraiment socialistes, mais ils se sentaient aliénés – trahis par les élites – et Trump a pu tirer parti de ces sentiments.

Des sondages récents ont révélé que les gens qui détestent ou désapprouvent fortement le président Trump se disent socialistes ; leur soutien au sénateur Sanders l’a bien placé en tête au début de la course. Toutefois, le lendemain de l’annonce de la candidature de l’ancien vice-président Joe Biden, le soutien à Sanders est passé de 27 % à 12 %.
« Beaucoup de ces partisans n’étaient pas vraiment socialistes », explique le professeur Luchins. « Ils voulaient juste un moyen de vaincre Trump.»

Le socialisme dans le tissu de la vie américaine

Au fil des ans, des Américains de tous les horizons et de toutes les régions géographiques ont bénéficié d’idées et de politiques issues du socialisme. Parmi les partisans socialistes, il y a eu beaucoup de Juifs. « Notre pays a adopté certains aspects de la philosophie socialiste, dit le professeur Luchins, et les Juifs ont été les plus ardents défenseurs du socialisme dans ce pays. Ces politiques ont toujours eu une grande proportion de partisans juifs et ont toujours été populaires parmi les Juifs

Au début des années 1900, il y avait un certain intérêt pour le socialisme en Amérique. L’activiste politique Eugene V. Debs s’est présenté cinq fois comme candidat socialiste à la présidence. (Cependant, il n’a jamais obtenu plus de six pour cent des voix, et même une seule fois. Dans tout le pays, il n’y avait qu’un seul district où il obtenait une majorité – le Lower East Side, qui à l’époque était presque entièrement juif. )

Considérez ce qui suit : Le mouvement ouvrier lui-même était une forme de socialisme, de même que nombre des idées qu’il soutenait, y compris certaines que nous tenons pour acquises aujourd’hui comme la sécurité sociale. Les bons d’alimentation, la section 8 (aide au logement) et les bons scolaires s’alignent également sur la philosophie socialiste.

Le président Harry S. Truman, perçu comme un homme politique pragmatique et centriste, a déclaré dans un discours prononcé en 1952 : « Le socialisme est l’épithète [que les Républicains] ont lancé à chaque progrès que le peuple a fait au cours des 20 dernières années. Maintenant, écoutez ça : Le socialisme est ce qu’ils appellent la puissance publique. Le socialisme est ce qu’ils appellent la sécurité sociale. Le socialisme est ce qu’ils appellent le soutien des prix agricoles. Le socialisme est ce qu’ils appellent l’assurance des dépôts bancaires. Le socialisme est ce qu’ils appellent la croissance d’organisations syndicales libres et indépendantes. Le socialisme est leur nom pour tout ce qui aide l’ensemble de la population. »

Une autre icône de la politique américaine, l’ancien sénateur new-yorkais Pat Moynihan, avait l’habitude de dire que la chose la plus socialiste en Amérique est l’école publique ; il les appelait les écoles gouvernementales.
Le vice-président de LBJ, Hubert Humphrey, a déclaré au sujet du candidat du Parti socialiste Norman Thomas, qui s’est présenté six fois à la présidence, qu’il était mort le cœur brisé parce que les deux grands partis avaient volé son programme.

Les problèmes du socialisme

Les Américains veulent peut-être des politiques socialistes, ils ne veulent pas des mesures extrêmes prises au nom du socialisme. Lee Edwards a écrit pour la Heritage Foundation en 2018 : « Est-ce que sept pour cent des milléniaux déclareraient leur volonté de vivre sous le régime[du socialisme] s’ils connaissaient les coûts réels[…] tels qu’ils ont été pratiqués dans quelque 40 nations au cours du siècle dernier – le refus de la liberté d’expression, d’une presse libre, de réunions libres, l’emprisonnement et l’exécution des dissidents, pas d’élection libre, pas de justice indépendante ou de règle du droit, …la dictature en toutes choses et en toutes occasions ? »

Le professeur Mond note que « Le sénateur Sanders parle d’élever le niveau de vie des gens – il en est devenu le champion. Traditionnellement, les Américains l’ont fait en créant de bons emplois, pas en augmentant les salaires des emplois marginaux. L’innovation nécessaire à notre époque ne vient pas d’une société socialiste, parce que le socialisme en tant que système de valeurs réduit ou minimise la concurrence. »

Dans un tel environnement, rien n’inciterait un Michael Dell à s’asseoir dans son garage et à construire un ordinateur, ni Bill Gates à développer Windows, car ils ne seraient pas récompensés pour leurs efforts. « L’ultime défaut du socialisme et du communisme est qu’il ne reconnaît pas l’esprit de compétition et l’importance de la compétition comme facteur de motivation du comportement humain », ajoute le professeur Mond.

Pour une raison ou une autre, les socialistes laissent de côté cette logique.

Le sénateur Sanders fait la promotion d’une « Charte des droits économiques », à savoir que c’est le droit fondamental d’une personne d’avoir un emploi rémunéré, des soins de santé de qualité, une éducation complète, un logement abordable, un environnement propre et une retraite sûre – tout, peu importe ce qu’elle produit. Curieusement, Hugo Chavez avait fait les mêmes promesses aux Vénézuéliens. Et ça c’est mal terminé.

Que Sanders devienne le candidat Démocrate ou non, le président Trump utilisera très probablement ses propositions et d’autres semblables pour montrer que les Démocrates sont trop à gauche pour les Américains ordinaires.

« Nous ne sommes pas plus proches du socialisme aujourd’hui que nous l’avons été au cours du dernier demi-siècle », dit le professeur Luchins.
Pour ceux qui se sentent mal à l’aise devant les résultats des derniers sondages, ces mots sont rassurants.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Traduction de Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.

*Hamodia est un journal quotidien en langue hébraïque publié à Jérusalem, en Israël. Une édition quotidienne en anglais est également publiée aux États-Unis, ainsi que des éditions hebdomadaires en anglais en Angleterre et en Israël.

Sources:

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