Publié par Magali Marc le 23 juillet 2019

Le matin du 18 juillet 1994, à Buenos Aires, une bombe pulvérisait un bâtiment abritant plusieurs associations juives, dont l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA). Cet attentat, avec un bilan de 85 morts et 300 blessés, est le plus meurtrier de l’histoire du pays, mais il n’a jamais été revendiqué ni élucidé.

Contrairement à l’Administration Obama qui ménageait les mollahs en vue d’aboutir à un accord sur le nucléaire, Mike Pompeo, le Secrétaire d’État des États-Unis, ne s’est pas gêné pour nommer les responsables : les victimes de l’attentat « ont été assassinées par des membres du groupe terroriste du Hezbollah, soutenus par l’Iran », a-t-il déclaré, après avoir allumé une chandelle aux côtés du président de l’AMIA, Ariel Eichbaum. Ce dernier a demandé à la communauté internationale « de l’aide à retrouver les responsables et les traîner devant la justice ».

Mike Pompeo, a affirmé que cet attentat n’était pas « seulement une attaque contre la communauté juive d’Argentine mais contre la démocratie, la liberté et la société argentine ».

Sanctions contre le cerveau présumé de l’attaque, récompense pour sa capture, déplacement à Buenos Aires de Mike Pompeo : Washington a multiplié les signes de soutien à l’Argentine à l’occasion du 25e anniversaire de l’attentat contre les institutions juives (selon Times of Israël).

« Nous n’avons pas oublié et nous n’oublierons jamais », a déclaré le chef de la diplomatie américaine vendredi matin (19 juillet) devant le bâtiment de l’AMIA, reconstruit au même endroit, dans le quartier Once de la capitale argentine.

Le même jour, les États-Unis ont annoncé des sanctions contre un responsable du mouvement terroriste chiite libanais du Hezbollah soupçonné d’avoir coordonné cet attentat à la bombe.

Les lecteurs fidèles de Dreuz, se souviendront des articles que j’ai écrit ou traduit notamment à l’occasion de la mort en janvier 2015 d’Alberto Nisman, le nouveau procureur chargé du dossier depuis 2006.

Pour rappel :

En fait, l’enquête sur cet attentat est toujours en cours, a souffert de nombreuses irrégularités et a conduit à l’inculpation de plusieurs policiers argentins.

En 2006, Alberto Nisman accusait formellement le gouvernement iranien d’être le commanditaire de l’attentat, et le Hezbollah d’en être l’auteur. Un mandat d’arrêt international fut alors réclamé à l’encontre de plusieurs hauts responsables iraniens, dont l’ancien président Hachemi Rafsandjani.

Le procureur Alberto Nisman accusait également l’ancien président argentin, Carlos Menem, et ses collaborateurs de l’époque d’avoir subtilisé des preuves afin de mettre hors de cause un entrepreneur argentino-syrien soupçonné d’avoir participé à la planification de l’opération.

Alberto Nisman fut retrouvé mort en janvier 2015 à son domicile dans des conditions mystérieuses. Quatre jours avant son décès, il avait incriminé l’ancienne présidente argentine, Cristina Kirchner, estimant qu’elle avait favorisé l’impunité de suspects iraniens.

Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit l’article de Sharon Nazarian*, paru le 15 juillet dans le Jewish Telegraphic Agency**


Les Juifs d’Amérique latine n’ont toujours pas obtenu justice 25 ans après le massacre de l’AMIA

Dans tout crime contre une communauté, certaines choses doivent arriver pour assurer une certaine mesure de guérison et de rédemption.
Mais à l’approche du 25e anniversaire de l’horrible attentat à la bombe perpétré contre le centre juif AMIA à Buenos Aires, en Argentine, ces mesures nécessaires n’ont pas été prises.

Malgré des années d’activité et de rhétorique, justice n’a pas été rendue pour les victimes, leurs familles et les Juifs d’Amérique latine – 85 personnes ont été tuées et 300 blessées. Les Argentins ne se sont pas unis en solidarité avec la communauté juive, et le gouvernement n’a pas donné l’assurance qu’un événement aussi dévastateur ne se reproduira jamais.
En raison de cette réalité, on a le sentiment, toutes ces années plus tard, de revivre constamment cette terreur plutôt que de tourner la page.

Dès le début, il est devenu évident que l’Iran, par l’intermédiaire de son mandataire terroriste, le Hezbollah, était responsable de l’attentat.
Le Hezbollah a été actif à la frontière anarchique entre l’Argentine, le Paraguay et le Brésil, connue sous le nom de Triple Frontière.

Interpol a clairement indiqué qu’il soupçonnait les hauts responsables du régime iranien d’être à l’origine du complot. En 2007, des alertes rouges ont été lancées contre l’ancien Ministre des affaires étrangères Ahmad Vahidi et d’autres responsables iraniens. Malheureusement, Interpol n’a pas émis d’alertes similaires pour d’anciens fonctionnaires comme Ali Rafsanjani, Ali Akbar Velayati et Hadi Soleimanpour, l’ancien ambassadeur iranien en Argentine.

Pendant ce temps, différents gouvernements et systèmes judiciaires argentins ont mal géré ou politisé la question et n’ont jamais vraiment fait le suivi pour traduire les responsables en justice.

L’enquête a touché le fond sous la présidence de Cristina Fernandez de Kirchner entre 2007 et 2013.

Un procureur spécial, Alberto Nisman, a été nommé et, selon certaines informations, il aurait trouvé Mme Kirchner et d’autres membres de son gouvernement coupables de complicité avec les Iraniens fin d’occulter leur rôle dans l’attentat. La veille du jour où Nisman devait publier ses conclusions, il a été retrouvé mort dans son appartement.

Le gouvernement de Mme Kirchner a rapidement prétendu qu’il s’agissait d’un suicide, mais il est vite devenu évident que Nisman avait été assassiné. Nisman est devenu la «86e victime» de l’attaque de l’AMIA. Sa mort a été tragique non seulement parce que le monde a perdu un procureur dévoué, mais aussi parce que certaines des conclusions les plus profondes et les plus complexes de l’affaire ont été enterrées avec lui.

Malgré tout, il y a eu quelques progrès, y compris de la part de l’Administration actuelle du président Mauricio Macri.

En juillet 2018, le juge fédéral argentin Rodolfo Canicoba Corral a demandé l’arrestation et l’extradition de Velayati de Russie et de Chine lors de sa visite dans ces pays. Velayati, un conseiller du chef suprême de l’Iran, a été impliqué dans l’attentat à la bombe alors qu’il était ministre des Affaires étrangères.

Le même mois, l’Unité argentine d’information financière a ordonné le gel des avoirs des financiers du Hezbollah dans la Triple Frontière, le lieu d’où l’attaque aurait pris naissance.

Pour aider à prévenir de futurs attentats, le gouvernement argentin devrait qualifier le Hezbollah d’organisation terroriste – une mesure qui pourrait être prise sous peu***. Avec l’appui du gouvernement américain, l’Argentine peut devenir un chef de file régional dans la lutte contre les activités terroristes et criminelles en Amérique latine.

Outre cette évolution positive des efforts déployés pour traduire les auteurs en justice, une lueur d’espoir est apparue quant à l’impact collectif de l’attaque sur la société argentine.

Au début, l’attentat à la bombe de l’AMIA n’était considéré que comme une attaque contre les Juifs. Les victimes non-juives, nombreuses, étaient perçues comme «innocentes». Cette approche a non seulement séparé les Juifs du reste de la société, mais a également impliqué que d’une manière ou d’une autre l’activité juive ou israélienne pourrait avoir été la cause de l’attentat.

Alors qu’il a fallu de nombreuses années aux autorités pour prendre une position claire et appropriée sur ces questions, on s’efforce aujourd’hui de faire de l’attentat à la bombe de l’AMIA un symbole de douleur pour tous les Argentins.

Il est encourageant de voir que le gouvernement argentin actuel fait un effort au niveau mondial afin de commémorer l’attentat dans de nombreux consulats et ambassades à travers le monde.

L’Anti-Defamation League (la Ligue contre la diffamation) participe à des cérémonies organisées par des groupes juifs en partenariat avec le gouvernement argentin à New York, Chicago, Miami, Washington et Los Angeles, et le bureau israélien de l’ADL s’est associé au Diaspora Museum pour commémorer cette tragique attaque par une cérémonie du souvenir.
Une exposition de photos itinérante commanditée par le gouvernement a récemment été dévoilée à New York, où l’on a pu voir des photos vivantes de ce jour fatidique, juxtaposées à des portraits contemporains des familles survivantes.

L’Argentine souffre de certaines des mêmes tendances antisémites croissantes que celles que l’on observe actuellement dans le monde, et bien qu’il y ait eu de nombreux faux pas dans l’enquête, il est évident que l’Administration Macri s’est engagée à combattre l’antisémitisme.

En cet anniversaire, l’importance de ne pas oublier a plus de sens potentiellement si ces mesures positives deviennent une partie permanente de l’approche argentine à cette tragédie. L’Argentine doit continuer à accroître ses efforts.

* Sharon Nazarian est la directrice des affaires internationales de l’Anti-Defamation League.
**La Jewish Telegraphic Agency est une agence de presse internationale qui dessert les journaux et les médias de la communauté juive du monde entier.
*** A l’occasion du 25ème anniversaire de l’attentat de l’AMIA, les autorités argentines ont annoncé qu’elles désignent le groupe armé libanais Hezbollah comme une organisation terroriste. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, qui a fait pression en faveur de cette mesure avec le premier ministre Benjamin Netanyahu, était en Argentine le 19 juillet dernier.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Traduction de Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.

Sources :

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