Publié par Gaia - Dreuz le 3 juillet 2019
La colonie allemande de Sarona

Source : Contrecourant

« La condition précise de notre collaboration avec l’Allemagne était l’entière liberté pour éliminer les Juifs, jusqu’au dernier, de la Palestine et du monde arabe. J’ai demandé à Hitler son accord explicite pour nous autoriser à résoudre le problème juif d’une façon bénéfique à nos aspirations raciales et nationales et conforme aux méthodes scientifiques que l’Allemagne a inventées pour s’occuper de ses Juifs. La réponse que je reçus fut : les Juifs sont à vous. »

Amin al Husseini, Mémoires. Rencontre avec Hitler du 28 novembre 1941.

« Nous admirions les Nazis. Nous étions immergés dans la littérature et les livres nazis. Nous fûmes les premiers à envisager de traduire Mein Kampf [en arabe]. Quiconque a vécu à Damas à cette époque était témoin de l’engouement arabe pour le nazisme. »

Sami al Jundi, fondateur du Parti Ba’ath syrien.

Une réalité historique négligée par la critique

Évoquer la participation arabo-musulmane au national-socialisme, ainsi que la permanence entre « résistance antisioniste » et mouvements nazis et néonazis, c’est mettre au jour un facteur essentiel, bien que généralement occulté (l’accès à des archives dispersées rend la recherche complexe et fastidieuse), de la perpétuation des conflits du Proche-Orient.

Le lien de parenté idéologique et de continuité logistique entre le national-socialisme et l’islam militant remontre aux années 1930 et se poursuit jusqu’à nos jours. Si le nationalisme arabe ne se réduit pas à sa composante fascisante, cette dernière représentent cependant un élément fondamental pour comprendre la guerre interne à l’islam, qui s’incarne tant dans la guerre de l’islamisme contre l’occident, que dans la diffusion à grande échelle des thèses antisémites dans le sillage des méthodes de propagande nazies.

Quelles ont été les conditions d’introduction, de diffusion et d’amplification des thèses fascistes et nazies dans le monde arabo-musulman ? Par quel biais l’antijudaïsme traditionnel dans l’islam – coextensif de la dhimmitude – a-t-il adopté les théories conspirationnistes de l’antisémitisme européen ?

Il ne s’agit pas d’un phénomène marginal, confiné à quelques mouvements radicaux isolés. Dès 1933, le parti Jeune-Egypte avait fondé sur le modèle du NSDAP une unité de combat réunie sous le solgan « un peuple, un parti, un guide ». Parmi ces derniers, on comptait Gamal Abdel Nasser, ainsi que son frère qui traduisit en arabe Mein Kampf… Et lors de l’accession au pouvoir des « officiers libres », Nasser recruta un nombre conséquent de fugitifs nazis, anciens officiers SS, qui furent en charge de la mise en place de la police politique, du système pénitentiaire, et surtout de la propagande « antisioniste ».

La perception d’une « trahison » des puissances libérales d’Europe de l’Ouest, incarnée tant par le Traité de Versailles et le Traité de Sèvres, que par la « nakba » de 1920 et la fin du rêve d’un retour à un grand royaume arabe, a permis au discours et aux méthodes du Troisième Reich de se greffer sur les thématiques de la « restauration » de « l’unité » et de la « fierté » collective arabes.

De même, la contestation de la liberté individuelle et de la modernité par le totalitarisme allemand, au profit de mouvements de masse (le Volk et l’umma), ou encore l’accomplissement collectif dans le combat eschatologique contre un judaïsme fantasmé (suprématie de la race ou de la religion, et avènement de la fin des temps par le génocide juif) ont servi de catalyseur à une symbiose idéologique et une collaboration qui ne s’est pas démentie depuis les années 1930.

L’exemple palestinien montre que l’apport multiple du national-socialisme n’est pas seulement anecdotique ou symbolique, mais, au contraire, primordial dans la fondation des mouvements de masse nationalistes arabes. Si les ferments en ont été posés par des élites arabes urbaines sur le modèle occidental-libéral jusqu’aux années 1920, les principales factions arabes qui vont prendre la relève – et incarner jusqu’à aujourd’hui la revendication anti-israélienne et judéophobe – sont issues des mouvements idéologiquement parents du nazisme.

Ce sont ces mouvements violents qui ont obtenu une reconnaissance internationale, les partis légalistes étant systématiquement éliminés, et le recours au terrorisme assurant par le chantage la reconnaissance politique.

Ainsi, le Hamas s’inscrit plus particulièrement dans la continuité de la « Société des frères musulmans », fondée par un fervent partisan de l’Allemagne nazie, Hassan al Banna, tandis que le Fatah de Muhammad Abd al Rahman ar Rauf al Qudwah al Husseini – connu sous le nom de Yassir Arafat – revendique toujours sa filiation avec Amin al Husseini, allié zélé du Führer dans sa lutte contre les Alliés et dans l’élimination du peuple juif et président, à partir du 1er octobre 1948, du « Gouvernement de Toute la Palestine ». L’ensemble du discours historiographique « palestinien » est lui-même issu du courant antisémite initié par le libano-égyptien Georges Antonius, dévoué au clan Husseini, et dont le mécène n’était autre que l’homme d’affaire américain Charles R. Crane, antisémite notoire, dans le double objectif de légitimer, selon les canons académiques occidentaux, le nationalisme panarabe et de gommer toute présence des minorités dans l’histoire orientale, au premier rang desquelles, les communautés juives.

Si l »antisémitisme scelle les rapprochements, il assure également la visibilité idéologique et un soutien mutuel de ces mouvements entre eux : l’encadrement d’anciens officiers SS des camps d’entrainement du FPLP en Egypte dans les années 1960 en témoigne. Des exemples similaires pourraient être fait avec la Syrie ou l’Iraq : ils mettent au jour l’existence d’une constellation de réseaux regroupés autour d’une idéologie commune.

L’imaginaire judéophobe n’apparaît donc pas, historiquement, comme une composante externe – qui aurait été importée d’Europe lors de la collaboration des nationalistes arabes initialement animés par la seule décolonisation – mais comme sa pierre angulaire.

Anciens opprimés, citoyens de seconde zone, les Juifs, qui vivaient en Orient (la situation est similaire au Maghreb) bien avant la conquête islamique, et qui ont eu accès à l’émancipation à la faveur de l’arrivée des puissances européennes, ne sont pas seulement vue comme les bénéficiaires de l’impérialisme, comme comme les instigateurs de la décadence politique, culturelle et sociale arabe, de sa défaite face à la modernité occidentale.

Et dans ce jeu du bouc émissaire, Israel incarne et concentre l’esprit de revanche dans ce qu’il a de plus violent et radical. À cet égard, le parallèle avec le national-socialisme et le déchaînement de judéophobie dans l’Allemagne après le Traité de Versailles ne relève pas d’un hasard de l’histoire.

Retour sur la collaboration entre le Troisième Reich et les élites nationalistes arabes de Palestine.

LES COLONIES ALLEMANDES EN PALESTINE ET LE NAZISME

Il y avait une colonisation allemande en « Palestine » (Jaffa, Sarona, Haifa, Jerusalem,…), issue en grande partie de la Tempelgesellschaft (Société des Templiers, dissidence piétiste de l’Eglise du Wurtemberg), dont l’embrigadement en faveur du NSDAP relevait d’une forme de patriotisme et d’un véritable attachement idéologique. Plus d’un tiers des Allemands résidents en Palestine mandataire avaient alors leur carte au parti nazi. On était passé de 42 membres en novembre 1933 à 330 en janvier 1938, représentant la part la plus importante de population politisée en faveur du parti nazi parmi les Allemands de l’étranger.

La colonie allemande de Sarona

Lorsque l’officier SS Ernst Wilhelm Bohle (SS-Obergruppenführer) prend en charge en 1933 le l’organisation pour l’étranger du NSDAP (die NSDAP-AO – Auslandsorganisation), il s’agit pour lui de partir du patriotisme des minorités allemandes expatriées, pour ensuite étendre l’influence nazie dans ces régions hors des cercles germanophones.

Par ailleurs, les sections locales du parti avaient trois missions : appuyer le renseignement allemand, exercer un contrôle sur les populations allemandes, et soutenir les mouvements subversifs contre les ennemis de l’Allemagne.

Nommé Secrétaire d’Etat au ministère des Affaires étrangères nazi de 1937 à 1945, Bohle sera qualifié par Goebbels « d’un de nos hommes les plus compétents ». C’est sous sa direction que s’organisent les contacts des nazis avec les autorités arabes en Palestine.

C’est à la suite de l’accession au pouvoir d’Hitler en 1933 que les sections du NSDAP s’ouvrent en « Palestine » et forment le réseau appelé « Groupe local du NSDAP en Palestine ».

La plupart de ses membres appartenait à la Tempelgesellschaft, dont lebut était « l’établissement du royaume de Dieu sur terre ». Cette Société avait fondé dès 1868 une première colonie dans le sandjak ottoman de Jérusalem. Au début des années 1930, la communauté regroupait environ 2500 individus qui vivaient reclus, et qui méprisaient tant les Arabes qui mangeaient « le pain de la paresse » (das Brot der Faulheit) que les Juifs dont les succès agricoles et sociaux menaçaient le projet tacite de dominer à terme la région.

Le sionisme leur apparaissait en majorité comme le produit d’un « judaïsme mondiale » tirant son « pouvoir » de « l’or juif » : en somme l’antijudaïsme religieux cédait le pas devant le racisme biologique nazi, si bien qu’en 1935, la « Garde du Temple », organe central de la société, déclara qu’elle s’inscrivait pleinement dans « la question raciale du point de vue national-socialiste», concevant « le sang, le sol et la race comme des réalités données par Dieu. ».

Le chef local du NSDAP, Cornelius Schwarz écrivait dès mars 1933 :

« Il y a déjà une bonne petite communauté hitlérienne ici, qui vient régulièrement aux discours. […] De plus en plus de jeunes y participent, avec enthousiasme. » 

Des sections des Hitlerjugend sont notamment créées à Sarona ou Haifa. L’embrigadement prend parfois les formes de la suspiscion, de la délation et des menaces, mais globalement, le parti nazi ne se dotera pas d’une section répressive spécifique, le consulat seul servant de relais à la Gestapo de Berlin. On parle à propos de la communauté allemande de Palestine d’autonazification (Selbstnazifizierung).

Lettre de menace d’un représentant du Parti Nazi en Palestine au propriétaire d’un cinéma qui avait loué la salle à des Juifs. Sont menacés de rétorsion les membres de sa famille

C’est à l’arrivée de l’Afrikakorps de Rommel que les Allemands furent en grande partie envoyés par bateau vers l’Australie dans des camps d’internement, où ils continuèrent à célébrer chaque année jusqu’en 1945 l’anniversaire d’Hitler.

Lorsque les Allemands prirent contact avec les Britanniques pour obtenir l’échange des Templiers allemands détenus en Australie contre des Juifs, Husseini s’opposa vigoureusement à un tel accord d’échange.

Et à la fin de la guerre, les Templiers retournèrent en Allemagne et furent dédommagés par l’Etat d’Israel.

Le soutien nazi au nationalisme arabe de Palestine

Si la participation au national-socialisme du Mufti Amin al Husseini n’est plus à démontrer, son allégeance effective et sans cesse réaffirmée, ainsi que les soutiens de Rome et Berlin dont ont disposé les forces arabes en Palestine, sont généralement passés sous silence.

Lors de l’insurrection arabe contre les Britanniques, à partir de 1936, les véhicules allemands arborant, à la demande des milices arabes, un fanion avec la croix gammée, se voyaient autorisés à traverser les zones contrôlées par les milices arabes. Les véhicules britanniques ou juifs étaient en revanche systématiquement mitraillés.

La section locale du NSDAP recommanda ainsi à tous les Allemands, même les non-affiliés au nazisme, d’arborer la svastika qui était perçue avec sympathie par les Arabes.

Ainsi, la route entre Jérusalem et Jaffa, surplombée par des villages et hameaux arabes hébergeant les milices, fut durant une période impratiquable, sauf pour les Allemands.

Sympathie née de l’hostilité aux Britanniques ou véritable convergence ?

Les sympathies arabes pour le Reich
Cantine tenue par les Nazis. On remarque le drapeau du troisième reich à côté de celui de la palestine mandataire

Les services du renseignement extérieur nazi (Affaires étrangères, Gestapo, Abwehr) partirent de deux principes :

  • Le Mufti avait démontré sa profonde judéophobie à plusieurs reprises depuis le pogrome de Jérusalem en 1920, ce qui laissait espérer un terrain d’entente aisé à obtenir ;
  • Il avait réussi à se rendre indispensable aux Britanniques puisqu’il affirmait être le seul à pouvoir apaiser l’insurrection qu’il avait contribué à déclencher.

L’Allemagne nazie trouvait donc dans la personne du mufti, et plus largement parmi ses réseaux, un appui solide et d’autant plus précieux qu’il était membre du Comité Supérieur Arabe censé représenter les Arabes auprès des autorit britanniques.

L’INSURRECTION ARABE : RÉVÉLATEUR DE L’ALLIANCE AVEC LES NAZIS

L’insurrection commence à l’appel du Mufti Al Husseini, peu après la mort dans des combats avec les forces britanniques de Izz-ed-Din al Qassam, prédicateur xénophobe affilié au clan Husseini.

Le 19 avril 1936, trois Juifs furent assassinés à Jaffa, des maisons juives furent pillées et incendiées.

Le 5 mai 1936, soit près de deux semaines après les violences antijuives, les Britanniques avertissent le mufti qu’ils désapprouvent les violences contre les Juifs, sans émettre aucune menace à l’encontre du mufti. Pour lui, le message était limpide et signifiait que l’impunité et toute l’amplitude d’action lui était donnée.

Les attaques reprirent immédiatement. En octobre, quelques mois plus tard, les violences antijuives se soldèrent par plus de 300 victimes et plus de 1100 blessés.

Maisons juives détruites à Jaffa par des attaques arabes de 1936 – photo Z. Kluger
Familles juives évacuées après les attaques arabes contre Jaffa en 1936 – photo Z. Kluger

Le soutien britannique au mufti était réel : dès juin 1936, plus de 9 internés sur 10 du camp d’internement du Sinaï étaient membres du Parti de la défense, fondé en 1934 par le clan rival des Nashashibi, alors que les proches du clan Husseini étaient systématiquement relâchés.

Le mufti occupe d’emblée une place déterminante dans l’évolution politique du mouvement arabe.

C’est aussi pour cela qu’en 1929, le Parti Communiste de Palestine (PCP) – obéissant à l’URSS et associant Arabes et Juifs – considérait qu’« était impossible le mouvement révolutionnaire sans émeutes [antijuives, car les émeutes étaient uniquement le fait des Arabes, et les pogroms de 1929 venaient de se traduire par la mort de 68 Juifs] ». Durant l’insurrection entamée en 1936, Nimr Uda, membre du PCP, devient le chef du renseignement des unités paramilitaires du mufti al Husseini. Fouad Nasir, issu du même parti, rejoint Abdul Qadir al Husseini, qui commandait les troupes arabes en Judée.

Si les autres factions arabes n’ont pas toutes adhéré à la politique d’intransigeance et de confrontation armée du mufti, elles ont été progressivement mise au pas, avec certes l’appui maladroit des Britanniques, mais surtout en raison de l’appui de l’Allemagne nazie. Les méthodes du mufti rejoignaient celles des nazis en ce qui concerne l’établissement d’une dictature répressive dans les zones contrôlées par ses forces. Abraham Ashkénazi estimait :

« Le mufti a expulsé avec la plus grande violence ses adversaires au sein du camp palestinien. […] Du côté palestinien, il y a plus de mort, de règlement de compte, d’assassinat que contre les Juifs et les Britanniques. »

La shariya est imposée avec rigueur, les comportements non-islamiques punis, tandis que les Frères musulmans en Egypte appelent au jihad en faveur du mufti…et à l’élimination du camp adverse des Nashashibi et de ses soutiens… Les luttes intestines pour la prise de pouvoir entre Fatah et Hamas trouvent là leur première expression.

LA CONVERGENCE ARABE-NAZIE

Le Parti Arabe de Palestine des al Husseini était dirigé par Jamal al Husseini. Il était doté d’une groupe paramilitaire de jeunesse qui fut à ses débuts appelé les « scouts nazis » par référence explicite à la Hitlerjugend.

Un an après le début de l’insurrection, un rapport des services consulaires allemands de Jérusalem soulignait qu’une « Palestine dominée par les Arabes serait l’un des seuls pays à témoigner d’une forte sympathie pour la nouvelle Allemagne. »

Le Consul allemand précise dans une note envoyée à Berlin en 1937 que le soutien pour l’Allemagne est « idéologique », en particulier lié à la « sympathie pour le Führer ». Pour preuve, il rappelle qu’il « a eu l’occasion de voir jusqu’où les sympathies allaient. Confronté [hors de Jérusalem] au comportement menaçant des Arabes, il avait obtenu entière liberté dès lors qu’il avait affirmé être allemand. »

Début Juillet 1938, Adam Volhardt arrive en Palestine. Agent de l’Abwehr, le contre-renseignement allemand, il rencontre les principaux dirigeants arabes, affirme que l’Allemagne soutient la totalité des exigences arabes, envisage de participer à la propagande antijuive, et les encourage à l’intransigeance, sur le modèle de ce qui se produisait en Europe à propos du dépeçage de la Tchécoslovaquie qui a lieu lors de la conférence de Munich.

Cette propagande commune est entamée par Franz Reichhardt, directeur de l’Agence télégraphique allemande – qui espionnait les correspondances privées et assurait la liaison entre Berlin et Jerusalem –. Ce dernier travaille activement à la coordination des propagandes arabes et allemandes autour de la « question de Palestine. »

En 1939, une note du Foreign Office britannique révélait l’existence d’une cargaison d’armes allemandes destinées aux forces arabes en Palestine après transit via la Turquie et l’Arabie Saoudite, et indiquait qu’il ne s’agit pas de la première fourniture d’armes.

Outre la volonté de contrer les Britanniques dans une région proche du Canal de Suez, les Nazis, comme l’écrit le consul de Jérusalem en 1938, voient dans l’hostilité arabe envers les Juifs le principal moteur de l’alliance :

« La formation d’un Etat juif n’est pas dans l’intérêt de l’Allemagne, car un Etat palestinien [à l’époque, cela voulait dire « juif »] signifierait la création d’une base nationale de soutien pour la juiverie internationale sur le modèle de l’Etat du Vatican pour le catholicisme politique [incarné par exemple par le Zentrum allemand] ou Moscou pour les communistes [éliminés par les nazis après l’incendie du Reichstag]. Il est pas conséquent dans l’intérêt de l’Allemagne à renforcer les Arabes comme un contre-pouvoir opposé à tout renforcement possible des Juifs. »

Prenant conscience de la réalité de cette alliance avérée, les Britanniques, sur recommandation du British Criminal Investigation Division(qui interrogeait les agents allemands ou arabes capturés), modifient leur politique à l’égard des minorités juives dès 1938 et renoncent par exemple à leur projet de sauver 20 000 Juifs allemands dont la moitié des enfants vers la Palestine.

Cela s’illustrera également lors de la publication du Livre Blanc de 1939 qui imposait l’accord arabe avant toute immigration juive alors même que le sort des Juifs en Allemagne ne faisait plus aucun doute, et que le Mandat impliquait le soutien à la restauration d’un Etat refuge juif.

Lord Chatfield soulignait ainsi que « si la guerre éclatait, les troubles que les Juifs, en Palestine ou ailleurs, pourraient éventuellement occasionner, ne pèseraient pas face à l’importance de gagner l’opinion musulmane du côté britannique. »

LA PARTICIPATION D’AMIN AL HUSSEINI COMME PRINCIPAL DIRIGEANT PALESTINIEN

La proximité était réelle et ancienne : les troupes impériales du Reich avaient combattu aux côtés des Turcs durant la Première Guerre mondiale dans la région de Palestine, et les sympathies réciproques subsistaient. Mais, comme le montre la note du consul allemand de Jérusalem, en aucun cas il ne s’agit d’une instrumentalisation par les nazis du nationalisme. Il s’agit d’une véritable convergence idéologique que les allemands cherchaient à fructifier dans leur projet belliqueux contre la Grande-Bretagne.

Car, dès mars 1933, le Mufti avait offert ses services au nouveau Chancelier allemand récemment élu, Adolf Hitler, dans une lettre au consul allemand de Jérusalem, dans laquelle il félicitait le nouveau chancelier de son élection.

Après les premières opérations nazies durant la Guerre d’Espagne, et en l’absence de véritables réactions française ou britannique à la suite du bombardement de Gernica, l’Abwehr, sous l’impulsion de von Oppenheim, se décide à encourager de façon méthodique les mouvements opposés aux Alliés à des fins subversives. L’appui financier allemands au mufti, que les historiens ont fait remonté à 1936, s’inscrit dans cette politique. Et sans ce soutien, combiné à l’aide logistique et militaire entamé à partir de 1927, l’« insurrection » n’aurait jamais pu avoir lieu, ni les forces arabes dominer des régions entières, comme l’a précisé un rapport du haut Commandement de la Wehrmacht.

De surcroît, le soutien au mouvement arabe trouvait une résonance dans le cadre de l’antisémitisme d’Etat allemand. L’idéologue du régime nazi, Alfred Rosenberg, écrivait en 1938 :

« Plus le brasier se maintient en Palestine, plus se renforce l’opposition à un Etat juif dans tous les Etats arabes et même au-delà dans les autres pays musulmans. »

La collaboration s’intensifie au plus haut niveau de la direction nationaliste arabe. Comme l’a démontré Joseph Schechtmann, Adolf Eichmann et Herbert Hagen ont été envoyé en 1937 en Palestine dans le but d’établir et d’organiser un réseau autour du mufti. Officiellement, pour les Britanniques, il s’agissait d’une visite des réalisations des pionniers juifs en Palestine. Ce voyage a permis l’organisation d’une rencontre officielle entre le mufti Amin al Husseini et le consul de Jérusalem Döhle le 21 juillet 1937, où le mufti demande notamment un soutien formel de l’Allemagne contre le projet de partition de la commission Peel.

Un an plus tard, avant de rejoindre l’Iraq où il va servir de conseiller à Abdul Qadir Husseini à la formation d’un régime pro-nazi, al Husseini rencontre en personne à Beyrouth l’amiral Wilhelm Canaris qui était à la tête de l’Abwehr. Les principales lignes de collaboration sont alors définitivement fixées.

En Iraq, le mufti participe à l’intensification des campagnes judéophobes, visant une des communautés les plus anciennes du monde, les Juifs babyloniens, qui culminera dans le farhud, littéralement le pogrome, de juin 1941. Et lorsque l’émir régent Abdul Illah fait appel dans son gouvernement à Rashid Ali al Qilani, par ailleurs pro-nazi et antisémite, Amin al Husseini , appuyé par Wimmer-Lambert, officier de l’Abwehr établi à Baghdad, fait parti du comité d’organisation du putsch pro-nazi de Baghdad. À la suite de la reconquête britannique, notamment avec l’appui de la Légion arabe de Transjordanie, le mufti se réfugie en Allemagne après être passé par l’Iran et la Turquie.

La rencontre avec von Ribbentrop du 20 novembre 1941, précédant celle avec Hitler du 28 novembre 1941, atteste d’une reconnaissance officielle, que les larges subsides fournis par les nazis confirment. À la tête du Arabische Büro, doté d’une gratification de 75 000 Reichsmarks, le mufti dispose d’un véritable quartier générale destiné à mener la politique arabe du Troisième Reich. L’histoire de sa collaboration depuis le Reich est généralement plus connue : intermédiaire entre les Musulmans des régions occupées par la Wehrmacht (Balkans, Caucase), organisateur de trois divisions musulmanes de Waffen SS (dont les Hanjar SS connus pour leurs atrocités contre les Serbes, les Juifs, les Tsiganes, et dont certains membres firent parti des Einsatzgruppen), directeur du Islamischer Institut de Dresde destiné à former les Imams des régions occupées par la Wehrmacht, propagandiste en faveur du troisième Reich dans les émissions en arabe de Radio Berlin ou de Radio Bari, projet de lever une armée arabe en Afrique du Nord occupée par les Nazis, et avocat de l’anéantissement des minorités juives (il visitera ainsi le camp d’Auschwitz, et appellera le 1er mars 1944 les Arabes au massacre des Juifs). Le mufti n’était pas seul, mais accompagné par de nombreux membres des familles palestiniennes liées aux clans Husseini, Khalidi,… ainsi que des représentants de l’élite iraqienne et syrienne, liés à l’Institut Islamique de Dresde, et dont une partie furent entrainés par les SS, visitèrent le camp de Sachsenhausen, alors que l’Afrikakorps semblait annoncer une rapide conquête du monde arabe par l’Allemagne. C’est dans la perspective d’établir à son profit une élite arabe dans les régions occupées (ou, dans la version nazie, libérée).

Amin al Husseini lors de l’ouverture du Islamisches Institut avec des membres de son réseau (en uniforme un membre de la “Legion Azerbaidjan”) – photo Bundesarchiv – Dec 1942

Hitler dans mein Kampf, considérait que « les Juifs n’envisagent en aucun cas d’établir un Etat juif en Palestine, mais souhaitent uniquement se servir d’une centrale de commandement de leur domination mondiale. » La lutte contre les Juifs en Palestine rejoignait ainsi par le biais de la théorie conspirationniste que l’antisémitisme musulman reprend à son compte, encore aujourd’hui.

L’idéologie du mufti s’apparente à une reprise de l’antisémitisme musulman sous l’égide d’un discours antisioniste dont les origines remontent au conspirationnisme nazi. Dans un discours à la division SS Hanjar, le mufti déclarait :

« Cette division de Musulmans bosniaques, établie avec l’aide d’une Grande Allemagne, est un modèle pour les Musulmans de tous les pays. Le monde islamique et la Grande Allemagne partagent de nombreux intérêts communs. L’Allemagne nationale-socialiste lutte contre la juiverie mondiale. Le Qur’an dit : « Vous verrez que les Juifs sont vos pires ennemis. » Il y a des similitudes considérables entre les principes islamiques et ceux du national-socialisme. Je suis heureux de voir dans cette division SS l’expression visible et pratique de ces deux idéologies. »

La déclassification d’archives britanniques du MI5 (archives KV 2/400-402) a récemment révélé le soutien du mufti à une opération nazie en Palestine fin 1944 alors même que la défaites allemandes devenait une certitude et que le régime nazi voulait accélérer l’anéantissement des populations juives.

L’opération appelée « Opération Atlas » regroupait des agents allemands et arabes dans le but d’organiser un empoisonnement massif des populations juives de Palestine puis de recruter des troupes favorables au mufti. L’opération eut lieu début octobre 1944 sous la direction de Kurt Wieland et incluant Abdul Latif et Hassan Salameh, membres des forces arabes terroristes durant l’insurrection des années 1930 et père de Ali Hassan Salameh, instigateur de l’assassinat des athlètes israéliens de Munich. Le commando fut parachuté au sud de Jéricho mais fut rapidement signalé par des bédouins aux Britanniques qui étaient au courant des projets du mufti suite à une défection d’un officier de l’Abwehr.

Après s’être caché chez des fellahin, le commando tente de se cacher dans un monastère, mais fut fait prisonnier. Lors de leur arrestation, les Britanniques ont découvert des armes, des munitions, des pièces en or, un dictionnaire arabe-allemand, ainsi que dix boites contenant de l’arsenic, chacune pouvant infecter l’eau et toucher 25 000 personnes.

Chef du commando arabo-nazi de l’opération Atlas, Kurt Wieland, en uniforme allemand, après son arrestation.
Le chef du commando de l’opération Atlas Kurt Wieland en costume arabe peu après son arrestation.

Exfiltré par la France en 1946, on retrouvera Amin al Husseini à la tête du « Gouvernement de toute la Palestine » [c’est-à-dire sans Juifs] établi à Gaza sous patronage égyptien, après l’éviction soutenue par la Ligue arabe des autres formations du jeu politique palestinien.

Et un certain al Husseini, connu plus tard sous le nom de Yasir Arafat, deviendrait le leader du Fatah… assurant la succession du mufti.

La lutte contre le nazisme est-elle toujours en cours ?

La création d’un Etat souverain du peuple juif sur une terre perçue comme relevant du droit de conquête islamique, a amplifié et reconfiguré cette culture traditionnelle et théologique du mépris, fondée sur une représentation de l’infériorité ontologique de l’être juif, et ce vécu juif du sursis (face aux constants pogromes et conversions forcées à l’islam) pour prendre la forme d’une guerre totale d’annihilation du fait culturel juif dans son ensemble. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, les communautés juives orientales ont trouvé refuge soit en Israel, soit dans les pays occidentaux. Quelques minorités subsistent ici ou là, mais à titre précaire, et sans commune mesure avec la présence juive plurimillénaire dans ces régions. Près d’un million de refugiés qui témoignent de la radicalité de la judéophobie dans monde arabe.

Les pogromes musulmans contre les Juifs sont antérieurs au sionisme et invalident tant le stéréotype d’une « symbiose judéo-musulmane » ancienne – qui en réalité révèle le déni radical de l’affirmation politique autonome des minorités juives, perçues exclusivement comme minorités religieuses soumises –, que la dissociation arbitraire de l’antisionisme et de l’antisémitisme. L’alliance des nationalistes arabes avec le Troisième Reich démontre clairement la porosité du concept d’antisionisme. Car l’opposition au sionisme passe non seulement par une négation du droit du peuple juif à l’autodétermination en tant que collectivité liée par une histoire, des traditions, et une religion partagée, mais aussi par l’adoption d’un discours de propagande calqué sur cette négation, par une version expurgée et réécrite de l’histoire ou encore par le recours à des poncifs judéophobes.

Pour autant, l’apport national-socialiste n’est-il pas exagéré ? Le soutien varié et conséquent de nombreux Palestiniens à la population juive durant la guerre d’indépendance de 1947-1949 montre que si l’ensemble de la population arabe n’était sans doute pas initialement favorable au national-socialisme, l’élite politique d’où ont émergé les principales factions actuelles ont été en revanche marquées et formées par le discours et les méthodes issues de la collaboration avec le Troisième Reich.

C’est aussi l’intensité de cette convergence qui a rendu incontournable, du point de vue britannique, le soutien aux revendications musulmans, tant en Palestine (via le soutien à la Transjordanie) qu’en Inde (via le soutien à Jinnah dans la conquête du Kashmir).

Inversément, la « lutte » contre Israel, et plus généralement contre l’occident, est-elle vraiment une « lutte » contre l’impérialisme ? Ou plutôt l’expression d’un nouvel impérialisme ?

Les chancelleries occidentales ignorent volontairement la coloration intensément antisémite des revendications théologico-nationalistes du monde arabe, par crainte de s’aliéner les régimes radicaux arabes, mais apportent de ce fait un soutien et une légitimité à ces élites répressives, dictatoriales et corrompues. Et depuis l’expulsion des populations juives, ce sont les populations minoritaires (Coptes en Egypte, Chaldéens en Iraq et en Turquie, Kurdes) qui en subissent les effets.

Ironie dramatique de l’histoire.

La réécriture de l’histoire et du temps présent, l’usage récurrent de glissements sémantiques, l’émergence d’une novlangue judéophobe (par exemple sous la forme de l’invocation à un « génocide des palestiniens », comme instrument de disqualification morale), la représentation manichéenne du conflit, ou encore les inexactitudes historiques et manquements déontologiques, sont dans le sillage des instructions du Reichsministerium für Volksaufklärung und Propaganda dirigé par Goebbels.

L’émancipation des Juifs eu Europe, qui consiste dans l’abandon progressif sur près d’un siècle des législations discriminantes (interdictions diverses (logement, métiers, déplacement, activités, pratiques cultuelles) et taxations multiples) visait à mettre fin à près des siècles de persécutions chrétiennes fondées sur la théologie de la substitution. De façon similaire, la représentation théologique du rapport entre Musulman et Juif (mais aussi Chrétien) implique dès l’origine la rétrogradation immédiate et sanctionnée du Juif au statut de dhimmi, dont les Juifs ont voulu définitivement se libérer via le sionisme.

Une émancipation du peuple juif qui n’est toujours pas entièrement achevée, ni véritablement acceptée.

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