Publié par Ftouh Souhail le 18 août 2019

En ouvrant la porte à une médiation US sur ses frontières avec Israël, le Liban reconnait tacitement l’existence de l’Etat juif, alors que les deux pays ne disposent pas de relations formelles.

Le Premier ministre libanais Saad Hariri a jugé « viable » un processus de négociations sous médiation américaine pour résoudre les différends frontaliers de son pays avec Israël.

À l’issue d’une rencontre avec le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo à Washington, le 16 août 2019, ce dernier a dit avoir « l’engagement » de Beyrouth à « participer au processus de négociations au sujet de ses frontières terrestres et maritimes ».

« Nous considérons que ce processus est viable », a-t-il ajouté, promettant une « décision définitive dans les prochains mois, probablement en septembre ».

Le secrétaire d’Etat américain a salué l’engagement du chef du gouvernement libanais à « faire des progrès vers la reprise de discussions productives au niveau des experts ».

Les discussions doivent porter sur les quelques points encore en suspens au sujet de la “ligne bleue”  de cessez-le-feu avec Israël, gardée par l’ONU depuis le retrait des troupes israéliennes du sud du Liban en 2000. Mais aussi l’ouverture de discussions sur la frontière maritime entre Israël et le Liban.

« Nous sommes prêts à participer aux discussions maritimes en tant que médiateur et facilitateur, et nous espérons qu’il y aura rapidement des discussions substantielles sur ces sujets importants, dont la résolution serait très positive pour le Liban et le reste de la région », a assuré Mike Pompeo .

Washington a approché ces derniers mois les deux pays pour proposer sa médiation.

Fin mai 2019, le gouvernement israélien avait dit accepter « d’entamer des discussions bilatérales avec la médiation des Etats-Unis pour mettre un terme au litige frontalier ».

La dispute concernant les frontières maritimes entre les deux pays, encore techniquement en guerre, est sensible notamment en raison du litige gazier qui en découle.

Le litige frontalier maritime entre le Liban et Israël a pris une nouvelle dimension avec la découverte de gaz en Méditerranée orientale ces dernières années, qui a fait naître de grands espoirs mais a également attisé les tensions dans une région déjà explosive.

Au Liban, les travaux de forage dans le bloc 4 doivent débuter en décembre 2019, et ceux du bloc 9 quelques mois plus tard. Le pays a aussi lancé en avril 2019 un appel d’offres pour l’exploration de cinq autres blocs, donc deux adjacents à l’espace maritime israélien.

Le Liban a signé en février 2018 son premier contrat d’exploration offshore avec un consortium dominé par le groupe français Total. Deux blocs sont concernés, notamment le bloc 9, dont une partie se trouverait dans une zone maritime disputée avec Israël. Selon le groupe Total, la dispute frontalière entre le Liban et Israël concerne « moins de 8 % de la surface du bloc 9 ».

La reconnaissance tacite par le Liban

En droit international, la reconnaissance est un acte unilatéral d’un sujet du Droit International et par cet acte unilatéral, le sujet prend acte d’une situation et accepte de tirer toutes les conséquences juridiques que l’ordre juridique international attache à cette situation (1).

En Droit international, l’acte de reconnaissance peut être un acte expresse ou tacite. La reconnaissance implicite ou tacite est une forme reconnue aux relations internationales. Cette reconnaissance est volontaire car prise par le seul consentement de l’Etat reconnaissant.

Dans ce cas le Liban, qui accepte une médiation US sur ses frontières avec Israël, reconnaîtra indirectement l’existence de son voisin du sud si un accord est conclu (2).

Comme la reconnaissance déclarative, cette forme de reconnaissance tacite produit aussi des effets à l’égard de l’Etat reconnaissant (Liban)  et de celui reconnu (l’Etat juif ).

Cet accord, qui va délimiter les frontières maritime et terrestre avec Israël, permettra indirectement au Liban de tendre vers un effet constitutif de la reconnaissance juridique de l’existence de son voisin juif, dans la mesure où Beyrouth ne pourra plus contester la légitimité israélienne.

Avec le prochain lancement des négociations sur le tracé, le conflit entre le Liban et Israël se transformera de conflit d’existence en une simple question de différends frontaliers terrestre et maritime.

Dans la pratique et la jurisprudence internationales, la reconnaissance du caractère litigieux du territoire, la reconnaissance de certains intérêts légitimes d’un sujet envers un territoire ou de ses prétentions fondées sur des raisons de convenance, implique une reconnaisse opposable entre les pays.

Les deux pays souhaitent apparemment renforcer le caractère définitif de leurs frontières par le biais d’un traité ultérieur.Leurs relations seront alors pleinement confiées au droit international.

Par leur futur accord sur les frontières, les deux pays vont se reconnaître mutuellement comme États indépendants souverains à l’intérieur de leurs nouvelles frontières internationales, sans que cela va amener nécessairement à une normalisation de leurs rapports.

Une normalisation de leurs rapports ne pouvait se faire que par une procédure déclarative.

En cas de conclusion d’un accord sur les frontières, ce nouvel accord aura pour conséquence une opposabilité entre les deux États qui sont ainsi liés. Ce futur accord liera ainsi les deux États et aura des effets en droit international. L’État reconnu par la reconnaissance tacite (Israël) pourra évoquer l’opposabilité de cet accord envers le Liban.

Dans ce cas, le Liban ne pourra plus prétendre que L’Etat juif n’existe pas. Chacun des deux sera obligé de respecter l’existence de l’autre. Cette obligation internationale de l’État découle de La convention de Vienne sur le droit des traités de 1969.

La bonne foi, joue, dans le droit des traités, un rôle fondamental.

Les conventions internationales sont considérées toujours comme des accords de bonne foi (3), selon l’article 26 de la convention de Vienne.

Dès le stade des premiers contacts officiels en vue de la conclusion d’un accord, se crée un rapport de rapprochement, de confiance, de finalité partiellement commune, qui ne peut rester juridiquement indifférent.

Ce rapport de confiance doit avoir pour conséquence un devoir de coopération et de considération accru.

L’accord doit être conclu entre sujets du droit international. La ratification peut être expresse ou tacite. La ratification tacite repose généralement sur l’exécution partielle ou totale du traité dès avant sa ratification formelle (4).

Une fois le Liban trace sa frontière avec Israël, il sera tenu par la règle Pacta sunt servanda. Cela signifie que les parties à une convention doivent respecter les obligations qui en découlent et ne sauraient en aucune manière s’en affranchir. 

Ce principe implique également que les États parties à un traité ne peuvent se prévaloir d’obstacles posés par leur ordre juridique interne pour éviter d’exécuter leurs obligations internationales.

Par exemple au Liban une loi de boycott d’Israël, datant de 1955, interdit à toute personne physique ou morale d’entrer en contact avec des Israéliens ou des personnes résidant en Israël. Elle interdit également tout type de transactions, commerciales, financières ou autres.

Ce crime est passible de trois à 10 ans de travaux forcés.Les Libanais binationaux n’échappent pas à ces sanctions, leur nationalité prise en compte étant la libanaise.

La plupart des Libanais nomment toujours Israël par la « Palestine occupée ». Cette appellation devient quelque peu paradoxale dans la mesure où leur gouvernement cherche maintenant un accord qui va délimiter les frontières avec Israël et va résoudre un conflit de longue entre les deux pays voisins qui sont encore techniquement en guerre.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Ftouh Souhail pour Dreuz.info.

(1) Le traité de 1881 entre l’Argentine et le Chili en est un exemple, dont l’article VI affirme que les gouvernements des deux Etats exerceront leur pleine souveraineté (dominio) « à perpétuité » et que la frontière résultant du traité « restera immuable. »

(2) Le Liban ne reconnait Israël pas comme un État. Toutefois la reconnaissance déclarative n’a aucun effet sur l’existence d’un État, elle ne participe pas à sa constitution.

(3)  l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (1984), l’action du principe de bonne foi.

(4) La pratique diplomatique en connaît diverses applications. Un ancien exemple est fourni par le protectorat sur l’île d’Anjouan en Afrique, accordé à la France par Traités du 21 avril 1885, 15 octobre 1887 et 8 janvier 1892. Le dernier de ces traités n’avait pas encore été ratifié tout en étant effectivement appliqué. Il fut considéré comme tacitement ratifié.

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