Publié par Gaia - Dreuz le 19 août 2019

Source : Lesalonbeige

Rien qu’en lisant ce titre, vous allez vous dire : encore une assimilation injustifiée et clairement islamophobe de l’islam à la violence.

Et c’est vrai que ce serait extrêmement déplaisant de supputer ne serait-ce qu’un début de correspondance entre les pays de l’OCI (Organisation de coopération islamique, en vert sur la carte ci-dessous)

et les pays qui se caractérisent par des persécutions contre les chrétiens (hormis la Chine et la Corée du Nord) sur la deuxième carte (Orange = Liberté religieuse avec de fortes persécutions dans certaines régions ; Rouge = Aucune liberté religieuse, chrétiens pénalisés par une discrimination évidente, persécutions ciblées)

Si on essaie de varier les sources, ce serait extrêmement abusif de déceler ne serait-ce qu’un début de correspondance entre ces mêmes pays de l’OCI et ceux figurant dans des cartes publiées dans Le Figaro pour 2010 et 2013 (ci-après, toujours hormis Chine et Corée du Nord) :

Ce serait même, horresco referens, extrêmement déplaisant de supputer ne serait-ce qu’un début de correspondance entre les pays de l’OCI (voir carte plus haut) et les pays recensés par l’ILGA (association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes) comme criminalisant les relations homosexuelles entre adultes consentants (pays en marron et bistre dans la carte ci-dessous).

Ce serait toujours extrêmement déplaisant de relever que, selon les commentaires récents du Pew Research Center, dans les 16 pays du Moyen-Orient où l’islam est religion d’Etat, dans les années passées, les pressions en faveur de cette religion d’état n’ont pas vraiment augmenté (depuis 2013) parce qu’en fait, elles étaient déjà maximales (« However, government favoritism has barely increased in the Middle East over the course of the study, partly because it started at such a high level that there was not much room for growth on the scale »).

Bon, évidemment, on sait qu’il y a persécution et persécution.

Par exemple, la carte du Pew Research Center sur les Restrictions gouvernementales en matière de religion classe la France et l’Espagne dans la catégorie « Elevées » (high), au même titre que le Nigéria et plus fort que la Libye… !

Ainsi, l’Espagne est pointée du doigt pour la mise en place de règles locales interdisant le port de la burqa et du niqab dans l’espace public, interdiction non encore décidée au niveau national

(« Spain has experienced some of the largest increases in its score for government limits on religious activities since 2007. In 2010, several cities in Catalonia introduced bans on the burqa and niqab (full-body and head coverings) as well as face-covering veils in public buildings. Additionally, the country’s largest opposition party also proposed a ban on the niqab in all public places, though it was ultimately rejected »).

Et le même organisme pointe aussi le Royaume-Uni parce que « in the UK, the monarch is the supreme governor of the Church of England, and must be a member of that church » : le monarque est aussi chef de l’Eglise d’Angleterre, ce qui a profondément handicapé l’organisation du communautarisme musulman en Grande-Bretagne comme on le sait…

C’est pourquoi, il apparaît illustratif de se reporter à quelques faits concrets relevés lors de ce mois de juillet 2019 ; mais dont, bien évidemment, il serait encore extrêmement déplaisant de tirer quelque conclusion que ce soit sur les relations entre islam et violence :

  • à Bani dans le nord du Burkina Faso, le 27 juin, quatre laïcs catholiques sélectionnés parce que portant une croix ont été tués par un groupe djihadiste ;
  • une église syro-orthodoxe dévastée par un attentat terroriste revendiqué par Daesh à Qamishli en Syrie ;
  • 8 convertis chrétiens arrêtés le 1erjuillet en Iran ;
  • profanation au Kosovo le 13 juillet du cimetière orthodoxe de Lipljan, visant sans doute à intimider et pousser à l’exil la minorité serbe qui refuse encore de quitter le territoire ;
  • le 16 juillet, messe de reconsécration de la cathédrale de Jolo, qui avait été ravagée par un attentat le 27 janvier, revendiqué par l’Etat islamique.

D’autant plus, faut-il le rappeler, que le règlement des piscines grenobloises continue d’interdire le burkini….

Ce serait enfin extrêmement déplaisant de tirer quelque conclusion que ce soit de la difficulté à trouver un témoignage concret de l’islam comme religion de paix et d’amour. Comme par exemple, le serait l’annonce par les états musulmans du Moyen-Orient de l’ouverture de leurs frontières pour accueillir ces migrants africains qui partagent leur religion en grand nombre.

Donc, pour ne pas être hâtif, il a paru intéressant de se reporter de façon concrète à l’année 2006.

Le discours de Ratisbonne : rappelez-vous, en 2006, le pape Benoît XVI, encore au début de son pontificat, retourne à Ratisbonne où il avait enseigné. Il y donne un cours à l’université. C’était le 12 septembre 2006.

Le Pape l’annonce lui-même : il est heureux de « pouvoir une nouvelle fois donner un cours » et rappelle la pratique, il y a 60 ans, du« dies academicus, où les professeurs de toutes les facultés de l’Université de Bonn ne présentaient devant les étudiants de toute l’université, permettant une expérience d’universitas ». L’université était alors fière de ses deux facultés de théologie, au sein desquelles on s’interrogeait sur la dimension raisonnable de la foi.

Dans sa leçon, le Pape souligne « l’affirmation décisive : ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu ». Et il rapproche cette conviction avec une manière de penser grecque : « Je pense qu’ici se manifeste la profonde concordance entre ce qui est grec dans le meilleur sens du terme et ce qu’est la foi en Dieu sur le fondement de la Bible ». Et le Pape de développer cette affinité entre la philosophie grecque et la foi chrétienne, y compris par le rappel du prologue de l’Evangile de St Jean : « Au commencement était le logos »,logos signifiant tout à la fois raison et parole. « Au commencement était le logos, et le logos est Dieu nous dit l’Evangéliste ». Et Benoît XVI de rappeler aussi le rôle essentiel dans la diffusion de l’Evangile de sa version traduite en grec, la Septante.

Toute la leçon développe ainsi ce rapprochement intérieur mutuel entre la foi biblique et l’interrogation sur le plan philosophique de la pensée grecque,

« un fait d’une importance décisive non seulement du point de vue de l’histoire des religions mais également de celui de l’histoire universelle. En tenant compte de cette rencontre, il n’est pas surprenant que le christianisme ait en fin de compte trouvé son empreinte décisive d’un point de vue historique en Europe. Nous pouvons l’exprimer également dans l’autre sens : cette rencontre à laquelle vient également s’ajouter par la suite le patrimoine de Rome, a créé l’Europe et demeure le fondement de ce que l’on peut à juste titre appeler Europe ».

Le Pape ensuite examine les trois époques d’une déshellénisation du christianisme (et donc d’une certaine façon d’un éloignement réciproque entre foi et raison) : la première date des postulats de la Réforme au XVI siècle, la seconde de la théologie libérale des XIX et XX siècles, la troisième étant la période actuelle, avec -en considération de la rencontre avec la multiplicité des cultures- l’idée que la synthèse avec l’hellénisme ne serait qu’une première inculturation qui ne devrait pas lier les autres cultures.

Il souhaite un renouvellement du dialogue entre foi et raison à partir des différents progrès dus à la science :

« la raison moderne propre aux sciences naturelles, avec son élément platonicien intrinsèque, contient en elle une interrogation qui la transcende… La question sur la raison de ce fait donné existe et doit être confié par les sciences naturelles à l’autres niveaux et façons de penser, à la philosophie et à la théologie ».

Et conclut :

« C’est à ce grand logos, à cette ampleur de la raison, que nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des cultures. La retrouver nous-mêmes toujours à nouveau est la grande tâche de l’université ».

Du haut niveau universitaire, donc. Le journal La Croix, dans son numéro du 13 septembre, titre : « Le Pape en Bavière : Benoît XVI réaffirme avec force le lient entre foi et raison », et sous-titre :

« Devant un parterre d’universitaires et de chercheurs, le pape, dans un texte théologique capital, a fait du rapport entre foi et raison une réponse aux fanatismes modernes ».

Et puis ? Et puis  vint l’onde d’hostilité haineuse et de violences qui s’est propagée dans les pays musulmans. Pourquoi ? Parce que, en introduction de son propos, le Pape avait fait référence à une de ses lectures récentes rapportant une partie du dialogue entre l’empereur byzantin Manuel II Paélologue et un Persan cultivé, dialogue annoté ensuite par l’empereur au moment même où Constantinople était assiégé par les… musulmans (pacifiques bien sûr). Dans ce dialogue, l’empereur aborde le thème du djihad et dit à son interlocuteur :

« Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait ».

Et il ajoutait ce qui était le point de départ de la leçon du Pape :

« Dieu n’apprécie pas le sang. Ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. Celui qui veut conduire quelqu’un à la foi a besoin de la capacité de bien parler et de raisonner correctement, et non de la violence et de la menace ».

Le monde musulman s’irrite et manifeste pour exiger des excuses personnelles de Benoît XVI. De nombreuses églises chrétiennes sont attaquées et endommagées en Cisjordanie ; le Parlement pakistanais condamne les propos du Pape ; le secrétaire général du parti islamiste Oumma au Koweït demande que tous les pays musulmans rappellent leurs ambassadeurs auprès du Vatican, jusqu’à ce que le Pape présente des excuses pour le tort porté au prophète et à l’islam ;  le roi Mohammed VI du Maroc (le Commandeur des croyants, l’adepte de cet islam du juste milieu loué actuellement pour ses vingt ans de règne) rappelle son ambassadeur auprès du Vatican pour consultations ; le premier ministre turc (déjà Erdogan) réclame des excuses pour des déclarations horribles et malencontreuses ; et enfin, une sœur italienne est tuée en Somalie le 17 septembre, un chef religieux de Mogadiscio lié au mouvement des tribunaux islamiques ayant appelé les musulmans à se venger du Pape, ajoutant que toute personne offensant le prophète Mahomet devait « être tuée ».

Certains musulmans néanmoins apparaissent capables d’associer foi et raison au milieu de ce tumulte : le plus haut responsable du clergé musulman, Ali Bardakoglu, indique :

« Les musulmans doivent apprendre à exprimer leurs réactions de façons sensée, à agir et penser rationnellement ».

Et puis voilà qu’Antoine Sfeir (récemment décédé, il était directeur de la rédaction des Cahiers de l’Orient, et fin connaisseur du Moyen-Orient ; un politologue écouté) publie une tribune intitulée « Non à ceux qui règnent par la terreur sur la pensée musulmane ». Il y écrit en particulier : « L’islam a été au nom d’Allah, un long chapelet de massacres » (le Figaro, 19/09). Et on tend l’oreille : rien, pas de fatwa homicide, pas la plus petite condamnation à mort, pas de menace, pas de lapidation.

Et puis voilà que Robert Redeker (professeur de philosophie) publie, le même jour dans le même journal une tribune intitulée « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre » (Cf le chapitre « 2006 : Certains jouent délibérément à chatouiller la fatwa » dans Histoire de l’islamisation française).  M.Redeker y décrit déjà ce qui est toujours d’actualité :

« L’islam essaie d’imposer à l’Europe ses règles : ouverture des piscines à certaines heures exclusivement aux femmes, interdiction de caricaturer cette religion, exigence d’un traitement diététique particulier des enfants musulmans dans les cantines, combat pour le port du voile, accusation d’islamophobie contre les esprits libres ».

Après avoir rappelé « exaltation de la violence, chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs et polygame, tel se révèle Mahomet à travers le Coran », il conclut :

« Haine et violence habitent le livre dans lequel tout musulman est éduqué, le Coran. Comme aux temps de la guerre froide, violence et intimidation sont les voies utilisées par une idéologie à vocation hégémonique, l’islam, pour poser sa chape de plomb sur le monde »

(finalement, pas très éloignée de la conclusion de M.Sfeir).

Et là, c’est immédiatement l’émeute. M. Redeker est contraint, après menaces de mort, d’arrêter immédiatement son enseignement et de plonger, sous la protection de la police, dans la clandestinité.

Et puis voilà qu’on se rappelle que 2006 en France, c’était aussi l’affaire dite des caricatures de Mahomet. Le 8 février 2006, l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo avait sorti un numéro spécial sur Mahomet, reprenant en particulier des caricatures qui avaient été publiées au Danemark en septembre 2005.

Courant septembre 2005, le journal Jyllands-Posten avait lancé un appel à la fédération des dessinateurs indépendants du Danemark en leur demandant des dessins représentant Mahomet. Cette initiative était une réponse aux difficultés rencontrées par l’écrivain danois Kåre Bluitgen pour faire illustrer son livre pour enfants consacré à Mahomet, depuis l’assassinat de Theo van Gogh aux Pays-Bas en 2004 ; les artistes danois contactés avaient fait part de leur peur des réactions d’extrémistes musulmans. Sur les quarante artistes contactés par le Jyllands-Posten, douze répondent positivement. Et le 30 septembre, le journal publie douze caricatures sous le titre Les visages de Mahomet.

Ce sont ces caricatures qui sont publiées par Charlie Hebdo.

Il faut ensuite lire la chronologie des événements, extrêmement détaillée, jour après jour, et publiée par Wikipedia : plus de vingt pages de réactions musulmanes dans tous les pays du monde, d’actions diplomatiques et gouvernementales variées (dont des boycotts), de menaces, de manifestations et de faits de violences divers. La première victime semble avoir été un prêtre catholique italien en Turquie, le 5 février 2006 : tué par un lycéen de 16 ans qui a indiqué avoir été motivé par l’affaire des caricatures de Mahomet du journal Jyllands-Posten..

Le caractère mondial des manifestations est impressionnant : Londres, Syrie, Djibouti, Liban, Afghanistan, Egypte, France, Belgique, Finlande, Croatie, Thaïlande, Inde, Egypte, Australie…. Une véritable internationale.

Le paroxysme de la violence a bien sûr été atteint le 7 janvier 2015 par l’assassinat de la rédaction de Charlie Hebdo et les autres meurtres associés.

Quelles conclusions opératoires sur les relations entre foi, raison, islam et violence tirer de ces événements de 2006 ?

  • Quand une personnalité de premier plan appelle, dans une démarche délibérément universitaire, à un dialogue interculturel sur la dialectique entre foi et raison, la réponse du monde musulman est l’émeute et la violence. De façon évidente, la dispute théologique, comme la franchise universitaire (franchise : quel beau mot, avec son double sens !) ne relèvent pas des catégories usuelles du monde musulman.
  • De même, quand un intellectuel décrit l’islam comme fondamentalement violent et haineux, pour démontrer que ce propos est violemment faux, les musulmans se précipitent dans des propos et actions violents et haineux ; même basculement (les assassinats en plus) dans la violence quand des caricatures sont publiées en mettant en cause d’abord un dogme de non-représentation de Mahomet !
  • L’islam ne « fonctionne » pas mondialement comme une religion : il fonctionne comme une internationale politico-religieuse. Chefs d’Etat, institutions, mouvements, tout se met en branle pour arriver à cette démonstration du primat du politico-religieux.
  • Dans cette mobilisation de moyens, la menace et l’usage de violence sont d’effet immédiat et constant.
  • Figure de style : au vu des exemples ci-dessus, apparaît-il déraisonnable de penser que la capacité de mobilisation de la raison, du raisonnement philosophique, dans le monde musulman est assez réduite ?
  • Cette violence musulmane sert la stratégie de l’intimidation menée par les institutions musulmanes.
  • Pour ce qui est de l’intimidation, une récompense toute spéciale pour le personnel politique qui a paru le premier affecté. Ainsi, en France, le 7 février 2006, les organisations musulmanes qui demandaient la saisie du numéro de Charlie Hebdo à paraître le 8 février, dont le Conseil français du culte musulman (CFCM), étaient déboutées ; alors même que le gouvernement français tentait de faire interdire le journal en influençant les juges et en leur conseillant d’accepter les plaintes de ces associations et du MRAP.

Et Jacques Chirac s’est avec constance illustré dans cette complaisance. Après la parution de Charlie Hebdo, il a condamné en Conseil des ministres « les provocations manifestes susceptibles d’attiser dangereusement les passions ». A propos de la leçon de Ratisbonne, il a aussi déclaré qu’il fallait « éviter tout ce qui anime les tensions entre les peuples ou les religions ». Dans l’affaire Redeker, son ministre de l’Education nationale Gilles de Robien a déclaré : « Un fonctionnaire doit se montrer prudent et modéré en toutes circonstances ».

Cela rappelle un extrait du texte volontairement polémique et violent de Michel Onfray, Greta la science, publié le 23 juillet 2019 :

« A l’Assemblée nationale, où, semble-t-il, elle a été invitée par un monsieur Orphelin, toujours avec le masque de Buster Keaton, elle a froidement fait la leçon à des adultes qui, se faisant mépriser, ont consciencieusement applaudi. Il faudra un jour réfléchir sur le rôle tenu en politique par l’humiliation chez certains qui jouissent à se trouver des maîtres et à jouir dans la soumission – fasciste, brune, rouge, noire, islamiste ou verte ».

  • Face à l’intimidation, les « intellectuels » se sont, en 2006, bien mieux comportés.

Tout d’abord, il faut noter une sorte de solidarité journalistique pendant l’affaire des caricatures :

En novembre 2005, l’Association mondiale des journaux (WAN) déclarait soutenir l’action du Jyllands-Posten ; ensuite ces caricatures étaient reprises dans plusieurs journaux, y compris dans des pays musulmans : Suède, Belgique, France (publication  dans France-Soir des douze caricatures danoises ce qui provoque le limogeage de Jacques Lefranc, son directeur de la publication de France-Soir), Allemagne (Die Welt, Berliner Zeitung), Italie  (La Stampa), Espagne, Pays-Bas. Mais aussi, donc,  le 17 octobre 2005, publication de six caricatures dans le journal égyptien Al Fagr, pendant le Ramadan, sans aucune réaction ni politique ni religieuse. Publication aussi en Jordanie (Shihaneet Al-Mehwar, et arrestations des deux rédacteurs en chef) ; en Indonésie publication dansPéta ; en Algérie, des caricatures ont été montrées lors d’un journal télévisé (provoquant le limogeage des responsables et journalistes concernés)

Cette solidarité est aussi évidente chez les principaux éditorialistes et chroniqueurs.

Bernard-Henri Lévy publie deux Bloc-Notes, le premier le 27/09 intitulé « Benoît XVI avait raison » ; le deuxième le 9/10 intitulé « Pourquoi Redeker ? ». Dans le premier, il écrit :

« Le pape, il faut le dire et le répéter, n’a pas outragé les musulmans. Le pape, il ne faut pas céder sur ce point, avait le droit comme quiconque de donner son avis sur une religion qui n’est pas la sienne (NDLR : et BHL d’ajouter « mais qui est sœur, cousine, de la sienne » !)… Le problème alors serait de savoir pourquoi ils sont si nombreux à descendre dans la rue quand une autorité spirituelle étrangère propose, dans le cadre d’un débat de fond, une interprétation erronée de leur foi et si peu, si atrocement et tragiquement peu, quand ce sont des musulmans qui comme au Darfour donc ou en Irak tuent d’autres musulmans par milliers aux portes des mosquées. Cette question-là, Benoît XVI ne l’a pas posée. Mais il n’est pas inutile, après lui, de la soumettre à la réflexion de nos amis musulmans ».

Ne mégotons pas sur ce soutien, même si BHL termine son propos par cette constatation qui mériterait, elle aussi, réflexion et dispute (comme cette idée typiquement musulmance du cousinage entre catholicisme et islam):

« Tant il est vrai qu’il n’y aura pas d’autre façon de séparer, dans cette région du monde et de l’esprit, les deux partis : les islamofascistes d’un côté, dont chaque appel au mertre ou au suicide, chaque prêche djihadiste est comme un formidable crachat à la face du Prophète, et, de l’autre, les héritiers d’Averroès et Avicenne, tenants obstinés et parfois héroïques de la douceur, de la rationalité, des Lumières de l’islam ».

Et à propos de Robert Redeker :

« M.Redeker, dès lors que ce texte lui vaut d’avoir sur la tête, au pays des droits de l’homme et de Voltaire, une sorte de fatwa, mérite un soutien total, indiscuté, sans bémol… Nous n’avons d’autre choix, au point où nous en sommes, que de défendre inconditionnellement le chroniqueur du Figaro ».

Le 5 octobre, la philosophe Chantal Delsol publie un texte fort : « Affaire Redeker : en démocratie, le débat ne se contrôle pas ». Elle y écrit en particulier :

« A force de nous cacher volontairement sous le voile du mensonge, d’affirmer qu’il pleut quand on nous crache à la figure, notre peuple de couards finira par faire volontairement tout ce qu’il ne veut pas. Il s’autocensurera de plus en plus, gommant volontairement la liberté de penser, et sera un jour ou l’autre enjoint de vivre à l’encontre de ses propres convictions, à force d’avoir refusé de les défendre. Dans certaines banlieues, dans certaines écoles, ce renoncement a déjà commencé ».

Et à propos des menaces de mort prononcées contre Redeker :

« Je m’étonne de ne pas voir les autorités musulmanes de notre pays s’indigner les premières et voler au secours du banni. Il y a des silences qui sont des acquiescements. Nous avons sur notre sol une querelle de cultures qui peut se terminer en guerre sanglantesi nous continuons de récuser l’évidence de la différence… Je suis bouleversée de voir un certain nombre de mes compatriotes, et certains parmi les plus haut placés (NDLR : visait-elle J.Chirac ?), laisser entendre avec perfidie que Redeker a mérité ce qui lui arrive. Cela signifie tout simplement qu’ils ont déjà admis la légitimité de la procédure de fatwa. Et que, tremblants de peur, ils finissent par donner raison aux ordonnateurs du ban, afin de ne pas être les prochains sur la liste. Et je ris en pensant que les mêmes nous donnent à longueur de journée des leçons de résistance à propos d’une guerre vieille d’un demi-siècle, où leurs comportements présents montrent si bien qu’ils auraient couru, de trouille, pour approuver servilement les envahisseurs de l’époque ».

De même, le philosophe André Glucksmann écrit le 6 octobre :

« Il appartient aux autorités morales, politiques et confessionnelles, toutes sans exception, de condamner à haute et intelligible voix, sans restriction aucune, les menaces proférées contre Robert Redeker. Dans nos contrées, on ne lapide pas, on n’exécute pas les « mal-pensants ». ».

Le 9/10, Franz-Olivier Giesberttitre son éditorial du Point : « Nous sommes tous des Redeker » :

« C’est clair : désormais, il ne faudra plus écrire qu’en présence de l’imam du coin ou du délégué local de la Fédération des droits de l’homme. Si on n’a pas reçu leur visa de censure, on risque les pires ennuis ».

Et le 27/11, pour finir,  Alain Finkielkraut dans le Figaro « L’affaire Redeker et la blessure de la liberté ». Extrait essentiel :

« Pour avoir mis en cause, sans prendre de gants, la violence de l’islam, le philosophe Robert Redeker a perdu la liberté d’enseigner et celle d’aller et venir. Menacé de mort par des fanatiques sans frontières, il vit protégé, c’est-à-dire prisonnier. Cette séquestration épouvantable, cette menace Internet, cette intimidation de la vie de l’esprit, cet affront sans précédent à la souveraineté nationale ont suscité certes des réactions mais des réactions embarrassées, des réactions timides, un soutien du bout des lèvres à l’homme traqué. On l’a défendu avec les pincettes du dégoût…. Il est plus que temps de libérer le ouià Redeker du maisqui l’entrave, qui l’étouffe et qui finalement le bâillonne. Si nous ne voulons pas laisser s’instaurer dans l’espace public le règne de l’autocensure, notre soutien doit être inconditionnel. La critique de l’islam esquissée par Redeker est-elle pertinente ? Ce n’est pas l’invalider, en tout cas, que de vouloir, au nom du Coran, punir de mort celui qui affirme que le Coran est violent. »

A l’occasion de la relecture de ces tribunes (qui donnent aussi du grain à moudre dans la lutte fameuse contre les stéréotypes, du genre Le monde merveilleux de l’Espagne musulmane…)  on apprend d’ailleurs que, au début du mois d’octobre 2006, l’Opéra de Berlin avait déprogrammé Idoménée de Mozart, opéra critiquant toutes les religions mais supposé offenser en particulier les musulmans. Ce qui nous ramène étrangement à cette pièce d’Eschyle, les Suppliantes, annulée au dernier moment à la Sorbonne le 25 mars 2019 pour cause de l’usage de masques et maquillages noirs par des acteurs blancs.

Il faut se réjouir de la quasi-unanimité des réactions des intellectuels français en 2006. 13 ans après, 4 ans après « Je suis Charlie », avons-nous l’impression que cette résistance serait encore à niveau ? Ce qui est sûr, c’est que plus personne ne prendra le risque de publier une caricature de Mahomet ; et avec les arrière-pensées contenues dans des initiatives comme la proposition de loi de Mme Avia, la condamnation pour blasphème ou pour islamophobie n’est pas très loin. Les hommes politiques sont décidément un maillon faible de la résistance culturelle et civique.

Et au fait, pourquoi aucune violence, aucune menace, aucun meurtre après le texte d’Antoine Sfeir ?

Parce que dans ce texte (où il écrivait aussi : « La fièvre qui s’est emparée du monde musulman depuis les années 1970 se réfère de plus en plus exclusivement à cette période médinoise, qui, en aucun cas, ne reflète et ne représente la seule face de l’islam. Période démentie dans les faits par sept siècles de présence lumineuse de l’islam en Andalousie, sous réserve de la dhimmitude dans laquelle sont néanmoins restés confinés les gens du livre » et reconnaît aussi que « depuis lors, cet islam semble avoir été occulté, rejetant la raison »), la phrase proposée était un faux.

La vraie phrase écrite par Antoine Sfeir était :

« Comment leur dire que les propos du Pape appelaient au dialogue et à la raison ? Benoît XVI en sait quelque chose, lui dont l’institution a été, au nom de Dieu, un long chapelet de massacres » !

Cet artifice pour simplement mettre à nu la différence essentielle entre le monde de culture musulmane et le monde de culture chrétienne, entre la foi chrétienne et le système politico-religieux musulman : la violence –avant toute raison- est bien une des cartes maîtresses de la foi musulmane comme élément indissociable d’un système politico-religieux. Ce qui varie, ce sont les conditions d’opportunité et de dynamique qui rendent la mise en évidence et l’usage de cette violence plus ou moins forts.

Et c’est bien pourquoi, ce qui est difficilement compréhensible, ce n’est pas qu’un non-musulman soit islamophobe (qu’il ait peur de l’islam). C’est qu’il ne le soit pas.

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