De nombreux chercheurs estiment que la langue yiddisch s’est constituée dans les communautés juives de Rhénanie au 9ème siècle.
Deux événements antiques avaient historiquement provoqué le départ des juifs de Judée et leur arrivée dans des régions d’Europe : d’abord la violente destruction de Jérusalem et de son temple en l’an 70 de notre ère, puis la dévastation opérée par l’empereur Hadrien en 135 qui après avoir exterminé une partie de ses habitants donne le nom de Palestina à la terre d’Israël. Les anciens Judéens ont d’abord été dispersés dans tout le bassin méditerranéen, puis ils ont gagné les villes d’Allemagne au 9ème siècle ap. JC. Ils se sont installés à Cologne, Mayence, Worms, Spire, Trèves et Ratisbonne.
C’est dans ce cadre que se forme la langue yiddisch, à partir de l’allemand ancien, avec des termes hébraïques, araméens, et même avec quelques mots issus de langues romanes vestiges d’un parcours d’exil.
Ainsi, le yiddisch présente une parenté avec les dialectes germaniques, et, à la limite, un Bavarois ou un Suisse allemand pourrait en comprendre un certain nombre d’expressions. Si le yiddisch s’est écrit en caractères hébreux, c’est une langue de fusions linguistiques riches, comme le remarque le spécialiste Max Weinreich.
La première inscription en yiddisch date de 1272, c’est une prière présente dans le mahzor de Worms. Quant au premier texte vraiment littéraire rédigé en yiddisch, il s’agit du manuscrit de Cambridge (1382). Toute une littérature composée de poésies et d’extraits de la Bible se développe à cette époque.
Lorsque les communautés juives d’Allemagne se déplacent vers l’Europe centrale au 14ème siècle, le yiddisch intègre des expressions slaves de la vallée du Danube, de la Bohème-Moravie, mais aussi de la Pologne et de la Lituanie.
Avec l’essor de l’imprimerie au 16ème siècle, les traductions de l’Ecriture sainte en yiddisch se multiplient. Ce sont des traductions littérales, au mot à mot, qui suivent minutieusement le texte hébraïque originel, avec un rythme différent de celui de la langue allemande. Parmi ces traductions intégrales, mentionnons celles en 1544 d’Augsbourg et de Constance, puis en 1560 de Crémone et de Bâle. Des ouvrages sont publiés à Prague, Lublin, Amsterdam. Un des plus connus est celui de Bâle (1622) le tsenerene, rédigé par Jacob ben Isaac Ashkenazi, un célèbre commentateur de la Bible.
Au 18ème siècle, les juifs d’Allemagne et d’Autriche délaissent quelque peu le yiddisch toujours présent dans les milieux populaires, tandis que les élites cultivées sont attirées par les nouvelles idées rationalistes et se réfèrent à l’allemand. Parallèlement, le mouvement hassidique du 18ème siècle met en avant la sacralité de l’hébreu biblique et produit des recueils légendaires tels que les Shivhei ha besht, et des écrits inspirés de la kabbale (rabbi Nahman de Breslau) de grande qualité poétique et irénique.
Au 19ème siècle, marqué par l’essor industriel et l’extension urbaine, le yiddisch devient la langue des milieux populaires juifs. Il est le moyen de communication privilégié du Bund, le mouvement ouvrier juif de Pologne. 3 millions de juifs polonais parlaient yiddisch. Avec les vagues d’immigration vers les Etats Unis, on voit apparaître de nouveaux pôles de culture ashkenaze.
Une nouvelle version du yiddisch se développe à partir de la Lituanie, c’est la klal schprakh avec sa syntaxe, ses règles, qui uniformisent les variantes dialectales antérieures. Cette modernisation de la langue est opérée par Samuel Joseph Finn qui dans les années 1870, avec d’autres spécialistes lituaniens, facilite ainsi la promotion de la littérature juive en yiddisch. Parmi les auteurs les plus connus, Mendele Moicher Sforim, Sholem Aleikhem, Isaac leib Peretz démontrent que le yiddisch n’est pas un simple dialecte de ghetto populaire, mais aussi une langue créative de culture, de recherche et de connaissances.
Au 20ème siècle, Israel Zinberg publie à Vilnius la Geschichte der yiddischer Literatur dans les années 30. Un institut scientifique yiddisch avait été créé à Berlin en 1925, mais avec les événements, il doit s’exiler à Vilnius, puis à New York en 1940. Il était devenu un centre d’études de l’histoire des Juifs d’Europe orientale.
Lorsque la révolution communiste donne naissance à l’URSS en 1917, il existe 150 journaux en yiddisch. Fin des années 20, Staline crée une région autonome juive au Birobidjan, en Sibérie orientale, dont la langue officielle est le yiddisch.
Aux USA, la langue yiddisch a connu un grand développement après la 1ère guerre mondiale. Un de ses promoteurs, Isaac bashevis Singer émigré en 1935, sera prix nobel de littérature.
A la fin des années 30, 3,5 millions d’individus parlent yiddisch en Union Soviétique, 3 millions en Pologne, 800000 en Roumanie, 300000en Hongrie, 180000 en Lituanie. Et 4 millions de juifs américains.
Le yiddisch a pratiquement disparu d’Europe avec la Shoah. A la veille de la seconde guerre mondiale, il est établi que onze millions de personnes parlaient yiddisch. En URSS, entre 1940 et 1950, une violente répression cible les locuteurs yiddisch. En 1948, les institutions sont fermées, y compris les écoles en Lituanie, Biélorussie et Ukraine. Les auteurs yiddisch sont interdits.
Aujourd’hui, on peut estimer à environ 2 millions de personnes le nombre de locuteurs yiddisch, en Europe, aux USA et en Israël. Il existe depuis quelques décennies un regain d’intérêt pour le yiddisch en tant que mémoire de culture juive de l’histoire ashkenaze. Aujourd’hui, en Pologne, la musique klezmer rencontre un certain succès auprès de la population jeune.
Des échanges célèbres en yiddisch eurent lieu entre Elie Wiesel et Aaron Lustiger archevêque de Paris. Il y avait entre eux une grande estime et une proximité culturelle. Leur appel aux plus hautes valeurs spirituelles dont notre temps a tant besoin n’a pas été souvent entendu : « es is keyn toyb mentsch vos vil nicht hern ! »
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.
Il est sympa, votre article culturel sur le yiddish, M. L’Abbé.
Les noms d’auteurs que vous citez m’en rappellent, tout d’un
coup, deux autres, que nous tâchions de traduire au cours de
yiddish que nous avions créé, avec nos deux profs les deux
Michel, à l’intérieur du “département d’hébreu”: P. Markish
et I. Katzenelson. Cela se passait à Paris 8 Vincennes.
Cette langue m’apparaissait plutôt facile, et propre à la
poésie, tout comme les chants de Hazanout, ou les tableaux
de Chagall. Cela constituait un monde, en somme.
Pour un meilleur entraînement, il nous arrivait d’acheter
“Unzer Wort” qui paraissait encore, à Paris.
Pour pratiquer, cependant, nous avions un réel problème:
le manque de locuteurs: nous n’y avions pas pensé.
Je viens de regarder, pour une fois, le site de “l’Humanité”:
il raconte, brièvement l’histoire de la “Naïe Presse”.
C’est intéressant.
Les parutions ont cessé, dans les années 90, faute de lecteurs.
Quant au klezmer, il semble que cela plaise parce que c’est
une musique métissée.
En 1970 , 71 , 72 … j’emmenais mon fils au bac à sable du square de la Place des Vosges de Paris , et là , le yiddish fleurissait les conversations des groupes de personnes âgées …
belle et douce musique d’ambiance .
@ L’Enjoué
Et moi je me souviens, alors en vacances en Allemagne, avoir entendu chanter en yiddisch à Berlin, Unter den Linden. On m’a dit que c’était très fréquent, et que les anciens quartiers juifs berlinois renouaient également avec leur héritage juif (à l’époque où je suis passée à Berlin, fin des années 90, un très ancien cimetière juif était en train d’être réhabilité et un grand musée de la Shoah avait ouvert ses portes).
Pour ceux qui aiment aussi la musique yiddisch, que j’ai découverte également en Allemagne, je recommande les CD de Chava Alberstein.
Il est totalement ridicule d’écrire que Elie Wiesel et le cardinal Jean-Marie Lustiger auraient pu s’entretenir en yiddish (yiddisch est un peu bizarre!). On peut s’interrogr sur ces rumeurs impossibles car le prélat connaissait l’allemand, mais n’avait pratiquement aucune notion de yiddish sinon les quelques mots entendus çà et là.
Vous oubliez un chose, monsieur l’abbé, bien plus délicate à écrire quand il est question de parler du yiddish. Ce sont les franciscains qui ont rédigé les premières grammaires de la langue.
le ridicule est dans votre remarque qui tombe vraiment à côté de la plaque: le cardinal Lustiger parlait le yiddish, je l’ai entendu moi-même qui le rencontrais de temps à autre. Il allait souvent en Israël et rencontrait des ashkenazes, et échangeait en yiddish.
mais il parlait également l’allemand, c’est vrai.
en fait le mot yiddisch que vous trouvez bizarre ne l’est pas: en allemand (d’où vient le mot) on dit jiddisch-daitsch (jüdisch-deutsch).
le sh est anglophone, pas germanophone.
Question à l’intention du Révérend AR. ARBEZ : Comment faut il interpréter la “chûte” de votre articler : ” Il n’est de pire sourd que celui qui ne veut entendre ” ou plutôt : “cela même un sourd pourrait l’entendre ” (??? )
Amicalement vôtre G. Marçu
Très intéressant.
Avez vous un article similaire sur le langage judéo-espagnol ?
Merci
Bonjour,
Je pense que Yiddish est né en Alsace, il a même existé à Strasbourg (j’ai oublié son nom) et publiait de vieux texte Yiddish alsaciens.
Cette langue a prix des variantes au fur et à mesure de sa migration vers l’est
Cordialement
Gérard MARX
[email protected]
oui, il y a plusieurs variantes au départ, en fonction de dialectes germaniques locaux et d’emprunts extérieurs divers, mais la langue s’est unifiée.
Le judeo-alsacien est une variante du yiddish, lui même issu du moyen-haut-allemand de la vallée du Rhin. Si vous vous intéressez au judeo-alsacien, voici le site Le judaïsme d’Alsace et de Lorraine-rubrique dialecte, (que peut-être vous connaissez déjà!):
http://judaisme.sdv.fr/
Amicalement,
merci!
(mes ancêtres ont quitté la Rhénanie pour se réfugier dans le canton de Vaud il y a quelques siècles…)