Publié par Eduardo Mackenzie le 8 août 2019

Le président de la Colombie, Ivan Duque, est arrivé de son voyage officiel en Chine Populaire comme un Père Noël : chargé de cadeaux pour tous. Des fleuves de lait et de miel vont bientôt couler, a-t-il dit, entre le géant asiatique et la Colombie. Nos exportations vont augmenter de façon spectaculaire. Pékin nous achètera des milliers de tonnes de café, de viande, d’avocats et de bananes. Le tourisme triplera et une trentaine d’entreprises chinoises nous construiront l’énorme autoroute Buenaventura-Puerto Carreño (prévu dans le plan Mar2) et contribueront à rendre le fleuve Magdalena navigable.

Ce n’est pas tout. Une centaine de jeunes pourront se rendre en Chine pour étudier l’anglais, le design, la photographie et la muséologie gratuitement (et pas des ingénieries?). Le cadeau le plus émouvant, qui a fait pleurer des esprits sensibles : Pékin donnera 3 000 panneaux solaires à la Colombie pour «mettre fin à l’isolement électrique» de petits villages, a déclaré le président Duque.

Est-ce vrai tant de beauté ? Hélas trois mille panneaux solaires sont une goutte d’eau. Pour donner de l’électricité aux villages les plus pauvres, ce nombre doit être multiplié par cent. Le contenu de ce « cadeau » est plutôt une incitation à l’achat massif de ces panneaux. Et à quels prix ? Moins dithyrambique, la presse économique européenne affirme que les résultats concrets de la visite de Duque en Chine sont modestes : une légère augmentation (éventuelle) des exportations de bananes et de café. C’est tout. Le reste n’est qu’effet d’annonces, promesses et bonnes intentions.

Quant à l’exportation de bétail et de viande, Duque n’a rien pu signer. La presse a déclaré que dans cette rubrique, une seule chose était convenue: des techniciens chinois iront pour voir les cheptels et pour observer comment les Colombiens travaillent dans les fermes. La Chine n’est pas un grand pays d’élevage. Les « techniciens » viendront-ils nous apprendre à travailler ce secteur ? Cela me rappelle un accord insensé que JM Santos a signé avec le Vietnam: des techniciens vietnamiens viendraient en Colombie pour nous apprendre à cultiver le café !

Bref, la visite de Duque à Pékin a été un succès pour Xi Jinping. Mais ce sera-t-il aussi pour la Colombie ?

Duque a présenté ce voyage comme un grand acte de sa politique internationale. Il se voit comme les présidents d’autrefois quand ils se rendaient aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie pour améliorer les relations commerciales et bilatérales.

Mais un voyage officiel en Chine populaire est une chose très différente. La Chine n’est pas un pays démocratique, c’est un État totalitaire, fort, ambitieux, avec un appétit énorme. Sa capacité commerciale est un levier supplémentaire pour ses objectifs impériaux. La Chine de Xi Jinping n’a qu’une obsession : imposer sa domination sur la planète. Le projet des «nouvelles routes de la soie» est la manière poétique de dévoiler ce plan hégémonique. Pékin utilise sa main-d’œuvre bon marché (et même esclave dans certaines endroits), ainsi que son capitalisme d’État et sa capacité à jouer avec les taux de change de sa monnaie pour ruiner les marchés, l’industrie et l’artisanat des pays développés et du tiers monde. L’Afrique, mais aussi l’Europe et l’Amérique latine, savent combien leur a coûté la fameuse mondialisation que Xi Jinping applaudit tant. La Colombie a été victime de ce système. Les États-Unis étaient sur la même planche savonneuse. Ils étaient en train de perdre leur dynamisme, leurs marchés, leurs emplois, leur matière grise, leurs brevets et, surtout, leur arsenal numérique, jusqu’à l’arrivée de Trump. La haine anti-américaine qui plonge les médias progressistes du monde a une origine: Pékin et son vassal Moscou ne veulent pas que quiconque arrête ces plans que le PC chinois vend comme étant inévitables.

Duque et son ministre Trujillo, aux affaires étrangères, ont-ils pensé à cela lorsqu’ils ont accepté de faire le pas vers la Chine de Xi Jinping ? Il n’y a pas un seul signe de discussion, dans ce domaine, dans le palais de San Carlos. Dans la presse non plus. Le voyage impromptu et naïf de Duque en Chine rappelle un épisode du passé: ce qu’a fait l’ancien président Carlos Lleras Restrepo qui a rétabli les relations diplomatiques de la Colombie avec l’URSS. Il disait qu’une telle ouverture allait «rééquilibrer la balance des paiements de la Colombie ». Lleras n’était pas candide. Il était un homme d’Etat compétent et un fin connaisseur de l’économie internationale. Pourquoi s’est-il embarqué dans ce mirage ? Voici l’un des mystères colombiens jamais résolus. La vérité est que la Colombie n’a rien gagné de ses relations commerciales avec l’URSS totalitaire, en expansion à l’époque, ni avec l’Europe de l’Est, bien au contraire ; mais ceci est une autre histoire.

En ouvrant les portes à la Chine communiste, la Colombie devrait y réfléchir à deux fois.

La Chine de Xi Jinping cherche à dominer le monde en imposant son contrôle sur l’intelligence artificielle et la future 5G, capturant au passage des secrets industriels stratégiques, achetant des technologies et des cerveaux dans le monde entier, notamment dans le secteur de l’information numérique, mais aussi en acquérant des terres arables à l’étranger pour produire leur propre nourriture et en achetant même des aéroports (pour les vols directs d’Air China).

C’est dans ce cadre que nous devrions examiner les points qui figurent dans la série d’accords qu’Ivan Duque a signé à Beijing, dans des domaines très sensibles, tels que «énergie et agriculture», «éducation et culture», «travail pédagogique», «infrastructures, transports et commerce électronique » ; «nouvelles technologies», «don de la justice». La façon même dont certains mots sont assemblés devrait nous alerter sur l’idéologie qui les sous-tend.

Cette nouvelle relation avec la Chine va-t-elle isoler la Colombie et nous éloigner des États-Unis et du bloc atlantique ? À une époque où Washington est en pleine bataille commerciale et diplomatique avec la Chine et où Xi Jinping apparaît comme le « sauveur de l’humanité » et le principal soutien des dictatures communistes de Maduro et de Cuba, cette ouverture de la Colombie s’inscrit dans une dynamique pernicieuse. Belle issue de la théorie d’Ivan Duque du « siège » contre Maduro ! Dans tous les cas, la question est la suivante: quel est le rôle que Beijing a prévu pour la Colombie dans ce jeu stratégique ?

La réalité du modèle chinois se voit dans ce que vivent à la fois la population tibétaine et la nation ouïghoure, mais aussi les catholiques chinois et la population han (la nationalité majoritaire) : pas de droits, pas de presse libre, pas de partis politiques (sauf le PCCh) et tout le monde sous la cyber surveillance quotidienne. On le voit dans ses menaces contre Taiwan et, plus récemment, dans sa volonté de violer la politique convenue pour Hong Kong.

Ne faut-il pas en parler franchement dans la presse et sur les médias sociaux ? Jusqu’à aujourd’hui je ne vois rien. Il n’y a que des éloges sur le rapatriement éventuel des prisonniers colombiens (malades) et des critiques justifiées, mais mineures, à l’hommage embarrassant de Duque à l’effroyable dictateur que fut Mao Tsé-tung.

© Eduardo Mackenzie (@eduardomackenz1) pour Dreuz.info. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.

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