Publié par Gaia - Dreuz le 29 septembre 2019
Champs pétroliers de Khurais et Buqyaq Saudi Arabia.  Courtesy of VOA.  Public Domain 

Source : Lebloc-note

« L’Équipe Iran » est une expression introduite par l’auteur du présent  article pour désigner un groupe politique de Washington issu de l’entourage d’Obama, du parti Démocrate et du secteur des média, qui a pris le parti de l’Iran dans ses démêlés avec la Maison Blanche depuis sa sortie de l’accord nucléaire (JCPOA) le 8 mai 2018.

Véritables fantassins américains du régime des ayatollahs, ils assurent une part déterminante de la stratégie politique de Téhéran, la fédération des opinions européenne et nord-américaine contre la ligne de « pressions maximales » de Donald Trump. Celui-ci s’appuie en effet sur le rétablissement des sanctions pour obtenir le retour des Iraniens aux négociations et une révision majeures de l’accord (non signé) de Vienne du 14 juillet 2015. (NdT)

L’Iran est parvenu à faire de la politique étrangère des États-Unis, une arène où se règlent les différends politiques intérieurs.

Pour quiconque s’intéresse de près ou de loin au sort de la planète, il ne devrait pas être difficile de tirer une leçon indiscutable des frappes iraniennes de samedi dernier (*) contre l’Arabie saoudite : il est hors de question que le régime qui a détruit sans vergogne 50% des capacités pétrolières saoudiennes puisse se doter bientôt d’une bombe nucléaire. Imaginez ce qu’un Iran possédant l’arme nucléaire pourrait faire à la production de pétrole dont la planète entière dépend pour son énergie, ses transports et sa nourriture. Y a-t-il quelqu’un pour parier qu’un régime iranien doté d’armes aussi dévastatrices ne les utiliserait pas ? Ce serait une très mauvaise mise. 

Pourtant, c’est exactement comme cela qu’un groupe politique très connu de Washington a choisi de voir les choses. Les champs de pétrole brûlaient encore quand d’anciens collaborateurs de Barack Obama, des responsables du Parti démocrate, des agents politiques et des journalistes, ont déployé tout un arsenal de tweets, de citations et d’éditoriaux pour masquer cette opération militaire visant les approvisionnements du monde en pétrole. A une autre époque, l’idée d’une campagne de communication pour justifier une opération visant à augmenter le prix du pétrole et à terroriser un allié traditionnel des États-Unis serait imputée à quelques nihilistes des campus un peu dérangés. Mais dans le jeu politique à somme nulle de Washington, une attaque contre l’Arabie saoudite est désormais une bonne nouvelle, non pas parce qu’elle profite à l’Amérique ou aux Américains en quoi que ce soit, mais parce qu’elle est bénéfique pour l’Iran. C’est stupéfiant, n’est-ce pas ?

La confusion officielle entre les intérêts des États-Unis et ceux de l’Iran est l’aboutissement de l’accord nucléaire de 2015 avec l’Iran, officiellement connu sous le nom de Plan d’action global conjoint (JCPOA), une initiative de politique étrangère de M. Obama. Le but du JCPOA était de gratifier les Iraniens de pots-de-vin pour retarder la fabrication de leur bombe jusqu’à la fin du mandat d’Obama. La future bombe iranienne était de fait légitimée tandis que les caisses du régime se garnissaient de centaines de milliards de dollars. Cet accord a permis d’armer et de financer Téhéran que M. Obama considérait comme le nouvel allié de l’Amérique dans la région.

À tort ou à raison, M. Obama croyait que c’était là l’intérêt des États-Unis. Réduire la présence américaine dans la région exigeait un partenariat avec une puissance capable de prendre la relève. Du point de vue d’Obama, cette puissance ne pouvait être que l’Iran : l’Arabie saoudite n’était pas une puissance militaire, l’Irak vivait dans le chaos, l’Égypte était politiquement instable et Israël voué à l’échec dans ce rôle. Obama présentait donc l’Iran comme le gardien des intérêts régionaux américains, même si cette place lui était octroyée au détriment des alliés traditionnels des États-Unis. C’est ce qu’Obama entendait par “ l’équilibre régional “. 

Au Moyen-Orient, le JCPOA a subordonné les intérêts américains à ceux de la République islamique. Sur le plan intérieur, il a aligné les partisans de la politique étrangère de M. Obama sur les diplomates, les agents et les propagandistes de la République islamique d’Iran, dont la mission était de promouvoir le rapprochement. Le résultat a été la fusion de ces deux groupes d’intérêts, l’un national et l’autre étranger, dans un  nouveau lobby, l’Équipe Iran. 

L’Équipe d’Iran est parvenue à occuper la place d’adversaire de Donald Trump, ce qui a sans aucun doute contribué à son élargir son influence à Washington. Si vous êtes contre l’Iran, vous êtes avec Trump. Mais pourquoi s’acoquiner avec l’Iran si votre objectif est de quitter la région, un désir partagé en fait par Trump et Obama ? L’idée que l’Iran s’acharnait en permanence à saper l’emprise américaine sur la région était le point de départ des analyses du gouvernement américain. Elle faisait largement consensus parmi les conseillers en politique étrangère du premier mandat de M. Obama, comme le secrétaire à la Défense Robert Gates, la secrétaire d’État Hillary Clinton, et le chef de la CIA puis secrétaire à la Défense, Leon Panetta. Ce constat était renforcé par les slogans comme « Mort à l’Amérique », omniprésents lors des rassemblements gouvernementaux (ou autres) en Iran. 

Alors, comment décrire les forces déployées face à l’Équipe d’Iran ? On ne peut pas vraiment les appeler « Équipe Saoud » ou « Équipe Israël ». Comme l’a fait remarquer à juste titre M. Obama, ces deux pays n’ont ni l’ambition ni la capacité de rassembler de nombreux partisans. En revanche, l’Iran, en a réussi à galvaniser un grand nombre d’appuis dans la région et au-delà, grâce à une violence colorée d’une idéologie de “Résistance” relativement cohérente.

Ceux qui s’opposent à l’Équipe Iran ne sont que les adeptes du statu quo, les architectes mondains de la politique américaine au Moyen-Orient depuis huit décennies dans les administrations républicaines et démocrates. De ce point de vue, l’Arabie saoudite et Israël appartiennent à un dispositif de sécurité parrainé par les États-Unis auquel il faut adjoindre des alliés traditionnels de l’Amérique comme l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis, et même la Turquie. Pour imposer son option de réalignement, l’Équipe Iran a pris pour cible les piliers traditionnels de l’ordre régional voulu par l’Amérique, introduisant dans la politique étrangère US au Moyen-Orient les affrontements politiques intérieurs.

Pour sa part, Trump a défendu le système d’alliances traditionnel basé sur une combinaison de réalisme et d’idéalisme caractéristique de la politique étrangère américaine. 

Par exemple, l’Arabie saoudite est un allié pour des raisons réalistes. Le partenariat américano-saoudien n’est pas fondé sur les sentiments, mais sur l’intérêt national, en particulier économique. Comme l’a expliqué Trump l’an dernier, les Saoudiens sont importants, parce qu’ils dépensent de l’argent pour acheter des produits américains, dont des armements, ce qui maintient des Américains dans l’emploi. 

Le soutien des États-Unis à Israël est fondé à la fois sur le réalisme et l’idéalisme. Israël, une démocratie, partage des valeurs similaires à celles de l’Amérique. De plus, en tant que force militaire et économique la plus importante de la région, avec un secteur technologique et de capacités de renseignement de pointe, Israël a beaucoup à offrir aux États-Unis. 
Dans de récents articles de Tablet, j’ai décrit les grandes lignes de la politique iranienne de Trump et les différents défis qui la façonnent. En particulier, Trump doit trouver un équilibre entre deux parties de sa base, bien différentes et en grande partie inconciliables : d’une part, les faucons républicains traditionnels et, de l’autre une aile isolationniste qui critique à juste titre les engagements militaires des États-Unis au Moyen-Orient, inutiles du point de vue stratégique et excessivement coûteux.

Dans le présent article, cependant, je veux évaluer ce qui se passe de l’autre côté. Alors que la politique iranienne apparemment maximaliste du président – pas de bombe atomique, à jamais – exige le temps et les moyens d’actions fournis pas une réélection, la stratégie de l’Équipe Iran est fondée sur la conviction que Trump aura quitté la scène d’ici 2020. Auparavant, des interlocuteurs américains de l’Iran comme l’ancien secrétaire d’État John Kerry, avaient conseillé à leurs homologues de Téhéran d’être patients. Les attaques de la semaine dernière suggèrent que Téhéran pense qu’il peut forcer la donne en mettant Trump face à une série de choix difficiles. 

L’Équipe Iran veut que Trump allège les sanctions et/ou autorise l’initiative française consistant à accorder à Téhéran une ligne de crédit de 15 milliards de dollars, ce qui équivaudrait probablement à une levée des sanctions. L’intérêt supplémentaire d’un allègement des sanctions, dans l’optique de l’Équipe Iran, c’est qu’il dresserait la base « faucon » [républicaine] contre Trump. Si au contraire Trump se risquait à une nouvelle escalade, il devrait choisir entre  une guerre ou un ralentissement économique dû à l’instabilité du marché pétrolier, les deux options étant susceptibles de nuire à ses chances de réélection. Ce n’est pas exactement une campagne de “pression maximale” contre Trump, mais on n’en est pas loin.

Trump a externalisé les opérations militaires contre les groupes commandités par l’Iran, en les laissant entre les main d’Israël. De la même façon, l’Iran a transféré une composante majeure de sa stratégie contre Trump dans la sphère politique. [Il a mobilisé pour cela] la diplomatie européenne ainsi que les initiatives de free-lance américains, qui initient des rencontres entre Kerry et les responsables iraniens et européens. Cependant la propagande et les campagnes d’information gérées par les agents américains, l’Équipe Iran, jouent le rôle le plus déterminant pour le succès du volet politique de la politique iranienne. [Elles s’exercent] en direction de deux publics cibles bien identifiés: les électeurs américains et les alliés [européens] de l’Amérique.

Ces publics sont vulnérables à la désinformation à cause de leurs préjugés, par exemple leur haine débridée de Trump. Leur vulnérabilité est accentuée par la difficulté du président à communiquer clairement, même avec ses supporters. Une partie du problème vient des brouillards épais répandus par la désinformation politique d’une presse particulièrement hostile. Mais elle est aussi le résultat du style propre de Trump, à la fois calculé et chaotique. Il est parfois ouvert à une rencontre avec les Iraniens, parfois en accord avec l’initiative française, etc. La facilité avec laquelle il semble promouvoir des positions changeantes a pour but de faire triompher sa version maximaliste du compromis. C’est peut-être une bonne tactique de négociation, mais elle laisse à l’Équipe Iran le temps nécessaire pour diffuser ses propres messages et embrouiller les publics qu’elle vise.
La propagande de l’Équipe Iran manipule généralement le langage de la démocratie, du libéralisme et des droits de l’homme pour donner une image négative des alliés traditionnels des États-Unis et en regard, positiver celle de l’Iran. [Elle n’a pas de scrupules à ] œuvrer pour le compte d’une théocratie qui parraine le terrorisme et enferme des centaines de milliers de ses propres citoyens dans des cachots et des chambres de torture pour des délits d’opinion.

L’année dernière par exemple, l’Équipe Iran a pris connaissance du meurtre de Jamal Khashoggi, un officier vétéran des renseignements saoudiens, commis par des officiers des mêmes services,. Elle y a vu une occasion de briser l’alliance américano-saoudienne et elle a monté une campagne de communication, prétendant que le prince héritier Mohammed ben Salman d’Arabie saoudite était personnellement responsable du meurtre de Khashoggi. Ce dernier était présenté à tort comme un journaliste dissident, un détenteur de la carte verte américaine, sans révéler son rôle dans le renseignement saoudien. Ainsi, Trump a-t-il été efficacement poussé à prendre ses distances avec Riyadh. L’objectif était d’imposer au successeur d’Obama un réalignement de sa politique, volontairement ou pas..

Israël est également vulnérable à la guerre de l’information coordonnée par des agents politiques et menée avec complaisance par une presse à l’échine souple. Le rapport anonyme de la semaine dernière affirmant qu’Israël espionnait Trump et son entourage n’avait aucun sens, mais il faisait partie d’une opération en cours pour semer la méfiance entre le président et le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Dans un long essai publié par le Washington Post, Robert Kagan dénigrait Netanyahou, affirmant que sous sa direction Israël succombait à des dérives autoritaires. De plus, l’ancien néoconservateur écrivait qu’Israël n’est pas un véritable allié des États-Unis. Il n’aurait lancé des frappes « contre des alliés de l’Iran en Syrie et en Irak que lorsque ses propres intérêts ont été directement menacés. ” Pour Kagan, “c’est peut-être tout à fait justifié, mais cela ne fait pas d’Israël un atout pour les États-Unis.” D’ailleurs il suggère avec désinvolture que “l’Iran ne représente qu’une faible menace pour les États-Unis.

Les attaques de samedi ont clairement révélé le plan de l’Iran pour mettre Trump à genoux, mais aussi l’anatomie de ses agents autochtones réunis dans l’Équipe Iran. D’abord, les rebelles yéménites Houthis, soutenus par l’Iran, ont immédiatement revendiqué la responsabilité de l’opération.

Lorsque le secrétaire d’État Mike Pompeo a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve que les attaques venaient du Yémen, les responsables démocrates se sont empressés de couvrir l’Iran en soutenant les affirmations des Houthis.
Les Houthis ne sont pas la même chose que l’Iran, et les Saoudiens mènent une guerre contre eux au Yémen “, a tweeté Ben Rhodes, l’ancien conseiller d’Obama. Le sénateur Chris Murphy, du Connecticut, a utilisé les réseaux sociaux pour diffuser des argumentaires, ” afin que vous puissiez réfuter l’idée que l’Amérique doit bombarder l’Iran parce que les Houthis ont bombardé l’Arabie saoudite. ” 

Peut-être que les Huthis[sic] sont derrière tout ça “, a tweeté Robert Malley, l’ancien tsar anti-Daech d’Obama. “Ou peut-être que l’Iran est derrière tout ça, comme l’affirme @SecPompeo. Dans les deux cas, la leçon est la même.” C’est à dire que quitter le JCPOA a été un échec et que seul un retour dans le traité peut désamorcer les tensions. Ce qui conduit à payer l’Iran pour qu’il négocie comme le fit naguère Obama. 

Il y a peu de désaccords parmi les Démocrates au sujet du réalignement [de la politique étrangère US sur les intérêts de l’Iran]. Pour eux, le réseau d’alliances traditionnel de l’Amérique dans la région est désormais l’ennemi. “L’Arabie Saoudite n’est pas une alliée des États-Unis” a tweeté Ben Rhodes mardi nuit.

Comme le dernier débat entre les candidats démocrates à la présidence l’ont clairement montré, la restauration du JCPOA est devenue un article de foi au sein du parti au même titre que le contrôle des armes à feu et le droit à l’avortement tardif. L’accord avec l’Iran fait partie du catéchisme politique démocrate, c’est un article de foi. 

Le problème pour l’Équipe Iran, c’est que personne ne peut dire en quoi une alliance avec l’Iran est vraiment bénéfique pour l’Amérique. 

Pour s’en tenir à l’exemple le plus récent, les attentats perpétrés samedi (*) par l’Iran ont conduit momentanément  à la plus forte hausse des prix du pétrole depuis plus d’une décennie. Si l’escalade des Iraniens menace les chances électorales de Trump, c’est dans le but de nuire aux Américains. Et pourquoi les Iraniens veulent-ils faire souffrir les Américains ? Pour contraindre Trump à leur fournir de quoi financer des guerres contre les alliés de l’Amérique. Pensez-y un instant la prochaine fois que vous entendrez les applaudissements de l’Équipe Iran.

Exiger le réalignement, c’est extorquer une protection géopolitique [pour de compte de l’Iran]. C’est pourquoi Trump dit que l’accord avec l’Iran était une catastrophe. C’était une bonne chose pour Obama, car cela empêchait l’Iran d’avoir la bombe pendant son mandat. Mais le JCPOA n’a rien fait de bon pour l’Amérique, ni pour les alliés régionaux qui sont bons pour l’Amérique, ni pour les valeurs américaines. La République islamique n’est même pas capable de faire du bien à son propre peuple. Au lieu de nourrir les Iraniens, le régime clérical s’est servi de la manne financière post-nucléaire pour mener des massacres ethniques en Syrie. 

Il n’y a pas non plus d’argument irréfutable en faveur d’un réalignement stratégique, car Obama s’est trompé dans son calcul le plus fondamental. L’Iran n’est pas en mesure de porter le fardeau [de l’hégémonie régionale.]. C’est l’État théocratique d’une minorité régionale à deux faces, persane et chiite, que ses massacres de sunnites ont mis dans l’impossibilité de projeter son influence dans un Moyen-Orient à majorité sunnite. L’Iran mène une guerre asymétrique par procuration parce qu’il dispose de capacités militaires très limitées. Malgré les centaines de milliards de dollars qui lui ont été alloués suite au JCPOA, l’Iran a eu besoin du soutien de la Russie pour battre les forces rebelles syriennes. 

Même la prémisse la plus élémentaire du réalignement est illogique. Elle implique de renverser le système d’alliances actuel avec les États pro-américains du Moyen-Orient pour s’appuyer sur un régime génocidaire qui est violemment anti-américain au plus profond de lui-même. 

Quelqu’un doit céder. Pour Trump, c’est l’Iran. Pour l’Équipe Iran, c’est nous.

Inscrivez-vous gratuitement pour recevoir chaque jour notre newsletter dans votre boîte de réception

Si vous êtes chez Orange, Wanadoo, Free etc, ils bloquent notre newsletter. Prenez un compte chez Protonmail, qui protège votre anonymat

Dreuz ne spam pas ! Votre adresse email n'est ni vendue, louée ou confiée à quiconque. L'inscription est gratuite et ouverte à tous