Publié par Gaia - Dreuz le 17 octobre 2019

Source : Marianne

L’ancienne ministre socialiste de la Culture Fleur Pellerin a été nommée au conseil d’administration de Reworld Media, repreneur du groupe de presse Mondadori dont les méthodes ont déjà fait fuir 190 des 320 journalistes que comptaient les rédactions de titres comme “Auto Plus”, “Grazia”, “Closer”, “le Chasseur français”, “Science & Vie”…

Dans une brasserie parisienne, ce mardi soir, les journalistes se sont réunis une dernière fois avant de quitter le navire Grazia et le groupe de presse Mondadori France : “C’est un peu les adieux de Fontainebleau. Pas une Demolition party, parce qu’on ne va rien casser“, sourit malgré tout Bertrand Rocher, ancien chef de la rubrique actualité du magazine de mode. La veille, ce lundi 14 octobre, les anciens de Mondadori ont appris, amers, l’arrivée au conseil d’administration du groupe Reworld Media, repreneur depuis le 31 juillet de la branche française du groupe média possédé par la famille Berlusconi, d’une certaine… Fleur Pellerin. “Qu’une ancienne ministre de la Culture prête son prestige à une entreprise d’équarrissage de journaux nous donne la nausée“, cingle Bertrand Rocher.

Je suis très heureuse de pouvoir contribuer à cette aventure entrepreneuriale remarquable.Fleur Pellerinex-ministre de la Culture

En poste à la Culture de 2014 à 2016, la fondatrice de Korelya Consulting, reconvertie dans la direction d’un fonds d’investissement dans les start-up technologiques pour le compte d’un géant du web sud-coréen, a en effet été cooptée par le conseil d’administration de Reworld Media, les 4 et 10 octobre, indique un communiqué du groupe, qui a donc pris le contrôle de titres comme Auto Plus, Pleine Vie, Grazia, Closer, le Chasseur français ou encore, Science et Vie. “Je suis très heureuse de pouvoir contribuer à cette aventure entrepreneuriale remarquable“, se félicite Fleur Pellerin dans le même communiqué.

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En fait d’“aventure entrepreneuriale, Reworld est surtout connu pour être un fossoyeur en série de rédactions, avec une méthode déjà éprouvée sur plusieurs titres du groupe Lagardère (BeAuto-Moto) : racheter des titres – pour 70 millions d’euros dans le cas du groupe Mondadori –, les vider de leurs journalistes et utiliser la notoriété de ces marques pour vendre du contenu à des annonceurs, sans aucun scrupule éditorial. “Eux, ils parlent de marque, pas de presse, ils pourraient vendre des savonnettes, ce serait la même chose. Le projet, c’est la conversion vers des ‘contenus de marques’, soit l’information complètement phagocytée par la publicité“, tance Yves Corteville, ancien premier secrétaire de rédaction à Pleine vie et délégué SNJ-CGT Mondadori.

Est-ce que Marie France existerait encore sans Reworld ? Plusieurs personnes présentes à l’époque seraient bien embarrassées pour répondre“, défend l’entourage des patrons de Reworld, Pascal Chevalier et Gautier Normand, quant à eux injoignables. Les procédés du groupe ne semble pas émouvoir Fleur Pellerin : “Le secteur des médias connaît un bouleversement inédit, marqué par une crise de son modèle économique et une dispersion de son lectorat, explique l’énarque dans le communiqué. Peu d’acteurs traditionnels ont su mesurer l’ampleur de ces changements et surtout réagir en s’y adaptant. Au contraire, le groupe Reworld Média, fort de son expérience dans le digital, dessine les contours d’un paradigme nouveau et plein de promesses.

190 JOURNALISTES PARTIS

Résultat de ce “paradigme nouveau” : sur les 320 journalistes en CDI chez Mondadori France, 190 ont choisi de faire jouer la clause de cession ouverte à l’occasion du changement d’actionnaire, préférant les indemnités de ce dispositif légal prévu en cas de changement de propriétaire d’un média aux méthodes d’abattage déguisées en mutation numérique qu’ils anticipent. Clause qui n’a été ouverte que pour une durée inhabituellement courte de deux mois. “Ils ont délibérément créé un effet de panique. A aucun moment, Pascal Chevalier et Gautier Normand n’ont cherché à rassurer, ils sont passés dans les rédactions début octobre, une fois la clause de session terminée“, dénonce Dominique Carlier, journaliste à Auto-Plus et élu CGT du groupe Mondadori.

“Songer qu’une ancienne ministre de la Culture estime que Reworld puisse être l’avenir de la presse, ça nous fait frémir”

Quid des “promesses” de succès numérique évoquées par Fleur Pellerin ? Selon Yves Corteville, Reworld “est très loin du champion digital qu’il prétend être“. “Il faut regarder les chiffres : la plupart des bénéfices de Reworld pour la partie média provient des ventes en grande surface”. Pour le représentant syndical, la pilule Pellerin a bien du mal à passer : “Songer qu’une ancienne ministre de la Culture estime que Reworld puisse être l’avenir de la presse, ça nous fait frémirElle pense sûrement que le monde des start-up va sauver la presse, grand bien lui fasse. Nous, nous pensons qu’il faut des journalistes”.

L’hémorragie des effectifs a été terrible pour certaines rédactions, privées de la quasi-intégralité de leurs forces vives : “A Pleine Vie, il y avait 16 cartes de presse, il n’en reste qu’une seule. A Top santé, les deux personnes qui restaient après les départs ont basculé vers d’autres titres“, relate Yves Corteville. Pour continuer à paraître, ces deux titres sont donc contraints de recourir à des agences de production de contenus externalisées. Les bouclages de CloserTélépoche et Télé Star reposent quant à eux sur un seul directeur artistique, son adjoint et un maquettiste. La situation est à peine plus brillante à Grazia : “Tout le monde est prié de mettre des contenus au marbre (la réserve d’articles d’une rédaction, ndlr) d’ici le départ de ceux qui ont pris la clause, à la fin du mois. Quand ils ont entrevu le gros accident industriel, ils ont essayé en vain de retenir quelques personnes”.

Il y a tout à coup énormément de problèmes à régler et pour la direction, ce serait de la faute de la ‘fuite’ des journalistes !“, s’étrangle Dominique Carlier. “C’est un processus très brutal et très décomplexé. C’est sans doute ‘l’entreprise agile’ dont on nous parle…”. Dans le camp Reworld, on minimise : “Tous les magazines vont sortir. Des clauses de cession, il y en a eu plein d’autres ailleurs (dont Marianne après son rachat au printemps 2018, ndlr). Il y a certainement des embauches en cours, le groupe ne se prononce pas là-dessus, c’est aux directeurs de constituer leurs équipes”. Et bon débarras pour les anciens ? L’un d’entre eux rappelle : “Les gens ne s’en vont pas de gaieté de cœur, surtout pour laisser le titre en de si mauvaises mains…”.

Fleur Pellerin s’exprime dans “Challenges” : Mise à jour

Fleur Pellerin a répondu dans Challenges ce mercredi 16 octobre aux critiques suscitées par son arrivée au conseil d’administration de Reworld Media. “Les critiques, j’y suis un peu habituée, même si je ne les comprends pas bien”, commence-t-elle, justifiant ensuite de son implication dans ce domaine : “Quand j’étais ministre de la Culture, j’ai mené à terme un certain nombre de réformes sur les aides à la presse. J’ai donc passé quinze ans de ma vie dans la fonction publique à servir l’intérêt général et l’Etat. Maintenant je suis chef d’entreprise dans la tech et j’essaie d’accompagner et de soutenir les projets entrepreneuriaux qui me paraissent intéressants”.

Quant à la réputation de Reworld, la fondatrice de Korelya Consulting relativise, estimant que le groupe “est essentiellement une boîte de tech qui n’a pas forcément les codes du monde des médias“. Fâcheux, pour une “boîte” qui dégaine 70 millions d’euros afin de s’offrir la branche française de Mondadori… Fleur Pellerin tient quoi qu’il en soit à rassurer sur la rigueur éditoriale de Reworld : “Nous faisons très bien la différence entre ceux qui sont là pour vérifier que les contenus peuvent être correctement monétisés et le travail intellectuel du journaliste“, explique-t-elle. “Ce sont des gens qui ne sont pas tellement des communicants sur leur propre vision et sur leur métier, mais ils ont beaucoup de respect pour les journalistes“, avance même l’ancienne ministre.

Comment expliquer, alors, que l’arrivée de Reworld ait provoqué un tel sauve-qui-peut dans les rédactions de Mandadori ? “La seule chose que je constate, c’est qu’il y a eu un effet masse parce que la clause de cession tombait le même jour pour un certain nombre de titres”, répond Fleur Pellerin. Il faut avoir conscience que ce secteur connaît des difficultés. Et c’est aussi une opportunité pour les directeurs de la rédaction de reconstituer leurs propres équipes avec des journalistes et sans doute aussi des chargés de contenus”. Des “chargés de contenus”, donc, pas des journalistes. CQFD.

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