Publié par Guy Millière le 23 octobre 2019

Les choses se calment peu à peu au Kurdistan syrien (il y aura peut-être encore quelques escarmouches), les analystes qui se sont livrés à des élucubrations ineptes se calment peu à peu, eux aussi, les journalistes toujours prêts à cracher sur Trump préparent leurs prochains crachats, mais sont en train de passer à autre chose et vont bientôt laisser de côté le dossier kurde.

Il est temps de dire ce qui doit l’être.

Je pourrais commencer en soulignant que tout s’est passé comme je pensais que tout se passerait, et je ne me suis, une fois de plus, pas trompé dans mes analyses, mais je n’insisterai pas sur ce point. Je passerai plutôt aux points suivants en les énumérant sous forme de questions réponses :

  • Trump a-t-il “donné son feu vert” à l’intervention turque ? La réponse est non, absolument pas, et les documents disponibles le montrent à tous, sauf à ceux qui veulent vivre les yeux fermés : Trump a voulu dissuader Erdogan, tout en sachant qu’il n’y parviendrait pas. Et il a très vite posé des limites strictes à l’action d’Erdogan en lui disant que si l’armée turque dépassait les limites, les Etats Unis détruiraient l’économie turque. Les menaces de Trump ont été prises au sérieux par Erdogan, qui est resté dans les limites posées.
  • Trump pouvait-il faire davantage que tenter de dissuader Erdogan, poser des limites strictes, et menacer ? La réponse est non, là encore. Cinquante, cent, ou même mille soldats américains ne pouvaient faire davantage et n’avaient de toute façon pas mission d’attaquer la Turquie ou de servir de force d’interposition. Les Etats Unis n’auraient pu envisager de déclarer la guerre à la Turquie : cela aurait été un cataclysme géopolitique immense. Les Etats-Unis ne pouvaient pas utiliser des troupes pour protéger la cible essentielle de l’armée turque : les YPG, qui sont la composante essentielle des “Forces démocratiques syriennes”, branche armée du PKK, organisation placée sur la liste des organisations terroristes des Etats Unis et de l’Union Européenne.
  • Les YPG sont-elles “les plus fidèles alliés” des Etats Unis ? J’ai déjà répondu à cette question voici peu, et ce que je viens d’écrire des YPG est une réponse supplémentaire, mais j’insiste : les YPG ont été des alliés de circonstance des Etats Unis pour combattre un ennemi du monde occidental qui était aussi l’ennemi des YPG, l’Etat islamique. L’alliance n’allait pas plus loin. Et à partir du moment où le PKK continuait à commettre des attentats en Turquie, les Etats-Unis ne pouvaient que considérer qu’ils n’avaient rien à faire au côté des YPG et devaient se désengager. Trump avait pris la décision il y a des mois. Il avait différé la mise en acte de sa décision car les néo-conservateurs ont encore une influence chez les Républicains. Il a décidé de mettre sa décision en acte. Trump n’a trahi personne : si les YPG et le PKK avaient voulu se comporter en alliés des Etats-Unis, ils auraient dû passer un accord de non belligérance avec la Turquie. Ils ne l’ont pas fait et ont au contraire trahi la confiance que les Etats-Unis auraient pu placer en eux.
  • Y avait-il des risques de massacres, voire comme certains l’ont dit, de génocide ? La réponse est : absolument non. En posant des limites très vite, Trump a fait qu’Erdogan s’est contenté de commencer à occuper une bande de 32 kilomètres sur la frontière entre la Turquie et la Syrie, de repousser les YPG, et d’exiger que les dirigeants kurdes acceptent l’accord de non belligérance avec la Turquie que les diplomates américains avaient demandée en vain aux dirigeants kurdes de Syrie. Il y a eu des morts, hélas. Si les dirigeants kurdes de Syrie avaient accepté de passer un accord de non belligérance avec la Turquie, et si le PKK avait renoncé au terrorisme, il n’y en aurait pas eu. Imaginer qu’Erdogan accepterait le moindre statu quo sans l’acceptation d’un accord de non belligérance par les dirigeants kurdes de Syrie et sans le renoncement du PKK au terrorisme était bien trop imaginer.
  • S’agit-il comme on le dit d’une “défaite stratégique des Etats Unis” ? Absolument pas. Il s’agit de la mise en œuvre de la doctrine Trump. Trump a posé des limites à l’action turque, nettement, fermement, et les limites ont été respectées par la Turquie. Il n’a pas brisé tout lien avec la Turquie et provoqué un cataclysme géopolitique. Il savait que les dirigeants kurdes de Syrie se rapprocheraient du régime Assad, de la Russie et de l’Iran, car il savait que les YPG et le PKK avaient une vision du monde plus conciliable avec la vision du monde du régime Assad, de la Russie et de l’Iran qu’avec la vision du monde des Etats Unis, et que ce rapprochement était dans la logique des choses. Ce rapprochement a eu lieu. Trump peut se désengager du Rojava (territoire kurde syrien), et rompre tout lien résiduel avec les YPG. Trump savait qu’une relation conflictuelle se dessinerait en ce contexte entre la Turquie d’une part, et le régime Assad, la Russie et l’Iran d’autre part, car le régime Assad, la Russie et l’Iran ne veulent pas de présence turque en Syrie et entendent préserver l’intégrité territoriale de la Syrie. La Russie et l’Iran régissaient déjà la Syrie, et il n’y a rien de fondamentalement changé sur ce plan. Trump n’a jamais envisagé d’affronter militairement la Russie et l’Iran en Syrie ou de renverser le régime Assad. Il a hérité d’une Syrie régie par la Russie et l’Iran. Il s’est contenté de faire pression sur la Russie aux fins qu’Israël puisse intervenir en Syrie pour détruire toute installation militaire iranienne jugée dangereuse par l’état-major israélien. Ce qui compte pour lui est la sécurité d’Israël, et il sait qu’il n’y a pas de solution de remplacement au régime Assad. Ceux qui présentent Poutine comme le grand vainqueur devraient expliquer comment Poutine va pouvoir tout à la fois rester l’allié de l’Iran, et tenter d’accentuer un rapprochement entre la Russie et la Turquie maintenant que la Turquie a mis le pied en Syrie. Ceux qui imaginent encore que la Russie est encore une superpuissance devraient revoir leurs fiches : le PIB de la Russie est nettement inférieur à celui de l’Italie et du Brésil. La Russie est une puissance militaire, mais une petite puissance économique. Poutine envisage des patrouilles communes russes et turques sur la frontière syro-turque, c’est une façon pour lui d’entériner la bande de 32 km occupée par la Turquie et de dire que le territoire syrien est néanmoins intact.
  • Ce qui vient de se passer va-t-il faire renaitre l’Etat Islamique ? Absolument pas. La Turquie, qui fut l’alliée implicite de l’Etat Islamique est sous surveillance américaine :  Trump a dit à Erdogan que toute résurgence de l’Etat Islamique serait considérée comme étant de la responsabilité de la Turquie, et Erdogan sait qu’il doit prendre Trump au sérieux. Toute résurgence de l’Etat Islamique serait par ailleurs considérée comme un danger majeur pour l’Iran et la Russie, qui ne laisseront pas faire. Cela ne signifie pas, je l’ai déjà dit, que l’ombre du djihad va s’estomper (je renvoie sur le sujet à mon livre, appelé précisément L’ombre du djihad). Le terrorisme islamique n’a pas disparu, et implique et impliquera une vigilance de chaque instant, ce tant que l’islam ne sera pas à nouveau endigué et asphyxié.
  • Des djihadistes européens échappés des camps kurdes peuvent-ils revenir vers l’Europe ? Ce n’est pas impossible. C’est en tout cas le problème des pays européens d’où viennent ces djihadistes, pas celui des Etats-Unis, qui n’ont pas à assumer la supervision ou à financer l’emprisonnement et la surveillance de djihadistes européens, je l’ai déjà dit là encore. Les dirigeants européens sont de mauvais alliés des Etats Unis et ont une mentalité d’assistés. Il serait temps qu’ils assument leurs responsabilités. Ils ne le feront pas, je sais. La France a envoyé des djihadistes français pour qu’ils soient jugés en Irak et a dépêché des juristes plaider leur cause quand ils ont été condamnés à mort. Les Français devraient choisir des dirigeants moins minables.
  • L’administration Trump a-t-elle affaibli les positions d’Israël ? Vraiment pas du tout. Trump est le meilleur allié qu’Israël n’ait jamais eu à la Maison Blanche. Il l’a prouvé, et il est regrettable que certains aient la mémoire courte. Israël est l’allié stratégique majeur de l’administration Trump au Proche-Orient. La tâche principale que s’est donnée l’administration Trump au Proche-Orient est l’asphyxie du régime des mollahs en Iran.  Le processus d’asphyxie se poursuit. Trump vient de renvoyer des troupes en Arabie Saoudite. Il est évident que l’Iran voudrait pousser Trump à lancer une action militaire aux fins de provoquer un conflit plus vaste et de faire perdre l’élection de 2020 à Trump. Donald Trump ne tombera pas dans le piège. Il poursuivra l’asphyxie. La Turquie d’Erdogan contournait l’asphyxie et se conduisait de facto en allié de l’Iran. La relation conflictuelle qui prend forme entre la Turquie d’une part, et le régime Assad, la Russie et l’Iran d’autre part, ne va pas inciter la Turquie à continuer à contourner l’asphyxie. La France et l’Allemagne rêvent d’aider l’Iran à contourner l’asphyxie : ce qui signifie que la France et l’Allemagne se moquent comme d’une guigne des intentions génocidaires de l’Iran vis-à-vis des Juifs israéliens, et n’ont aucun scrupule éthique. En renforçant les moyens de défense de l’Arabie Saoudite, Trump montre qu’il traite aussi l’Arabie Saoudite en alliée. Les discours qui se tiennent à Washington peuvent laisser penser que l’administration Trump entend pousser la Turquie d’Erdogan à contribuer à l’asphyxie de l’Iran, qui est le grand rival islamique de la Turquie, et il serait effectivement bien plus intelligent de pousser la Turquie dans cette direction que de la pousser à une hostilité accrue envers les Etats-Unis.
  • Les néo-conservateurs garderont-ils une influence chez les républicains ? Là, la réponse est oui. Ceux qu’on appelle NeverTrumpers sont essentiellement des néo-conservateurs. Ceux qui se sont opposés à Trump ces derniers jours sont sous influence néo-conservatrice, et persistent à se faire des illusions sur la possibilité de réformes démocratiques dans le monde musulman, ce qui les conduit à considérer qu’une présence américaine au sol reste indispensable dans des pays hostiles, et que les guerres que Trump appelle les “guerres sans fin” doivent se poursuivre. Trump pense que la dissuasion, et le recours à la force si c’est absolument nécessaire, sont des réponses suffisantes au djihad. Si Trump avait été Président en 2001-2002, il aurait détruit le régime taliban et les bases d’al Qaida en Afghanistan, et n’aurait pas laissé des troupes dans le pays pour tenter d’y établir la démocratie. Il n’aurait vraisemblablement pas renversé Saddam Hussein, se serait contenté de le maintenir sous embargo très serré, et aurait choisi d’emblée l’asphyxie de l’Iran. Ses positions peuvent se discuter. Les néo-conservateurs qui ne sont pas NeverTrumpers les discutent, mais quand le choix sera entre un (ou une) démocrate et Trump, ils choisiront Trump. Quiconque écoute les débats démocrates en ce moment ne peut que percevoir que le parti démocrate est devenu un dangereux parti gauchiste, ce qui signifie que Trump, sauf accident majeur, sera réélu.
  • Les dirigeants européens reconnaitront-ils les mérites de Trump et comprendront-ils la doctrine Trump ? Si l’on parle des dirigeants hongrois ou polonais, ou de Boris Johnson au Royaume-Uni la réponse est oui. Si l’on parle de Macron et Merkel, la réponse est définitivement non. Trump incarne tout ce que Macron et Merkel détestent. Quoi que fasse Trump, ils le trouveront abominable. Macron et Merkel n’ont aucune importance. Ils sont impuissants et lâches. Et on le voit avec l’Iran, ils peuvent se conduire en traitres.
  • Les journalistes européens anti-Trump et les pseudo-spécialistes des Etats Unis qui monopolisent les plateaux de télévision vont-ils réviser leurs jugements et cesser de désinformer ? La réponse est non, absolument non. Leur haine envers Trump est devenue largement irrationnelle et ressemble au processus de salivation que la sonnette de Ivan Pavlov déclenchait chez les chiens de son laboratoire. Dites leur “Trump”, et ils commencent à baver et à proférer des insultes.

© Guy Millière pour Dreuz.info. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.

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