Publié par Guy Millière le 1 novembre 2019

La mort de Vladimir Boukovsky, le 27 octobre dernier, a à peine été signalée dans les médias français.

S’il avait été un gauchiste, les journaux français auraient sans doute publié des articles expliquant à quel point le disparu avait vécu une vie héroïque, les chaines de télévision françaises en auraient parlé abondamment. Mais Vladimir Boukovsky n’était pas un gauchiste. Il était résolument anti-communiste et profondément attaché à la liberté de parler, de penser et de choisir.  Cela le rendait infréquentable par les adeptes du sordide conformisme contemporain.

On l’a longtemps défini comme un dissident, quelqu’un qui ne se soumet pas et défend de manière intransigeante des valeurs plus hautes, quoi qu’il lui en coute, et il a été le plus connu et le plus opiniâtre de tous les dissidents au temps de l’Union Soviétique.

Il lui a fallu une extrême lucidité pour penser autrement et pour se séparer du discours officiel dans une société totalitaire. Il lui a fallu un infini courage pour oser dire et revendiquer qu’il pensait et continuerait à penser autrement. Il a été expulsé de l’université à l’âge de dix-neuf ans pour avoir critiqué les Jeunesses communistes et avoir refusé d’en faire partie. Il a un peu plus tard été arrêté et envoyé en prison parce qu’il faisait circuler des textes interdits dans le pays. Parce qu’il persistait à refuser de baisser la tête et de dire ce que les autorités voulaient qu’il dise, il est passé de la prison au camp de travail, puis à l’asile psychiatrique où il a subi des pratiques relevant de la torture.  Il n’a pas cédé. Il est parvenu à faire passer des textes en Occident et a acquis peu à peu un poids symbolique aux Etats-Unis et parmi les Européens lucides. Il est devenu trop connu pour qu’il soit possible de l’éliminer physiquement, et cela lui a sans doute épargné de recevoir une balle dans la nuque.

Les dirigeants soviétiques ont décidé en 1976 de se débarrasser de lui et de l’expulser vers le monde occidental, en échange de la libération du chef communiste chilien Luis Corvalan, qui a pu s’installer à Moscou.    

Vladimir Boukovsky a, lui, choisi de s’installer au Royaume-Uni, à Cambridge. Il a écrit un livre narrant sa vie en Union Soviétique “et le vent reprend ses tours : Ma vie de dissident”, puis Cette lancinante douleur de la liberté : lettres d’un résistant russe aux Occidentaux et Les pacifistes contre la paix : Nouvelle lettre aux Occidentaux. Comme les titres des deux livres qui ont suivi et la vie reprend ses tours, il a été très critique envers la gauche occidentale, envers l’aveuglement de celle-ci face aux périls totalitaires et envers ce qu’il en est venu à considérer chez celle-ci comme de la complicité avec ces périls.  

Il a travaillé quelque temps à la Hoover Institution, en Californie, ce qui m’a donné l’occasion de le rencontrer, à un moment où il s’apprêtait à retourner au Royaume-Uni. La Hoover Institution est un centre de recherche conservateur où l’un de mes amis lui-même décédé (en 2015), Martin Anderson, occupait une position importante, mais elle est située sur le campus de l’université de Stanford, gangrenée par la gauche, comme la plupart des universités américaines, et l’université de Stanford venait d’accueillir et d’honorer des “chercheurs” soviétiques parmi lesquels figuraient ceux qui l’avaient envoyé et maintenu en asile psychiatrique. Il m’avait fait part de sa colère et de son dégout, et m’avait dit que la gauche américaine était sans morale ni scrupule. Je ne l’avais pas désapprouvé.  

Il s’est efforcé pendant les années Gorbatchev d’expliquer que glasnost et perestroika n’étaient que des stratagèmes pour idiots utiles, et que Gorbatchev incarnait une tentative de sauvetage du système soviétique face à la stratégie mise en place par Ronald Reagan. Cela lui a valu une hostilité féroce émanant de toute la gauche occidentale, qui trouvait Gorbatchev très sympathique et prenait Ronald Reagan pour un crétin dangereux (la gauche occidentale utilise les mêmes termes aujourd’hui pour décrire Donald Trump, ce qui montre chez elle une certaine constance et montre que Donald Trump est en bonne compagnie).

Il est retourné en Russie en 1991-1992 et, en 1992, a été appelé par Boris Eltsine pour qu’il serve d’expert dans un procès opposant Eltsine au Parti Communiste d’Union Soviétique (PCUS) que Eltsine venait d’interdire.

Il a eu accès à ce moment à toutes les archives du KGB et du PCUS, et a fait, sans autorisation, des copies de milliers de documents. Il a écrit un livre basé sur ces documents, Jugement à Moscou. Il espérait que les documents permettraient la mise en place d’un tribunal équivalent au tribunal de Nuremberg, pour que soient jugés les crimes du communisme. Sa proposition n’a rencontré aucun écho.  Le livre n’a pu paraitre aux Etats-Unis, car il contient des documents montrant la complicité de nombre d’Américains de gauche avec l’Union Soviétique, et l’éditeur américain (Random House), politiquement correct, voulait que Vladimir Boukovski accepte la publication d’une version expurgée, ce qu’il a refusé. Il lui a fallu des années pour sortir du contrat signé avec la maison d’édition américaine, et le livre n’a pu être publié aux Etats Unis que voici quelques mois.

Vladimir Boukovsky a, pendant les années Poutine, donc jusqu’à sa mort (puisque Vladimir Poutine, lui, est toujours là), combattu l’autoritarisme poutinien au côté de gens tels que Garry Kasparov.

Il a publié en 2004, avec Pavel Stroilov, un livre important, que j’ai cité dans mes propres livres, et tout particulièrement dans Comment meurt une civilisation : L’Union Européenne, une nouvelle URSS (titre original : EUSSR) dans lequel il explique les similarités entre le pouvoir totalitaire qu’avait la nomenklatura soviétique et le pouvoir totalitaire dont tente de se doter une nomenklatura européenne.  Le livre a bien sûr, été ignoré par les médias.

Vladimir Boukovsky avait soixante-seize ans. Il fait partie de ceux qui m’ont appris à résister à l’air du temps et au politiquement correct, et à placer au-dessus de tout, toutes les valeurs de liberté et l’éthique qui doit être inhérente à tout travail intellectuel digne de ce nom, et qui implique de ne jamais transiger avec la vérité. 

L’un des livres qui sont dans mon ordinateur et qu’il me reste à publier est mon autobiographie. Je l’ai appelée Dissident, car c’est ce que j’ai été toute ma vie. J’ai prévu de dédier le livre, lorsqu’il paraitra, à cinq personnes, Vladimir Boukovsky est l’une de ces personnes. Ce sera de ma part un humble, très humble hommage.

© Guy Millière pour Dreuz.info. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.

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