Publié par Mireille Vallette le 7 novembre 2019

Le Centre suisse islam et société (CSIS) explique aux musulmans comment ils peuvent, avec le droit suisse, appliquer certaines règles du «droit islamique». Dont l’inégalité entre frères et sœurs.

Le CSIS, publie les résultats d’une recherche qualitative consacrée à l’héritage. Elle compare des éléments du droit suisse et du «droit islamique», droit divin pour les musulmans. Etrange manière d’intégrer la population musulmane qui est la raison d’être de ce centre, de plus en plus puissant. Il pourrait pour enseigner l’égalité, prendre l’exemple d’une fille que son père voudrait favoriser dans l’héritage, et faire passer un examen critique au «droit islamique» sur ce sujet. On peut rêver.

Mallory Schneuwly Purdie (CSIS, responsable de formations)

Les rédactrices de ce «Paper» sont des femmes, Mallory Schneuwly Purdie (CSIS, responsable de formations) et Ricarda Stegmann (sciences des religions, Uni de Fribourg). Elles ont interrogé des imams, des experts en religion et des femmes.

Sur ce thème des successions en islam, la seule chose que le citoyen lambda sait, c’est que le fils hérite du double de sa sœur. Mais qu’il ne se méprenne pas: «…réduire la complexité du droit islamique des successions à cette équation constitue une simplification largement inadéquate». C’est pourtant elle que l’on rencontre tout au long des 50 pages de ce texte. Imprégnation islamique et cupidité aidant, une grande partie des femmes se font voler la totalité de leur héritage.

Cette discrimination demeure «une composante essentielle des législations d’inspiration islamique. Les pratiques administratives (…) excluent souvent totalement les femmes de la succession, les plaçant ainsi dans une position plus défavorable encore que les lois islamiques ou séculaires. (réd: très anciennes)» La Turquie et les Balkans, dont la législation est laïque, donc égalitaire, ne font pas mieux: «…les femmes, en dépit d’une législation prescrivant le contraire, sont généralement exclues de la succession». C’est de cette région que vient la grande majorité de nos descendants d’immigrés (la Suisse a accueilli 10% de la population du Kosovo).

La recherche nous apprend qu’en Suisse, ces coutumes ont des effets sur l’héritage des immigrées originaires de ces pays. Souvent dépossédées de toute part dans le cas des biens immobiliers, elles se résignent.

Une partie du «droit coranique» peut s’appliquer

En Suisse, un projet de loi a été soumis par le Conseil fédéral au parlement en 2018. Pour s’adapter aux changements sociologiques de la famille, cette révision prévoit se restreindre les réserves héréditaires, «de manière à laisser au testateur ou à la testatrice la possibilité de disposer librement à l’avenir d’une plus grande part de son patrimoine».

Les auteures s’en réjouissent, car ce projet «devrait également offrir aux familles musulmanes de nouvelles solutions. Celles qui souhaitent disposer de leur patrimoine selon les principes coraniques et le droit islamique qui en découle pourront à l’avenir le faire plus facilement (…)»

Mallory et Riccarda interrogent un grand ami, directeur de l’Institut de droit des religions à l’Uni de Fribourg, et… co-directeur du CSIS. Elles souhaitent d’abord connaitre «les possibilités que le droit successoral suisse offre déjà, sous le régime de la loi actuelle, aux musulmans et musulmanes désireux d’organiser leur succession selon les préceptes islamiques et quelles [sont] les dispositions applicables aux personnes étrangères ou au bénéfice d’une double nationalité».

En principe le droit suisse s’applique, répond le directeur-professeur, mais les étrangers -s’ils n’ont pas la nationalité suisse- peuvent choisir le droit de leur pays. «Lorsque ce droit se base sur l’islam, il est donc possible, en toute légalité, de disposer de ses biens selon les principes islamiques.»

Rassurées, les collaboratrices du CSIS poursuivent :

– Venons-en au droit des successions tel qu’il est réglementé par le Code civil suisse. Quelles possibilités offre-t-il aux musulman·e·s vivant en Suisse mais souhaitant disposer de leur patrimoine selon leurs propres conceptions, qu’il s’agisse de principes islamiques ou de représentations culturelles différentes?

En principe, répond leur interlocuteur, les deux enfants héritent selon le droit suisse à parts égales, et au minimum 3/4 de la succession. Il ajoute:
«En admettant à présent que le père ait voulu favoriser son fils par rapport à sa fille, il aurait la possibilité de le faire par le biais d’un testament, dans la mesure où la part successorale de sa fille n’est pas protégée comme part réservataire. Concrètement, cela signifie qu’il peut lui léguer la quotité disponible, le ¼ de l’héritage…»

Les chercheuses veulent être vraiment sûres:

Ce qui veut dire que le droit successoral suisse dispose d’une certaine marge de flexibilité, suffisante pour permettre aux musulman·e·s qui le souhaitent de disposer de leur héritage comme ils ou elles l’entendent ?

«C’est cela. En sachant que le droit suisse offre encore d’autres solutions. Le fait pour la fille, par exemple, de renoncer à son héritage. (…) Il lui suffit de déclarer qu’elle renonce à la succession pour que le fils hérite de tout: c’est tout à fait légal.»

Le spécialiste cite encore une possibilité:

«Une autre solution est possible au moment du partage successoral. En effet, dans le cas où la fille ne renonce pas à la succession mais accepte son statut d’héritière, les héritiers sont alors libres, dans le cadre de la procédure de partage, de répartir l’héritage de manière différente de la dévolution en parts égales initialement prévue. Nous sommes alors dans le cas de figure de ce qui se serait produit si le droit islamique s’était appliqué, c’est-à-dire que le fils hérite du double de ce qu’hérite sa sœur. Le droit suisse des successions laisse la possibilité au testateur, si tous sont d’accord et l’acceptent, d’appliquer les principes islamiques lors du partage de la succession entre ses enfants.»

Le droit théocratique comprend d’autres inégalités. Lorsque le défunt n’a qu’une fille, l’oncle hérite. Si le défunt n’a qu’un fils, le fils hérite. C’est, selon les spécialistes, une rémanence du droit coutumier (qu’Allah un peu distrait a oublié d’effacer). Autre discrimination: un non-musulman ne peut hériter d’un musulman. Je me souviens d’une discussion avec une Libanaise chrétienne qui m’avait appris ce précepte: elle avait tout perdu lorsque son mari musulman, plutôt aisé, était décédé.

Ajoutons (ce n’est pas signalé par nos experts) que les enfants adoptés ne peuvent pas non plus hériter de leurs parents. Suite à une péripétie amoureuse de Mahomet, l’adoption pleine et entière a été interdite par le droit musulman.

Ceci mis à part, les auteures constatent avec joie que notre Code civil suisse et le droit islamique «présentent de nombreuses similitudes».

Des imams favorables au droit divin

Et que pensent de tout cela les religieux? «La plupart des imams que nous avons interrogés se rattachent à une approche classique (…) qui est aussi l’approche la plus répandue dans les pays musulmans. Cette catégorie considère que le Coran est la parole d’Allah, éternelle et établie une fois pour toutes, qu’il se caractérise par la justice et la perfection divine, et que ses règles ne devraient par conséquent tout simplement pas pouvoir être modifiées ou ignorées par les humains.»

Plusieurs de ces guides spirituels sont cités, qui expriment chacun une adhésion différente au droit islamique, du plus fidèle au plus critique. Parmi les premiers, Ardian Elezi de Bâle (dont le double discours a été dévoilé) l’an dernier, et Mostafa Brahami, imam itinérant invité par de nombreuses associations-mosquées romandes, dont les plus grandes: «Le contexte général du droit islamique, dans lequel s’insère le droit des successions, exige qu’au sein de la famille, ce soit le mari qui ait la responsabilité financière du foyer, et donc subvienne aux besoins de son épouse, de ses enfants et de ses parents.» Le plus moderniste est Rehan Neziri, imam à Kreuzlingen, qui estime qu’il faut considérer le Coran comme un produit de son époque, dont les modèles sociétaux n’existent plus. Mais les valeurs du livre, comme l’équité, sont à conserver.

Résumé des positions par les auteures: «Les conditions dans lesquelles les versets du Coran ont été révélés sont aujourd’hui très différentes: raison pour laquelle la doctrine classique en matière de droit successoral devrait être repensée ou même – selon une petite minorité – totalement abandonnée au profit du droit suisse.»

Mais où sont donc passé ces imams ouverts, ces médiateurs, ces «passeurs de ponts» que nous vante si souvent le CSIS?

Un constat positif tout de même: les femmes élevées dans notre pays, ne semblent pas, à l’exception d’une petite minorité, accepter de se faire plumer au nom d’Allah. Elles soutiennent notre droit. La proportion de ces rebelles est même «exactement l’inverse de celle observée chez les imams».

Un Centre tout entier dédié à l’intégration des croyants

Le Centre est le plus grand et en fait le seul institut d’intégration qui œuvre dans toute la Suisse. Il est financé par les services publics. Il n’intègre pas les musulmans en général, mais les croyants et pratiquants des associations islamiques et de leurs mosquées. Ses étudiants et doctorants travaillent à un islam plus adapté à notre société que la version classique. Et pour le CSIS, le staff des mosquées (enseignants, animateurs de jeunes ou de femmes) devrait faire profiter de ses compétences et qualités morales les institutions profanes du pays, en portant le label islamique (par exemple le voile), voire être professionnalisé.

Dans le même «Paper», les auteures nous rassurent sur la partie de la charia que suivent ses protégés (et qui nous pose déjà tant de problèmes!): «…pour beaucoup de musulman·e·s, en Europe comme dans de nombreux pays musulmans, la charia et le droit islamique restent des points de référence, une direction à suivre, dans le cadre de ce qui est légalement autorisé. Lorsque ces musulmans parlent de l’observance de la charia, cela concerne essentiellement, dans leur esprit, tout ce qui ressort des pratiques et du comportement individuels, comme par exemple la manière de s’habiller, la nourriture, les loisirs autorisés ou bien le fait de s’astreindre aux prières quotidiennes obligatoires.» Tous comportements que nous devons accepter selon le CSIS.

Les auteures interviewent aussi la Marocaine Asma Lamrabet qui revisite le Coran et lui prête une vision pleinement humaniste. On n’en est pas pleinement convaincu, mais elle fait une subtile remarque qui pourrait s’appliquer à bien d’autres passages du Coran:
«Dans les écoles marocaines, (réd: et dans les mosquées d’Europe), les enfants suivent des cours de religion dans lesquels ils apprennent des versets coraniques par cœur. Ceux sur l’héritage en font bien sûr partie. Jamais on n’explique les raisons de la double part. Et c’est par l’éducation qu’il faut commencer. On ne peut pas se contenter d’enseigner la religion à un garçon ou une fille de 10 ans, en leur disant «Si le référentiel islamique le dit, alors c’est comme ça»! Cela produit immédiatement un sentiment de supériorité chez le garçon! On dévalorise la fille et on valorise le garçon. (…) Dans cette éducation religieuse, on ampute aux musulmans et musulmanes leur esprit critique. Et on continue à éduquer des enfants à la discrimination au nom du religieux.»

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Mireille Vallette pour Dreuz.info.

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