Publié par Magali Marc le 7 novembre 2019

Depuis l’élection à la présidence de Donald Trump, il est beaucoup question de l’État profond (Deep State), c’est à dire des hauts fonctionnaires dans son entourage qui ne sont pas d’accord avec son programme. Mark Hemmingway décrit l’attitude de ces hauts fonctionnaires qui ne sont pas nécessairement de mèche avec les Démocrates.

Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit l’article de Mark Hemingway*, paru le 1er novembre, dans la revue The Federalist.

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Donald Trump contre le Consensus administratif

La présidence de Trump fait face à des hauts fonctionnaires du gouvernement qui disent ouvertement que leur loyauté envers l’État administratif, même lorsqu’il commet des actes criminels et des abus de pouvoir, est plus importante que les politiques d’un président démocratiquement élu.

Cette semaine, les nouvelles des chaînes câblées ont fait surgir le cas du Lieutenant-colonel Alexander Vindman, l’un des témoins contre Donald Trump dans l’enquête de destitution, accusé par certains de loyauté envers l’Ukraine plutôt qu’envers les États-Unis, car il est né dans ce pays. Cet argument était malheureux pour deux raisons.

  • D’une part, il faisait ironiquement écho aux accusations absurdes et injustes selon lesquelles Trump et ses partisans – ou dans le cas du représentant Tulsi Gabbard, quiconque n’exprime pas une loyauté totale aux anciens du Parti Démocrate – doivent être des suppôts de Vladimir de Poutine.
  • Deuxièmement, bien que l’antisémitisme n’ait certainement pas motivé les personnes qui ont avancé cet argument, le rumeur concernant sa «double loyauté» était particulièrement de mauvais goût étant donné que Vindman et sa famille sont des réfugiés juifs vivant aux États-Unis après avoir fui la persécution soviétique. John Podhoretz a écrit un article excellent expliquant en quoi cette remarque était blessante pour les Juifs américains.

Il n’y a donc pas lieu de mettre en doute les loyaux services, l’intégrité ou le dévouement de M.Vindman envers la protection de l’Amérique.

Cependant, je pense que la question de la loyauté envers les États-Unis dans un sens étroit mais important est au cœur de nombreux débats concernant Donald Trump et son Administration.

La présidence de Trump est arrivée en même temps que l’émergence de hauts fonctionnaires qui font preuve de loyauté envers l’État administratif, même quand des actions illégales et des abus de pouvoir sont commis au détriment des consignes venant d’un président démocratiquement élu.
Les gens qui font ces choses peuvent même justifier sincèrement leurs actions comme étant motivées par le patriotisme, mais cela signifie que ces abus se font pas aux dépens d’une certaine vision de l’Amérique et entrent en contradiction avec ce que le peuple veut.

Même si vous n’aimez pas Trump, ils représentent une menace à la primauté du droit et à la légitimité de la gouvernance fédérale aux yeux des citoyens américains.

Un «consensus » bureaucratique contre le président élu

Dans cet esprit, un aspect du témoignage de Vindman concernant Trump était particulièrement inquiétant.

« Au printemps 2019, j’ai appris que des personnes influentes de l’extérieur faisaient la promotion d’un faux narratif concernant l’Ukraine, incompatible avec les vues consensuelles de l’agence », a dit Vindman lors de son préambule. « Ce narratif portait préjudice à la politique du gouvernement américain. Alors que mes collègues interinstitutionnels et moi-même devenions de plus en plus optimistes quant aux perspectives de l’Ukraine, ce narratif alternatif a sapé les efforts du gouvernement américain visant à étendre sa coopération avec l’Ukraine.»

Quels sont ces « points de vue consensuels inter-agence » dans ce contexte ?

Donald Trump est accusé de retenir l’aide à l’Ukraine en échange d’une enquête de ce pays sur les affaires (manifestement louches) du fils d’un opposant politique. Toutefois, l’aide en question était une aide militaire à l’Ukraine, y compris des armes, pour l’aider à combattre la Russie.

Le prédécesseur de M.Trump, Barack Obama, n’était pas disposé à donner à l’Ukraine une aide militaire de type offensif. En 2015, le sénateur John McCain, qui n’était pas exactement un membre du fan club de Donald Trump, a réprimandé l’Administration Obama pour cela: « Les Ukrainiens se font massacrer et nous leur envoyons des couvertures et des repas. Les couvertures ne sont pas ce qu’il leur faut pour résister aux chars d’assaut russes », avait-il dit.

En 2015, les autorités fédérales ont-elles tiré la sonnette d’alarme sur le fait qu’Obama a défié ce «consensus inter-agences»? Ou bien le consensus inter-institutions était-il différent à l’époque parce que c’est le président qui établit les politiques, et non l’armée d’employés fédéraux qui sont censés travailler pour lui ?

À certains égards, ce «consensus inter-organismes » est un terme bénin et habilement utilisé au sein du gouvernement fédéral et, encore une fois, ce n’est pas parce que Vindman a utilisé ce terme de cette façon qu’il fait nécessairement partie d’une cinquième colonne de la «Résistance» à Donald Trump dont le but est de saboter la présidence de Donald Trump. Mais même en termes rhétoriques, cela demeure révélateur.

Les entraves à la plate-forme présidentielle que les électeurs ont choisie

Si la phrase de M. Vindman m’a sauté aux yeux quand j’ai lu son témoignage, c’est en partie parce que je l’avais remarquée quelques semaines auparavant. Lorsque Trump s’est brusquement retiré de Syrie au début d’octobre, un article du Washington Post a critiqué la décision de Trump car elle avait été « annoncée rapidement, sans avertissement et en l’absence d’un consensus entre les agences ».

Si vous avez suivi les nouvelles ces quatre dernières années, vous savez que l’un des thèmes favoris de la campagne électorale de M. Trump était de quitter la Syrie (et les enchevêtrements militaires à l’étranger en général). Il s’est fait élire, a été bloqué à plusieurs reprises par des membres de son cabinet et par la bureaucratie quand il a essayé de se désengager de la Syrie. Après une frustration évidente et justifiée, il s’est finalement retiré de la Syrie, brusquement, au grand dam de tout le monde à Washington.

Énormément de rapports confirment cette version des faits. Trump va peut-être payer le prix d’une décision irréfléchie, mais il est également vrai que la décision a été irréfléchie parce que les hauts fonctionnaires du « consensus inter-agences» n’ont pas voulu mettre en œuvre sa volonté de faire une sortie ordonnée qui préserve au mieux nos intérêts de sécurité nationale, et ont plutôt considéré leur devoir en tant que mandarins non-élus de faire contrepoids au président lui-même.

Bien qu’une politique étrangère moins interventionniste soit largement populaire, le sentiment général à Washington est encore bien résumé par cet éditorial de Newsweek publié le 28 août 2017 : « We Should Permanently Post More U.S. Troops Abroad » (NdT: « Nous devrions envoyer plus de troupes américaines à l’étranger de façon permanente »).

Comment nous-y prendre ? Eh bien, selon le professeur de recherche en études de sécurité nationale et titulaire de la Chaire de Recherche du Général Douglas MacArthur à l’Institut d’Études Stratégiques, « le Département de la défense devrait s’efforcer de parvenir à un fort consensus interinstitutionnel sur l’importance d’une présence accrue en avant… ».
Même aujourd’hui, nous avons encore des troupes en Syrie, on peut dire que c’est mission accomplie pour le consensus interinstitutionnel.

De nouveaux scandales pour une nouvelle ère de grand gouvernement

À cet égard, l’une des principales raisons pour lesquelles la présidence de M. Trump est si scandaleuse tient au fait que Washington a une idée très simpliste et peu éclairée de la nature des scandales. La taille et la structure de gouvernance du gouvernement fédéral ont changé radicalement au cours du dernier demi-siècle, et pourtant, 45 ans après la démission de M. Nixon, nous attachons toujours le suffixe «gate» à chaque nouveau scandale. Il est facile d’imaginer un méchant complice de la Maison-Blanche ordonnant à d’autres de commettre des actes illégaux à des fins politiques. Il n’est pas si facile pour quiconque de comprendre même les machinations bénignes du «consensus inter-agences», et encore moins comment il abuse de son pouvoir et le dissimule.

Rappelez-vous du scandale du fisc pendant l’Administration Obama. L’une des façons de minimiser le scandale a été, à maintes reprises, de prétendre que la Maison-Blanche n’avait rien à y voir. Pour autant qu’on sache, c’est vrai. Mais dites-moi, quel scénario vous fait le plus peur :

  • Le président utilisant son pouvoir pour ouvrir une enquête sur un opposant politique et se trouvant immédiatement confronté à des dénonciateurs de l’intérieur du gouvernement ?
  • Ou bien des fonctionnaires fédéraux ayant le pouvoir de ruiner votre vie qui lancent une attaque généralisée contre des milliers de participants au processus politique qui, par hasard, se trouvent être en faveur de la réduction de la taille du gouvernement, et le font de leur propre initiative sans que le président leur dise quoi faire parce que tous partagent la même idéologie ? Et les fonctionnaires font cela en sachant que le président les défendra comme n’étant pas du tout corrompus ? Et lorsqu’ils détruisent des dizaines de milliers de courriels potentiellement incriminants, assignés par le Congrès et que leurs victimes ne peuvent rien y faire ?

Travailler pour le gouvernement ne vous place pas au-dessus des règles électorales

En effet, à chaque fois, les anti-Trump au sein du gouvernement ont été défendus, souvent non pas parce que ce qu’ils ont fait est défendable, mais parce qu’ils croient, à tort, que leur service au gouvernement fédéral les anoblis automatiquement et rend ipso facto une personne digne de confiance. En effet, le besoin désespéré de défendre un État administratif se lit parfois comme de la fan-fiction.

Par exemple, dans le New York Times : « Ils ne sont pas la résistance. Ils ne sont pas une Cabale. Ce sont des fonctionnaires. Louons maintenant ces héros non silencieux.»

Les médias ont passé plus d’un an à roucouler à propos de l’auteur anonyme d’articles d’opinion qui s’est vanté en disant « I Am Part of the Resistance Inside the Trump Administration » alors qu’il est impossible de déterminer la crédibilité d’une personne sans savoir qui il est.

Après avoir dépeint James Comey comme représentant le nec plus ultra de la rectitude morale pendant des années, on pourrait penser qu’après avoir appris que lui et le reste de la haute direction du FBI avaient fait preuve d’un comportement corrompu, voire illégal, les médias et l’opposition de Trump seraient désabusés et ne croiraient plus à la notion de fonctionnaire fondamentalement vertueux.

Ou le fait que l’ancien chef de la CIA, John Brennan – un homme qui a menti au membres du Congrès pour mieux les espionner et a joué un rôle central dans la diffusion du dossier diffamatoire Steele dans le gouvernement pour saboter la présidence de M. Trump – coordonne ouvertement les efforts pour que les fonctionnaires actuels continuent le sabotage du président.

À présent, la récente révélation de l’identité du dénonciateur qui a déclenché l’enquête de mise en accusation – lequel a déjà été dénoncé pour des fuites visant à saboter la présidence de Donald Trump – soulève toutes sortes de questions sur ses motivations.

Mais les mythes les plus utiles sont ceux qui persistent, et peu de questions importantes sont posées concernant la résistance institutionnelle envers le président Trump.

Les mêmes normes doivent s’appliquer à tous

Rien de tout cela ne veut dire que Vindman et les autres critiques de Trump ont nécessairement tort ou que Trump est manifestement innocent. Même si j’ai peu confiance dans l’équité du processus jusqu’à présent, tous les Américains ont intérêt à connaître la vérité et j’espère que les faits réels seront révélés au cours de l’enquête de destitution. Advienne que pourra.

Mais il est également clair que Trump a été élu en grande partie parce que des dizaines de millions d’Américains n’approuvent pas le maintien du statu quo à Washington, et en particulier le manque de responsabilité démocratique qui peut peser sur le statu quo. Et Trump est un perturbateur naturel, assez fort pour menacer ce statu quo d’une manière à la fois bonne et douteuse. En réaction, beaucoup de gens à Washington sont prêts à contourner les règles pour l’arrêter.

De plus, bien avant l’arrivée de Donald Trump, il y avait beaucoup de pressions institutionnelles et d’argent au gouvernement fédéral, sans parler des déplacements par portes tournantes entre les emplois fédéraux déjà bien rémunérés et les lobbies des groupes d’intérêt encore mieux rémunérés. Toute personne responsable devrait renoncer à l’idée que les fonctionnaires font toujours preuve de civilité.

Les employés fédéraux qui font les manchettes dans les médias devraient être soumis au même degré d’examen et de suspicion que celui appliqué aux politiciens. Au moins avec les politiciens, nous pouvons nous blâmer nous-mêmes, mais personne ne vote pour un «consensus inter-agences».

* Mark Hemingway est le rédacteur de la section littéraire de la revue The Federalist. Il a été rédacteur en chef du Weekly Standard.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Traduction de Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.

Source:
https://thefederalist.com/2019/11/01/donald-trump-versus-the-interagency-consensus/

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