Publié par Gaia - Dreuz le 7 novembre 2019

Source : Marianne

Dans le flot de commentaires et prises de position qui ont succédé à l’attaque à la préfecture de police, un des corps sociaux les plus engagés dans la société, les syndicats, sont restés étonnamment cois.

On ne parle pas ici bien évidemment des syndicats de police, mais des grandes centrales syndicales qui sont observateurs directs de manifestations de radicalisation dans les entreprises et dans les administrations. On chercherait en vain sur les sites de CGT, CFDT, FO, SUD, etc… des déclarations ou des prises de position publiques de leurs responsables. Seul indice identifiable, un entretien dans la revue du SGEN-CFDTd’un livre de Laurent Bonelle « Vous avez dit radicalisation ? ». Étonnant concours de circonstances, la Fédération des Parents d’élèves FCPE – dont on n’en attendait pas tant – publie une affiche qui suscite la polémique amplifiée par le contexte général.

Noyautage islamiste

Faute de position officielle, ce sont des témoignages individuels de syndicalistes qui en général perfusent dans la presse. Car les menaces de radicalisation islamiste n’épargnent pas le monde des entreprises et ce depuis longtemps. En janvier 2016, le journal Marianne, évoquant le sujet, citait un délégué syndical CFDT chez Servair, qui expliquait : « La radicalisation des musulmans pratiquant un islam rigoriste date de la fin des années 2000 avec la montée du communautarisme au sein même des syndicats. La direction fait la sourde oreille. Au début des années 2000, la salle de sport servait de salle de prière. Elle n’a rien trouvé de mieux que de la fermer. » A Air France, sous la pression d’un responsable du comité d’entreprise, la viande servie à la cantine du personnel au sol de la compagnie était devenue exclusivement halal. « L’épisode a été très ponctuel, cela a duré quelques semaines, le temps que cela remonte jusqu’à nous », avait précisé la responsable Diversité d’Air France. A l’origine de l’affaire, un syndiqué CGT, syndicat qui comptait quelques intégristes parmi ses membres.

Ailleurs, c’est Force ouvrière (FO) qui est accusée d’accueillir les radicaux excommuniés ailleurs. A Roissy-Charles de Gaulle où plus de 70 employés (sur 85 000) étaient soupçonnés d’une pratique radicale de l’islam, les contrôles seraient réguliers et les personnes souvent changées de service par mesure de prévention. En 2015, la CGT avait dénoncé une tentative de noyautage islamiste des syndicats de l’aéroport. Enfin, selon le JDD (23 novembre 2015), un employé, en moyenne chaque semaine, se voit refuser l’accès aux sites nucléaires en raison d’une radicalisation islamiste. A l’occasion d’un haut comité à la sûreté nucléaire, le haut fonctionnaire de défense, a confirmé les faits.

Les dirigeants d’entreprise sont parfois bien en peine de sanctionner. C’est bien là un des problèmes, la radicalisation n’est pas un motif légal de licenciement. C’est ce que constate Michel Lallier, représentant de la CGT au comité à la suite d’un licenciement : «(La direction) a bien parlé de radicalisation, même si sa réponse était évasive. On ne saura jamais exactement à cause du secret-défense. » Pour licencier un individu radicalisé, potentiellement dangereux, il faut trouver un autre motif « légal », la DCRI refusant de divulguer ses données. Le syndicat se trouve donc contraint de soutenir le salarié. Et la justice administrative ou prudhommale, dépourvue de preuves consistantes avouables, ordonne la réintégration de l’individu devenu un « héros ».

Mickael Harpon

Seconde explication : l’omerta constatée dans l’affaire Mickael Harpon. Christophe Salmon de la CFDT RATP, confirme : « Ces manifestations religieuses (prières, rapport avec les femmes…) désorganisent l’entreprise, donc nous devons réagir. Mais le sujet est si tabou que, lorsqu’on rompt l’omerta, on se met tout le monde à dos. » Signal faible ?

Étrange société française qui affiche sa volonté d’égalité Homme-Femme mais tolère, « pour des motifs religieux », la ségrégation et la misogynie militante

Enfin l’intolérable peut devenir toléré. À la RATP, depuis longtemps de nombreux employés priaient dans les locaux malgré l’interdiction. Des témoignages, notamment recueillis par les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Inch’allah : l’islamisation à visage découvert, Fayard) font état d’agents qui mettent des gants pour toucher la monnaie remise par une femme. Dans certains terminus, des locaux ont d’ailleurs été interdits aux femmes. Certains traitent de « sale pute » celles qui ont le malheur de porter une tenue un peu trop provocante selon leurs critères. La direction se défend : «Ces incidents sont inacceptables. Mais attention : sur 45.000 agents RATP, ce ne sont que quelques dizaines de cas… Environ quarante sanctions ont été prononcées, du simple avertissement à la mise à pied, et même dans un cas, au licenciement. » Étrange société française, qui affiche sa volonté d’égalité Homme-Femme mais tolère, « pour des motifs religieux », la ségrégation et la misogynie militante.

Enfin dernière explication possible du silence syndical : les élections ! Depuisla loi du 20 août 2008 sur la représentativité syndicale, il faut dépasser la barre des 10% dans les entreprises pour faire partie des négociations. Si certains syndicats ont fermé les yeux sur ce genre de situation, c’est pour ne pas se priver d’adhésions et de votes aux élections professionnelles et les accusations réciproques volent bas : « Cela nous a coûté la première place aux élections professionnelles […]. On a perdu 500 syndiqués. Ils n’étaient pas tous radicaux », avait alors déclaré son secrétaire général, Philippe Martinez après avoir fait preuve de laïcité. A l’inverse Christophe Malloggi, secrétaire général FO à Air France, s’en défend : « La CGT a joué à un jeu dangereux en portant des revendications ultra-communautaires par souci de plaire, avec des erreurs de casting. Cela n’a pas sa place chez nous. Nous restons laïques. » Les syndicats sont d’autant plus gênés que ce sont les grands bastions syndicaux qui sont les plus affectés. La RATP observe une multiplication d’incidents liés à la religion.

Après 53 auditions et sept mois de travail, les députés Éric Diard (LR) et Éric Poulliat(LREM), dans leur rapport sur « les pouvoirs publics face à la radicalisation », ont conclu que, si le danger d’infiltration islamiste était réel, il n’était pas toujours suivi des mesures appropriées. Et leur rapport ne se limite pas à la police. Le président appelle les Français à la « vigilance » et la nation tout entière à se mobiliser face à « l’hydre islamiste ». Il a tenu à préciser que ce n’était « en aucun cas un combat contre une religion, mais contre son dévoiement ». Mais beaucoup de signalements de radicalisation sont venus des musulmans eux-mêmes comme ce fut le cas contre l’Imam de la mosquée de Gonesse, dans le Val-d’Oise, où se rendait régulièrement Mickaël Harpon. Je l’avais moi-même constaté en 2014, quand je finissais un rapport sur « Quelle politique de Contre radicalisation en France ? », des associations ou des imams souhaitaient alerter le juge, le commissaire de police et le préfet, qui refusaient d’intervenir au nom de la liberté de conscience. Pourtant, être antisémite pour des raisons religieuses n’est pas plus tolérable que pour des raisons politiques, et jamais la loi Gayssot n’a été appliquée sur un prédicateur salafiste.

Certes les grandes centrales syndicales ne peuvent rester muettes. Mais le pouvoir politique lui-même doit poser les bases légales et judiciaires de la lutte contre la radicalisation religieuse. Cela pose deux problèmes : d’abord on passe d’une justice de la sanction à une justice de la prévention. Deuxièmement, la justice administrative qui est saisie des mesures d’expulsion doit être dotée d’une formation habilitée « secret défense » pour prendre connaissance des données sensibles du dossier. Enfin il appartient au pouvoir de définir la laïcité applicable en entreprise permettant de respecter l’objet social et le bon fonctionnement de l’entreprise et la laïcité qui tolère toutes les religions dans l’espace privé. Pas dans l’entreprise. Car la seule entreprise qui fait signer un pacte de laïcité au moment du recrutement se trouve très probablement en faute !

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